900 millions d’euros. C’est le coût des dégâts causés sur les constructions par la sécheresse en France sur l’année 2023, estimé par la Caisse centrale de réassurance (CCR) ce mardi 17 octobre.
Une facture essentiellement liée au phénomène de retrait-gonflement des argiles (RGA) et des mouvements de terrain occasionnés par l’alternance de périodes de pluie et de sécheresse, qui fragilisent les maisons individuelles. Cette estimation est entourée d'encore quelques incertitudes : elle pourrait ainsi osciller dans une fourchette comprise entre 750 millions et 1 milliard d’euros. « Cette année a été chamboulée par une météo changeante, marquée par les pics de chaleur et l’assèchement continu de ce mois de septembre », nuance ainsi Edouard Viellefond, directeur général chez CCR. Météo France indique que septembre 2023 a été le mois de septembre le plus chaud sur l’Hexagone depuis 1900.
Ce coût qui « par rapport à la normale s’avère déjà important » selon le directeur général de CCR, reste cependant inférieur à celui, record, de l’année 2022, revu à la hausse et désormais fixé dans le marbre à 3,5 milliards d’euros. « Cette année-là, sur les 8600 demandes de reconnaissance des communes du régime "Cat Nat" au titre de la sécheresse, 6370 d’entre elles ont reçu un avis favorable, soit un taux s’élevant à 74 %. Du jamais vu », indique par ailleurs José Bardaji, directeur statistique et recherche économique chez France Assureurs. Pour mémoire, 4 437 communes étaient reconnues "Cat Nat" en 2003.
Une sinistralité croissante
Pourquoi une telle hausse ? L’année 2016 marque une rupture significative. Depuis cette date les sécheresses de grande ampleur se succèdent et la sinistralité connaît une forte croissance. « La part afférente à la sécheresse parmi les différents périls couverts par le régime Cat Nat a atteint les 60 % sur les huit dernières années », détaille Sarah Gérin, directrice de la Mission risques naturels (RMN).
La sécheresse s’étend aussi progressivement sur le territoire, au-delà du croissant argileux [zone allant du Var au Centre-Val de Loire en passant par le bassin de la Garonne ; la Lorraine et une grande partie de l'Ile-de-France sont aussi concernées, ndlr]. Les régions Grand-Est, Bourgogne Franche-Comté et Auvergne-Rhône-Alpes ont vu leurs charges annuelles moyennes se multiplier par 10 depuis 2016. « En 2022, même les Côtes-d’Armor, le Finistère et la Corse du Sud ont été touchés pour la première fois de l’histoire », déplore José Bardaji. Désormais, 11 millions de maisons individuelles, soit plus de la moitié des bâtisses françaises, sont exposées au risque RGA, dont 3,3 millions qui sont situées en zone d’exposition forte.
Et la situation ne devrait pas aller en s'améliorant. D’après une étude du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) de 2018, une sécheresse comparable à celle de 2003 devrait survenir une année sur trois entre 2020 et 2050.
À cet horizon d'ailleurs, le CCR estime, dans une nouvelle étude sur l’impact du changement climatique sur les dommages assurés au titre du régime Cat Nat (réalisée en partenariat avec Météo France à partir des données du Giec), que le coût moyen annuel pourrait atteindre 1,5 milliard d’euros par an, soit un triplement par rapport à la moyenne évaluée dans les années 2000 à 466 millions d’euros. L’estimation de France Assureurs est dans le même ordre d’idées. Elle a fait l’addition pour la période 2020 – 2050, pour atteindre « 43 milliards d’euros, soit trois fois plus que les trente précédentes années », indique Florence Lustman, présidente de la fédération.
Quelles solutions pour diminuer la facture ?
Ces montants sont, comme expliqués précédemment, liés aux réparations des maisons construites sur des sols argileux. Le problème étant que les techniques actuelles invasives s’avèrent couteuses tant en poids carbone qu’en termes économiques : « 7 tonnes de CO2 émis et 10 à 15 000 euros de travaux sont estimés pour les techniques d’agrafage des fissures et de reprise de parement, jusqu’à 77 tonnes de CO2 émis et 150 000 euros de travaux pour le renforcement des fondations par micropieux », estime François Estrade, directeur formation de la compagnie des experts. « Et les délais, entre le moment de la déclaration du sinistre par l'assuré et les travaux de réparation, atteignent en moyenne trois ans, un temps difficilement compressible », rappelle Jean-Vincent Raymondis, vice-président de la Fédération des Sociétés d'Expertise.
Pour diminuer la facture, France Assureurs, qui se limitait à réaliser des études pour mieux appréhender le risque, « a franchi un pas de géant », selon les mots de sa présidente Florence Lustman. Elle a annoncé le 12 septembre le lancement d'un test grandeur nature baptisé "Initiative Sécheresse" visant à évaluer sur cinq ans l'efficacité de quatre types de solutions (et plus particulièrement les techniques dites horizontales qui visent à agir sur l'environnement dans lequel s'inscrit sur la bâtisse) pour lutter contre ce fléau.
L’ordonnance dite « retrait-gonflement des argiles » du 8 février 2023, prévoit des mesures additionnelles à la loi 3DS afin d’augmenter le nombre de communes éligibles à la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle : la prise en compte de sècheresses successives, de la situation des communes adjacentes aux communes reconnues en état de catastrophe naturelle, et l’assouplissement des critères de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. Ces mesures doivent entrées en vigueur au 1er janvier 2024. La réforme est aussi assortie d’un volet sur les modalités de réalisation de l’expertise désigné par les assureurs, qui doit être mis en vigueur 1 an plus tard, au 1 er janvier 2025.