Les maîtres d'ouvrage à la recherche du bon modèle

Massifier le recyclage et le réemploi suppose de lever les freins réglementaires et financiers, mais aussi d'identifier les ressources disponibles sur les territoires.

 

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Avec l'adoption de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, promulguée le 10 février, la filière du bâtiment va devoir prendre à bras-le-corps la question du recyclage et du réemploi sur ses chantiers. La commande publique est très attendue du législateur sur ce sujet : « Dans le domaine de la construction ou de la rénovation de bâtiments, elle prend en compte les exigences de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et de stockage du carbone et veille au recours à des matériaux de réemploi ou issus des ressources renouvelables », prévoit désormais l'. Il lui est aussi demandé de considérer la performance environnementale des produits, et « en particulier leur caractère biosourcé ».

Conscients du rôle qu'ils seraient appelés à jouer, les acteurs publics n'ont pas attendu la loi pour lancer des projets pilotes. Parmi les chantiers les plus emblématiques de ces dernières années figurent la réhabilitation de la caserne Mellinet à Nantes (Loire-Atlantique), grâce à laquelle plus de 1 200 m3 de pierre naturelle et de bois de charpente seront en partie réutilisés localement, ou encore le centre de recyclage Le Havre Nord (Seine-Maritime) paré de briques issues de la démolition d'une école.

« Favoriser les circuits courts. » « Les collectivités sont d'autant plus portées sur l'économie circulaire que celle-ci favorise a priori les circuits courts, l'emploi local et les entreprises d'insertion », analyse Pierre Paulot, directeur de la maîtrise d'ouvrage du groupe 3F. Le bailleur a lui-même lancé plusieurs projets de réemploi dont le plus important se situe dans le XIe arrondissement de Paris, rue Amelot : la reconversion d'un garage en 138 logements, confiée à l'agence Gaëtan Le Penhuel & Associés et Sam Architecture. Lauréat du concours Réinventer Paris 2, le programme - au stade du permis de construire - conserve 45 % du bâti existant pour limiter l'impact environnemental de la démolition et du gros œuvre. La plate-forme Cycle Up a été mandatée pour assurer le réemploi in situ d'éléments déposés dans l'ancien bâtiment (garde-corps, escaliers, dalles béton utilisées en remblais et cloisons), ainsi que la vente sur d'autres chantiers d'éléments de structures métalliques et d'aménagement (portes, luminaires… ).

A Toulouse (Haute-Garonne), le groupe des Chalets s'est lui aussi lancé dans l'aventure avec sa résidence étudiante L'Annexe, confiée à Letellier Architectes. Situé dans l'ancien siège de la Mutualité sociale agricole, le programme livré en octobre 2019 compte 153 logements équipés à 80 % de meubles issus de la récupération et/ou fabriqués à partir de matériaux recyclés. « Ce choix fait écho à la conservation de la structure béton du bâtiment : dans les deux cas, il s'agit de donner une seconde vie à ce qui peut être réemployé », souligne Sandrine Diaz, responsable du développement des services aux habitants du groupe des Chalets. Un prestataire toulousain, Merci René, a réalisé l'étude de faisabilité et fourni le mobilier, appuyé par un réseau de 13 entreprises pour la plupart locales et issues de l'économie sociale et solidaire. L'Ademe et la région Occitanie ont, quant à elles, financé la phase exploratoire et commandé une étude d'impact qui permettra de connaître avec précision les gains environnementaux, sociaux et économiques de l'approche.

Les acteurs publics n'ont pas attendu la loi pour lancer des projets pilotes.

Changer d'échelle. Prêts à tester des solutions d'économie circulaire, les maîtres d'ouvrage publics s'interrogent néanmoins sur son application à plus grande échelle. « L'expérimentation E + C - et la future Réglementation environnementale 2020 ont fait entrer dans les mentalités l'analyse du cycle de vie (ACV) et le bilan carbone. Nous savons qu'il nous faudra intégrer, dès la phase de conception, la gestion des matériaux en fin de vie, et choisir ceux avec la meilleure recyclabilité, résume Pierre Paulot. L'économie circulaire ouvre des pistes intéressantes, mais nous manquons encore de retours d'expérience en termes financiers mais aussi techniques et juridiques. » Plus encore que le coût, encore incertain en phase expérimentale, le flou réglementaire est perçu comme le principal frein au déploiement de matériaux issus du réemploi. Confronté aux normes de construction et aux exigences assurantielles, le donneur d'ordres a tendance à préférer des produits neufs. Constituée en coopérative d'architecture depuis décembre 2019, l'association Bellastock s'est penchée sur la problématique en coordonnant le programme de recherche Repar 2 sur l'économie circulaire appliquée au bâtiment, en partenariat avec l'Ademe et le CSTB. Basées sur 14 retours d'expériences en chantiers pilotes et publiées en 2018, ses conclusions soulignent l'importance d'une responsabilisation mutuelle des acteurs. « Le travail hors normes n'est pas un travail hors règles : les assureurs acceptent de valider une approche non standard si on leur explique l'utilisation des produits de réemploi », constate Julie Benoît, responsable études et recherches chez Bellastock.

