Les prix des matériaux flambent

Conjoncture - La guerre en Ukraine bouscule des marchés déjà fortement sous tension. Des matières premières moins accessibles, mais surtout une énergie hors de prix relancent l'inflation, parfois à trois chiffres. Tous les métiers du BTP ou presque sont concernés.

 

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Des matières premières moins accessibles, mais surtout une énergie hors de prix relancent l'inflation, parfois à trois chiffres, des matériaux de construction.

L'inoxydable inflation de l'acier

C'est « le » matériau symbole du conflit russo-ukrainien : déjà fortement impacté par le ralentissement de l'activité au plus fort de la pandémie de Covid-19, l'acier a vu son coût s'envoler dès le début des affrontements. « Après une première augmentation due à la crise sanitaire en novembre 2020 où le prix moyen est monté à 700 €/t, il est aujourd'hui de 1 700 €/t, soit une augmentation de 142 % sur quinze mois ! », résume Roger Briand, président du Syndicat de la construction métallique de France (SCMF). Qui alerte : « Même s'il n'y a pas de risque de pénurie, l'incidence sur notre prix de revient est importante, de l'ordre de 35 %. »

« Travailler à perte ». Confirmation chez Coreal, dont l'acier représente entre 20 % et 30 % du prix global des projets. « Nous n'avons jamais été confrontés à des révisions de prix aussi brusques », témoigne Antoine Corré, directeur général du promoteur spécialisé dans la construction métallique. Des niveaux de prix qui conduisent Jean-Pierre Micholet, patron de Micholet Métallerie, basé dans la Loire, à facturer entre 15 et 20 % en dessous de son prix de revient. « Nous n'allons pas pouvoir continuer à travailler à perte pendant des mois, prévient le patron de la PME. Aujourd'hui, je n'hésite plus à dire à mes clients, notamment en marché privé, que s'ils ne nous suivent pas, nous ne pourrons pas honorer nos prestations. » Antoine Corré en a bien conscience : tous ses projets en cours sont menacés par le manque de visibilité. « ArcelorMittal vous donne un prix quelques jours avant la livraison quand le produit est disponible. Il est impossible de faire des devis », déplore-t-il. Et si on ne parle pas encore de pénurie, les difficultés d'approvisionnement menacent les chantiers. Exemple chez Sotralentz, fabricant alsacien de treillis soudés et d'éléments de voussoirs qui reçoit des « signaux d'alerte » : par un effet indirect du conflit, l'acier provenant du recyclage de ferrailles d'Europe de l'Ouest est capté par les aciéries de Turquie qui ne peuvent plus se fournir en produits semi-finis qui leur venaient de Russie et d'Ukraine.

Le coût du bitume dérape

La première semaine de mars s'achevait à peine que, déjà, le prix du bitume enregistrait des augmentations de 40 à 50 % par rapport aux moyennes de 2021. Et sa progression sèche, sur un mois glissant, atteint désormais les 25 %. « Cette tendance s'accompagne d'une volatilité tout simplement délirante. Jusqu'alors, les prix étaient fixés au mois. Désormais, ils varient plusieurs fois et dans des proportions impressionnantes sur ce même laps de temps », détaille Bernard Sala, président de la Fédération des entreprises de travaux routiers, Routes de France. A cette flambée s'ajoutent celles du carburant et surtout du gaz, indispensable au fonctionnement des usines d'enrobés.

« Pénuries ponctuelles et localisées ». Face à cet emballement, la crainte de ruptures d'approvisionnement en bitumes émerge dans une France largement dépendante des importations. « Nous n'en sommes pas encore là, même si des pénuries ponctuelles et localisées sont apparues », tempère Bernard Sala. Des contingentements ont notamment dû être mis en œuvre dans la Saône-et-Loire et dans trois départements de l'Auvergne. « Des ressources ont été réaffectées pour éviter des arrêts, détaille Arnaud Frayssinet, président Auvergne Rhône-Alpes de la même fédération professionnelle. En revanche, la Lozère et la Haute-Loire n'ont pas encore connu ces problématiques qui concernaient les chantiers les plus gourmands en bitumes et qui semblent encore épargner les PME. » Mais la saison des travaux routiers ne fait que débuter, et les tensions pourraient se généraliser à compter de mi-juin si la situation restait tendue.

La terre cuite prend un coup de chaud

« L'année 2021 a été une déflagration énorme, 2022 est encore pire ! » Isabelle Dorgeret, directrice générale de la Fédération française des tuiles et briques (FFTB), ne dissimule pas l'épreuve que traverse la filière terre cuite, très dépendante du gaz. Ce dernier représente 87 % de l'énergie nécessaire à la fabrication d'une tuile. « En quelques mois, le prix du gaz a été multiplié par 15 et celui de l'électricité par 10, à quoi s'ajoute l'inflation d'autres matières, comme le manganèse », expose Frédéric Didier, directeur général de Wienerberger France. Roland Besnard, P-DG du groupe Bouyer Leroux, confirme : « On parle de plusieurs dizaines de millions d'euros de surcoûts énergétiques alors que nous réalisons 140 millions d'euros de chiffre d'affaires. » Comme ses concurrents, qui, l'année dernière, avaient en partie absorbé les surcoûts, la Scop s'est trouvée contrainte de répercuter ces hausses sur le prix de ses produits : + 8,5 % au 1er février et + 12 % au 1er juin. Wienerberger a pratiqué une première hausse de 8,5 % en janvier et enchaînera avec une seconde de 16 % en mai. De son côté, Terreal (+ 15 % en janvier et autant en avril) a même décidé d'arrêter trois de ses 25 fours. « Les hausses de prix nous permettront de redémarrer les lignes arrêtées dès le mois d'avril », assure Jean-Baptiste Fayet, son directeur général France.

