L'inflation risque-t-elle de donner un coup de frein à l'investissement public local ?
Oui, d'autant plus qu'en moyenne, la hausse des prix touche la construction avec plus de force que les autres secteurs.
Le BTP consomme beaucoup de matières premières importées et intenses en énergie. Forcément, ces évolutions poussent les collectivités à s'interroger. Nos prévisions pour 2022 montrent que la dynamique d'investissement va croître de 6,9 % sur un an. Cependant, la hausse des prix risque d'en neutraliser les effets.
La priorité à la transition écologique va-t-elle pousser à sacrifier d'autres secteurs, comme la culture ?
Pas forcément ! La rénovation énergétique, par exemple, va s'imposer à toutes les catégories de bâtiments, y compris culturels. Nous poussons à la priorisation des ouvrages les plus énergivores. Notre outil digital Prioréno facilite cette sélection en restituant en temps réel les consommations des bâtiments comptabilisées par Enedis et GRT Gaz.
Cette sélection peut faire ressortir aussi bien une piscine ou un gymnase qu'un musée ou une médiathèque. Je n'opposerais donc pas la culture à la transition écologique.
Comment résumeriez-vous la contribution de la Banque des territoires à la transition écologique ?
La rénovation énergétique en compose le premier volet, dans les bâtiments publics, mais aussi dans les logements sociaux, dont nous sommes le principal financeur.
Dans le cadre de notre plan de relance, cet effort massif a déjà permis de rénover 240 000 logements sociaux, en application du principe selon lequel l'énergie la moins chère est celle qu'on ne dépense pas. Le second volet concerne la production d'énergies renouvelables. La Banque des territoires finance 20 à 25 % des capacités additionnelles. Une grosse partie se porte sur les panneaux photovoltaïques, comme la centrale de Labarde, à Bordeaux (Gironde). Implantée sur une ancienne décharge, elle produira la quantité d'électricité équivalente à la consommation d'un Bordelais sur sept. Nous participons aux grands projets offshore, alors que la part de l'éolien terrestre dans les projets nouveaux diminue. Nous contribuons aussi à développer la filière méthane dans les régions agricoles. Enfin, notre soutien aux collectivités se focalise sur le renouvellement de la flotte de transport public, à travers le remplacement du thermique par l'électrique, parfois alimenté par l'hydrogène. Sur cette dernière filière, Dijon développe une démarche exemplaire du point de vue des circuits courts : l'énergie produite par l'incinérateur alimente les bennes à ordure en hydrogène vert.
La Banque des territoires vient-elle compléter le Fonds vert pour alimenter le financement des investissements publics locaux dans la transition écologique ?
Nous y travaillons. Mais soyons précis : le Fonds vert apporte des subventions, tandis que la Banque des territoires attend un remboursement quand elle prête, et une rentabilité quand elle investit, bien qu'elle soit moins importante que celle des acteurs privés. L'articulation avec le Fonds vert vise à générer un effet de levier. Par exemple, lorsqu'il s'agit de reconvertir une friche, nous pouvons financer une dépollution additionnelle qui rendra possible l'implantation de locaux tertiaires et de logements.
Quelle appréciation portez-vous sur l'évaluation environnementale des dépenses publiques à travers les budgets verts ?
A côté des calculs de rentabilité financière que tout le monde connaît, cet outil extra-financier permet une évaluation au regard des critères dits ESG, qui concernent l'environnement, le social et la gouvernance. De plus en plus, la Banque des territoires soumet ses investissements ou ses prêts à cette double grille d'analyse. Cela permet d'évaluer les externalités positives, du point de vue du carbone et de la biodiversité.
La réglementation européenne sur la taxonomie verte se réfère également aux critères ESG. Va-t-elle impacter les budgets publics locaux ?
Incontestablement, et nous suivons sa mise en place de très près. Cette réglementation impliquera tout le monde de la finance. Certes, les collectivités locales en parlent encore peu, mais comme la prose pour Monsieur Jourdain, elles la pratiquent déjà, quand elles prennent à cœur la réduction de leur facture énergétique, quand elles affirment leur préférence pour les circuits courts ou quand elles investissent dans la lutte contre les fuites de leurs réseaux d'eau.
Les collectivités ont-elles suffisamment pris la mesure de la nécessité d'investir pour la biodiversité ?
Pas assez. L'énergie conduit facilement à une prise de conscience, en raison des coûts. Mais le vivant n'envoie pas de facture ! Certes, CDC Biodiversité se développe bien, mais pas autant qu'il le faudrait. Il existe de belles références, comme le réaménagement du marais de Tasdon, à La Rochelle (Charente-Maritime), mais cela ne suffit pas.
Il est toutefois regrettable que la biodiversité serve parfois de prétexte pour bloquer des projets d'intérêt général.
Je pense au CDG Express. En vingt minutes, un train électrique reliera la gare de l'Est à l'aéroport Charles-de-Gaulle, sur le modèle que connaissent toutes les métropoles.
Cette infrastructure remplacera 8 000 taxis qui, chaque jour, saturent l'autoroute A1 et occasionnent une pollution monstrueuse. Malgré cette contreperformance écologique, le projet a pris six mois de retard, en raison d'un recours porté par la commune de Mitry-Mory (Seine-et-Marne) pour protéger le lézard des ballasts !
« Il est regrettable que la biodiversité serve parfois de prétexte pour bloquer des projets d'intérêt général. »
Les solutions fondées sur la nature peuvent-elles réduire les besoins d'investissement dans l'eau, en raison de leur vertu multifonctionnelle et de leurs avantages coût-bénéfices ?
Eligibles à nos prêts, les opérations concernées répondent au double défi climatique : réduire ses effets, c'est-à-dire éviter l'ingérable, et s'adapter, c'est-à-dire gérer l'inévitable. Notre événement Printemps des territoires a mis en valeur les vertus de la désimperméabilisation. Valérie Pécresse, la présidente de la région Ile-de-France, nous a présenté son plan de suppression du béton dans les cours d'école. Le verdissement des quartiers prioritaires des politiques de la ville contribue également à prévenir le ruissellement, tout en rafraîchissant les îlots de chaleur urbaine.
Identifiez-vous d'autres leviers qui seraient susceptibles d'accélérer les efforts des collectivités pour la transition écologique ?
La transition écologique exige des investissements considérables qui s'amortissent sur un temps très long.
Grâce au livret A, la Banque des territoires peut supporter des prêts à trente-cinq ou quarante ans. Mais les collectivités ont-elles à l'esprit ce type de durée ? Autant les Français se sont habitués à emprunter sur vingt-cinq ans pour leurs biens immobiliers, autant nombre d'élus continuent de penser qu'une bonne gestion exclut l'endettement. Or, c'est faux.
Sous prétexte d'éviter une dette financière, ils prennent le risque de contracter une dette écologique, sous forme de passoires thermiques, de pollution ou de chaleur urbaine. C'est pourquoi je voudrais leur dire que la transition écologique passe par l'acceptation de financements de longue durée.