Le développement, ces deux dernières années, de plates-formes de réemploi facilite ces échanges par la qualification des matériaux collectés. Selon Julie Benoît, l'enjeu pour le maître d'ouvrage porte davantage sur l'association de ses services à l'approche d'économie circulaire et l'actualisation des pratiques opérationnelles : « Travailler en réemploi implique de repréciser la mécanique contractuelle avec les différents acteurs, et les chaînes de responsabilité : qui fait quoi, sur quels produits, dans quels phasages… »

Inventer des outils. Parmi les acteurs publics volontaristes, le bailleur nordiste Maisons & Cités (64 000 logements) a choisi de monter en puissance sur l'économie circulaire parallèlement au développement de filières locales de recyclage. Dans son parc composé à 95 % de maisons individuelles, les briques et tuiles déposées lors de réhabilitations étaient valorisées de longue date mais, dès cette année, il imposera le recyclage des menuiseries PVC. « Depuis un an, une clause était présente dans nos cahiers des charges, mais en variante, pour sensibiliser nos équipes et les entreprises de travaux, indique Franck Mac Farlane, responsable recherche et expertise chez Maisons & Cités. Maintenant que nous avons identifié un prestataire local en capacité de recycler ces menuiseries, nous intégrons l'obligation de recyclage dans l'analyse des offres. » Prochaine étape : les équipements techniques. Maisons & Cités a déjà demandé à ses fournisseurs de VMC et chaudières de lister les composants susceptibles d'être réutilisés.

Un clausier sur les matériaux recyclés et de réemploi est prêt à être copié-collé.

Reste que la rédaction d'un cahier des clauses techniques particulières (CCTP) spécifiant l'obligation de recyclage ou de réemploi constitue une étape complexe d'un point de vue technique et juridique. Pour accompagner les maîtres d'ouvrage, l'Association Aquitaine des achats publics responsables (3AR) et le centre privé de recherche appliquée Nobatek ont donc mis au point un clausier « Matériaux recyclés et de réemploi », ainsi que deux inventaires dédiés l'un aux produits recyclés pour la construction et l'autre aux fabricants identifiés dans le sud Aquitaine.

Finalisé à l'automne 2019, le premier document est libre d'accès. « Les filières du bâtiment travaillent la plupart du temps en flux tendus. L'objectif était donc de créer un outil qui facilite la vie des maîtres d'œuvre et maîtres d'ouvrage avec des clauses toutes faites à copier- coller, explique Benjamin Laclau, expert en économie circulaire pour Nobatek. Il ne s'agit pas d'un outil exclusif : chaque clause peut être adaptée à son contexte régional, en intelligence avec le tissu industriel existant. »

Créer un écosystème local. Difficile d'exploiter le potentiel des « mines urbaines » que constituent les déchets du bâtiment sans entreprises en capacité de collecter et valoriser ces déchets, ni lieux pour les stocker. « C'est là que les collectivités peuvent faire jouer leur plus grande richesse : le levier foncier. L'économie circulaire a besoin de lieux pour faire émerger des acteurs économiques et des savoir-faire locaux, en capacité de répondre à des appels d'offres », insiste Julie Benoît. Bellastock coordonne depuis 2017 le projet Métabolisme urbain pour Plaine Commune (Seine-Saint-Denis), avec l'objectif de créer un écosystème local complet sur l'économie circulaire : plates-formes de tri et valorisation, déploiement et monté en compétence de filières locales… « Fabriquer un morceau de ville prend dix ans : planifier très en amont, et à l'échelle du territoire, rassure les acteurs et leur permet d'investir plus facilement dans le réemploi », conclut Julie Benoît.

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