Sa statue trône toujours sur la place principale de la ville. Au grand homme que fut pour elle le duc Decazes (1780-1860), Decazeville reste reconnaissante : elle lui doit sa création. Avant son arrivée, seuls les travaux agricoles faisaient vivre cette vallée de l'Aveyron, même si la présence de filons de charbon était connue depuis le XVe siècle. Ancien ministre de Louis XVIII, Elie Decazes a su jouer de son charme pour faire carrière. Homme d'affaires opportuniste, il profite de son accès privilégié à des rapports officiels attestant de l'existence de gisements de minerai de fer pour créer, en 1826, la Société des houillères et fonderies de l'Aveyron. Et dans son sillage, industriels et propriétaires terriens s'activent à faire fructifier leurs intérêts, obtenant en particulier la création d'une commune autonome en 1833. Mais pour eux, le confort des ouvriers demeurera une question secondaire.
Création ex nihilo. Le lien entre la compagnie de Decazes et la ville est si fort que la mairie et une petite école sont d'abord implantées dans l'usine. Mais côté habitat, rien ou presque n'est prévu. « La ville se crée pratiquement ex nihilo, sans planification urbaine. La compagnie ne construit que trois casernes de logements, notamment pour les sidérurgistes qu'on fait venir du Royaume-Uni pour leur maîtrise de la production du fer », rapporte Alain Alonso, premier adjoint au maire de Decazeville. En quelques années, la population explose. De 800 habitants avant l'ouverture de l'usine, elle passe à 4 500 en 1840, entraînant l'émergence d'une ville-champignon sur le rare foncier disponible dans un site aussi escarpé. L'habitat se concentre dans la partie haute de la commune, près de l'usine, tandis que de premiers équipements apparaissent en contrebas. « L'église est la priorité des autorités, pour donner une âme et un rayonnement à la ville : sa construction démarre dès 1847, indique Alain Alonso. La première véritable école pour garçons n'est bâtie que trente ans plus tard, puis un abattoir et, enfin, la nouvelle mairie à partir de 1886. » Les édiles républicains, élus après 1870, veulent affirmer la domination du politique sur le patronat. Les chantiers qu'ils lancent en sont le symbole : l'hôtel de ville est construit en surplomb de l'usine. L'expansion urbaine de la cité est aussi soumise aux soubresauts de l'économie, d'une grève des mineurs, qui aboutira au lynchage d'un sous-directeur en 1886, à la reprise de l'activité à la fin du XIXe . Néanmoins, les industriels persistent à ignorer la question du logement, et le sujet ne sera réellement pris en compte qu'après la Première Guerre mondiale et l'élection de Paul Ramadier à la mairie, en 1919. Il sera à l'origine du premier office HLM de l'Aveyron dans les années 1930, pour gérer un modeste parc de maisons ouvrières jumelles.

Impact de l'industrie sur l'urbanisme. Les mines et les hauts-fourneaux sont maintenant fermés depuis plusieurs décennies. « Mais même mortes, les activités industrielles continuent à peser sur l'urbanisme, insiste Alain Alonso. Nos municipalités sont les héritières des politiques menées par les compagnies, avec des problématiques persistantes sur la pollution des sols et la gestion des cours d'eau. »