Tribune

Les pièges de la garantie subséquente dans les assurances facultatives

Où l’on constate que plutôt que de s’assurer chez certains assureurs exotiques, il vaut mieux ne pas s’assurer du tout !

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L’article L. 242-1 du Code des assurances énonce que toute personne physique ou morale qui fait réaliser des travaux de construction doit souscrire une assurance DO avant l’ouverture du chantier.

Deux arrêts, rendus à quelques semaines d'intervalle, sont venus apporter récemment un éclairage nouveau sur la garantie subséquente qui s’applique dans les assurances facultatives de responsabilité civile. Rappelons que cette garantie a pour objet de couvrir les réclamations postérieures à la résiliation du contrat d’assurance, mais se rattachant à des faits dommageables antérieurs.

En vigueur depuis quelque 20 ans (loi dite de sécurité financière du 1er août 2003, article L. 124-5 du Code des assurances), les règles qui régissent le fonctionnement de la garantie dans le temps s’appliquent depuis lors dans la pratique quotidienne de la gestion des sinistres, sans soulever de difficulté majeure d’interprétation. Les précisions récentes apportées par la Cour de cassation méritent d’autant plus d’être notées !

Rappel du droit positif

En vertu de l'article L. 124-5 précité, la garantie du contrat d’assurance est susceptible d’être déclenchée soit par la date du fait dommageable, soit par celle de la réclamation. Dans ce dernier cas, qui est presque systématiquement celui retenu dans les contrats délivrés dans le domaine de l’assurance construction, la garantie couvre l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres, dès lors que  le fait dommageable est antérieur à la date de résiliation ou d'expiration de la garantie  et que la première réclamation est adressée à l'assuré ou à son assureur entre la prise d'effet initiale de la garantie et l'expiration d'un délai subséquent à sa date de résiliation.

En matière de responsabilités des constructeurs, ce délai subséquent est de dix ans (art R.124-2).

Coexistent donc, dans les contrats d’assurance de responsabilité délivrés aux constructeurs, deux modes de fonctionnement des garanties :

► En ce qui concerne la responsabilité décennale obligatoire, la garantie est nécessairement délivrée pour une durée ferme, le critère de rattachement étant celui de l’ouverture du chantier : c’est le principe de la capitalisation (article L. 241-1 du Code des assurances).

► En ce qui concerne les assurances facultatives, les clauses contractuelles prévoient presque systématiquement que sont garanties les réclamations formulées pendant la période de validité du contrat d’assurance, mais doivent alors également être prises en charge les réclamations formulées durant le délai de 10 ans subséquent à la résiliation.

Dans les deux cas, même si les conditions et l’étendue des garanties sont différentes, le contrat d’assurance a vocation à poursuivre ses effets après résiliation pendant la période d’exposition au risque pour l’assuré.

Néanmoins, l’article L. 124-5 précise : « Toutefois, la garantie ne couvre les sinistres dont le fait dommageable a été connu de l'assuré postérieurement à la date de résiliation du contrat ou d’expiration de la garantie que si, au moment où l'assuré a eu connaissance de ce fait dommageable, cette garantie n'a pas été resouscrite ou l'a été sur la base du déclenchement par le fait dommageable ».

La solution est logique puisque le mécanisme de la garantie subséquente, particulièrement précieux - aussi bien pour l’assuré lui-même que pour les tiers victimes - lorsqu’un professionnel cesse ses activités, ne se justifie plus, a priori, dans le cas où ce même professionnel change simplement d’assureur et souscrit un nouveau contrat en base réclamation : ce nouveau contrat permettra en effet la couverture des réclamations nouvelles formulées postérieurement au changement d’assureur au titre de la reprise du passé inconnu.

Les précisions apportées par la Cour de cassation

C'est précisément sur les conditions dans lesquels la souscription d'une nouvelle garantie en base réclamation met fin à la garantie subséquente du précédent contrat que portent les deux arrêts rendus récemment par la Cour de cassation.

Dans le premier (Cass. 3e civ., 12 octobre 2022, n° 21-21427, publié au Bulletin), une entreprise avait choisi de quitter Axa pour s'assurer chez Elite Insurance, assureur basé à Gibraltar et dont on sait qu'il a été, depuis lors, liquidé.