Pratiques peu reluisantes. Ces industriels, prévoyants, acquièrent le gaz en avance, ce qui permet de limiter les effets des aléas. Mais la forte demande, tant pour le neuf que pour la rénovation, a dépassé les attentes. « En achetant notre gaz pour 2021 et 2022, nous nous sommes crus couverts à hauteur de 80 % de nos besoins, détaille Roland Besnard. Or nous avons été trop prudents : nous ne sommes en définitive couverts qu'à 60 %. Au prix de l'énergie sur le marché, ça fait mal. » De plus petits acteurs font même l'amère expérience de pratiques peu reluisantes, relate Isabelle Dorgeret : « Leurs fournisseurs d'énergie dénoncent les contrats de manière unilatérale, laissant l'industriel confronté aux prix actuels. »

A long terme, la filière compte réduire sa dépendance au gaz grâce à ses engagements de décarbonation : - 27 % de CO2 à horizon 2030 par rapport à 2015 et - 80 % à horizon 2050. Mais, pour l'heure, « on navigue à vue dans un océan déchaîné », résume la directrice générale de la FFTB. Ce manque de visibilité concerne l'évolution du prix de l'énergie au gré de la situation internationale. Les industriels s'inquiètent aussi pour leurs clients. « Les couvreurs et les maçons se trouvent confrontés à des hausses de prix des produits qu'ils sont dans l'incapacité de répercuter auprès des maîtres d'ouvrage. Nous craignons un blocage de la filière », conclut-elle.

La hausse de l'aluminium se profile

Depuis son entreprise de charpente métallique, Jean-Pierre Micholet devine que les menuiseries n'échapperont pas à la hausse générale des prix des matériaux. « Les gammistes nous ont prévenus que les prix augmenteraient à compter du mois de juillet, ce qui nous laisse le temps de prévenir nos clients et de répercuter ces hausses sur nos prix de vente. »

« Manque de communication ». Pourtant, la flambée est déjà là, et elle n'arrive pas seule. « Nous subissons de plein fouet les hausses de prix de l'aluminium, mais nous sommes également très impactés par les hausses de prix du vitrage, précise Sandra Bertin, déléguée générale du SNFA, qui regroupe les entrepreneurs et les industriels des menuiseries extérieures en aluminium. Les situations les plus critiques concernent les marchés privés, conclus à prix fermes et non révisables par nos PME ou ETI qui fabriquent et installent des menuiseries extérieures et des façades-rideaux. » Sous couvert d'anonymat, un patron d'entreprise déplore « le manque de communication des leaders du vitrage. On se doute bien, au regard des tensions enregistrées sur le marché de la terre cuite, que le vitrage subira le même sort. »

Le carrelage aux pieds d'argile

La guerre en Ukraine a provoqué un double choc pour la filière. D'abord, le carrelage est, comme les autres, touché par la hausse du coût de l'énergie. Mais en plus, le kaolin, matière première indispensable, provient majoritairement d'Ukraine. « Aujourd'hui, la guerre en bloque l'arrivée sur les territoires italien et espagnol où elle est principalement transformée, constate Vincent Rappaport, directeur général du groupement de négociants Carrelage & Bain. On observe actuellement la fermeture de plusieurs usines de fabrication. Conséquences : certains produits ne sont déjà plus disponibles. » Le spécialiste de la maison individuelle Hexaom craint la suite. « A cet instant, nous n'avons pas de problème de disponibilité. Mais on s'y prépare », confie Hervé Chavet, directeur technique et R & D du groupe.

Le prix du bois flambe

La forêt européenne est devenue la réserve où vient s'approvisionner le reste du monde. « Les Chinois ont gelé leur forêt pour protéger leurs ressources. Les Etats-Unis ont instauré une taxe sur les bois d'œuvre canadiens qui a encore doublé fin 2021. La demande américaine s'est tournée massivement vers l'Europe avec des conséquences ahurissantes. Outre l'impact environnemental, même avec le prix du fret qui a triplé, il est devenu moins cher de se fournir sur le Vieux Continent qu'au Canada », s'étrangle Benoît Cauchard, responsable technique menuiserie intérieure et agencement au sein de l'Union des métiers du bois de la FFB. Résultat, depuis un an, les hausses de prix n'en finissent plus.

« Les délais normaux ont quasi quadruplé ». « Depuis la guerre en Ukraine, et en une semaine, les cubages ont augmenté encore de 150 à 200 €. C'est assez violent », souffle Franck Bernigaud, président de la Fédération des distributeurs de matériaux de construction (FDMC). Chez le négociant en bois Lababois, dans le plan de vente et sur une année glissante, la hausse est fulgurante : + 35 % en moyenne. « Elle est de 120 % pour le bois lamellé, 100 % pour l'agglo et autour de 50 % pour le contreplaqué », détaille son directeur général, Denis Labadens. « Et ce n'est pas fini. Il y a encore des annonces d'augmentation », poursuit-il. Ce dernier alerte sur un autre point noir : « Les délais normaux sont passés d'un mois à trois, voire quatre. Par anticipation, nous avons augmenté nos stocks de 30 %. » Ce qui continue d'accroître les tensions sur les prix.

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