Les travaux ayant été effectués alors que l'entreprise était assurée chez Axa, l'assuré tentait de faire jouer la garantie de ce dernier assureur, non seulement au titre de l’assurance obligatoire, c’est-à-dire de la réparation des dommages décennaux, en l’occurrence la reprise des infiltrations affectant la toiture, mais aussi, au titre de la garantie subséquente pour les réclamations relevant des garanties complémentaires, en l’occurrence des dommages matériels aux existants et des dommages immatériels.

Cette dernière prétention est rejetée au motif que la souscription d'une nouvelle garantie en base réclamation, auprès d'un nouvel assureur, met irrévocablement fin à la période de garantie subséquente attaché au contrat initial. S’il s’était contenté de résilier son premier contrat sans en souscrire de nouveau, l’assuré aurait pu bénéficier de la garantie subséquente d’Axa !

Les faits qui ont donné lieu au second arrêt (Cass. 3e civ., 30 novembre 2022, n° 21-17161) sont un peu plus complexes, mais la logique reste la même. En l'espèce, un bureau d'études était intervenu en tant que maître d’œuvre d’exécution sur un chantier alors qu’il était assuré auprès de la SMABTP, avant de résilier son contrat pour s'assurer auprès des Lloyd's de Londres. Quelques mois plus tard, le contrat Lloyd’s est lui-même résilié, pour non-paiement de prime, avant d'être remis en vigueur. Entretemps, l’assuré avait eu connaissance des désordres qui font l’objet du litige, à savoir d’importantes arrivées d’eau qui ont révélé, en cours de chantier, le caractère inondable du second sous-sol.

Quid des garanties mobilisables ? La Cour de cassation écarte la garantie subséquente attachée au contrat délivré par la SMABTP et retient en revanche la mise en jeu de la garantie subséquente attachée au contrat initialement délivré par les Lloyd’s de Londres.

« Ayant constaté qu'un nouveau contrat en base réclamation avait été souscrit auprès de la société Les Souscripteurs du Lloyd's de Londres, le 13 avril 2004, avec une prise d'effet au 1er mars 2004, offrant les mêmes garanties que le contrat de la SMABTP, et souverainement constaté qu'à cette date, l'assurée n'avait pas connaissance du fait dommageable, la cour d’appel a, à bon droit, sans être tenue de procéder à d'autres recherches, mis hors de cause la SMABTP et condamné la société Les Souscripteurs du Lloyd's de Londres à garantir le dommage, dès lors que la première réclamation avait été adressée à cet assureur entre la prise d'effet initiale de la garantie et l'expiration du délai subséquent de dix ans, peu important que ce contrat, d'abord résilié le 29 août 2005 ait été ultérieurement remis en vigueur dans des conditions contestées par l'assureur, dès lors que celles-ci étaient sans incidence sur la validité de la garantie souscrite du 1er mars 2004 au 29 août 2005 ». 

En résumé, d’une façon qui nous semble s’inscrire parfaitement dans la logique de la loi, même si le résultat peut paraître surprenant :

► C’est la décision prise par l’assuré, au moment de la résiliation du premier contrat, consistant à resouscrire ou non une garantie en base réclamation, qui fige la situation.

► La souscription d’une nouvelle garantie en base réclamation met fin, irrévocablement, à la garantie subséquente dont aurait pu bénéficier l’assuré au titre du contrat initial.

► Peu importe que le nouveau contrat soit souscrit auprès d’un assureur qui se révèle ultérieurement défaillant.

► La résiliation d’un contrat d’assurance par l’assureur pour non-paiement de prime se traduit par le déclenchement de la garantie subséquente (sauf si, hypothèse peu vraisemblable, l’assuré souscrit au même moment un nouveau contrat).

► La remise en vigueur d’un contrat d’assurance, préalablement résilié pour non-paiement de primes, n’affecte pas la garantie subséquente attachée à la période de garantie initiale.

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92 - La Garenne-Colombes
Date de réponse 16/10/2025