La formule de « l’aménageur assembleur » a fait mouche, aux 10èmes Entretiens de l’aménagement, réunis les 23 et 24 juin à Clermont-Ferrand.
Utilisée dès la séance plénière d’ouverture par Bernard Bletton, directeur général de la Société d’économie mixte (Sem) Sedia BFC basée à Besançon, elle s’applique à la « grappe d’outils » qu’il déploie pour couvrir les besoins de territoires carencés en ingénierie et dans lesquels le secteur privé ne trouve pas de rentabilité à court terme, faute d’accompagnement public.
Aménageur assembleur
A travers des sociétés publiques locales (SPL) ou des Sem patrimoniales, la stratégie s’adapte aux territoires en déprise industrielle ou agricole : le pays de Montbéliard et les départements ruraux de la Haute-Saône et du Jura bénéficient des prestations qui vont du conseil en amont à la livraison de bâtiments d’activités ou de services, en passant par l’aménagement.
Ce modèle séduit des métropoles qui y trouvent le moyen de prouver les services qu’elles rendent aux franges de leur territoire.
Directrice générale de Brest Métropole Aménagement, Claire Guinéheuf témoigne de la profondeur du changement : « Nous avions l’habitude des projets complexes à l’intérieur de la ville centre. En 2017, la création d’une filiale spécialisée dans la rénovation thermique des bâtiments publics a révélé l’ampleur de la demande des communes : au-delà de la reprise d’un patrimoine obsolète, tous les maires nous parlent de la revitalisation de leur centre ».
Approche multi-scalaire
L’hôte des 10èmes rencontres n’est pas en reste, comme l’illustre la SPL Clermont Auvergne, avec son agence déconcentrée dans l’Allier : « Avec sa grappe, Bernard Bletton est mon modèle », s’enthousiasme son directeur Rachid Kander.
Déterminé à entraîner l’ensemble de sa région métropolitaine dans la candidature au titre de capitale européenne de la culture en 2028, le maire de Clermont-Ferrand Olivier Bianchi a donné les deux clés de la diversification des territoires et des compétences de l’aménageur : une vision globale et une approche multi-scalaire.
La réponse à cette nouvelle commande politique passe par une maîtrise d’œuvre elle aussi en voie de régénération : les « urbanistes aux pieds nus », comme les désigne affectueusement l’architecte urbaniste en chef de l’Etat Ariella Masboungi, animatrice du groupe de travail sur les « Territoires oubliés » qui a puissamment contribué à nourrir les 10ème entretiens, avec 25 séances et 200 participants.
Sortir du périmètre bâti
Parmi les territoires oubliés en voie de réenchantement, le village du Rouget (Cantal) illustre la capacité ces "urbanistes aux pieds nus" à faire émerger des commandes latentes : « Pendant les 15 premières années de l’implantation de notre agence, la mairie nous a demandés régulièrement des interventions ponctuelles, jusqu’au moment où nous l’avons convaincue que seul un projet global donnerait du sens à nos prestations », relate Simon Teyssou, fondateur de l’Atelier du Rouget et directeur de l’école d’architecture de Clermont-Ferrand. Grâce à des liaisons douces et végétalisées, le regroupement des équipements publics donne son identité au centre du village.
Pour réveiller les territoires oubliés, ces urbanistes n’hésitent pas à sortir du périmètre bâti, comme l’explique l’architecte Pierre Janin, cofondateur de l’agence Fabriques architectures paysages avec son frère paysagiste Rémi, à propos de la station de ski de Chalmazel (Loire) : « Pour recréer le lien rompu entre l’espace urbain et son environnement, il faut repenser l’ensemble du territoire : l’estive, la forêt, les espaces agricoles et le fonds de vallée ».
Après avoir redessiné leur propre exploitation familiale pour l’ouvrir aux promeneurs urbains et décroché à cette occasion un prix spécial au grand prix national du paysage en 2016, les deux fils d’agriculteurs s’attaquent sans complexe à un tabou : « L’agriculteur se voit comme le seul aménageur légitime de son terrain. Je crois au contraire à la nécessité d’une appropriation collective de ces espaces de vie », expose Pierre Janin.
Rupture ou transformation
Le défi rural s’intègre au questionnement plus large qui a marqué la clôture des 10èmes entretiens : la transition écologique implique-t-elle une rupture ou une transformation ? Sans surprise, la directrice générale de l’aménagement, du logement et de la nature au ministère de la Transition écologique opte pour la seconde option : « La rupture vient de chocs externes, comme le montrent les exemples du Covid ou de l’approvisionnement énergétique. Pour y faire face, chacun doit se transformer », estime Stéphanie Dupuy-Lyon.
La modération de la directrice d’administration centrale ne parvient pas à convaincre Matthias Trouillaud, responsable d’opérations à Nantes Métropole Aménagement : « Certes, nous avons retroussé nos manches pour forger des outils, écrire des récits, décrire des processus et calculer des métriques. Mais cela ne suffit ni à éteindre l’angoisse face à l’énormité de ce qui nous attend, ni à répondre à la question de savoir si ce que nous faisons est à la hauteur. Je n’en suis pas sûr du tout ».
Ces divergences n'invalident pas le message que le club Ville & Aménagement (CVA) résume dans son « petit livre jaune », publié à l’occasion des 10èmes rencontres sous le titre « Pour l’aménagement public – actualisation et refondation » : les professionnels de cette activité « doivent affermir leur rôle de généralistes de la pensée et de l’action urbaine, aptes à assembler des savoirs spécialisés dans les conditions de territoires qu’ils ont la charge de transformer ».
Désaménagement à l’horizon
De la biodiversité au Zéro artificialisation nette (Zan), les entretiens de Clermont-Ferrand auront démontré l’aptitude d’assemblage pluridisciplinaire revendiquée par les aménageurs publics. Certes, aucune recette ne ressort des questions posées comme celle-ci, formulée par l’écologue Alan Vergnes : « Le futur du métier d’aménageur passe-t-il par le désaménagement » ?
De même, les experts qui contribuent à la comptabilité du Zan n’ont pas dissimulé les limites de leurs outils : « La planification seule ne sauvera pas le monde », rappelle Guillaume Fauvet, spécialiste du foncier au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema).
Cure de jouvence
Mais les entretiens de Clermont-Ferrand resteront comme ceux de l’intensification de la prise de responsabilité écologique des aménageurs. « J’avais souhaité ce mouvement, quand j’ai mis des jeunes sur le devant de la scène lors de nos derniers entretiens à Toulouse en 2019 », se souvient Eric Bazard, président du CVA.
Ce rajeunissement contribue à positionner le CVA comme aiguillon des politiques publiques : le manifeste pour le Zan de septembre 2020 a inspiré la loi Climat & Résilience. De même, le groupe de travail sur la ville post-carbone devrait nourrir la feuille de route gouvernementale : en mai dernier, l’ancienne ministre de l’Ecologie Barbara Pompili a missionné dans ce but Anne Fraisse, ex-directrice adjointe de la Sem toulousaine Europolia, et Jean-Marie Quéméner, chef du bureau de l’aménagement opérationnel au ministère de la Cohésion des territoires, tous deux membres du CVA.
Refondation écologique
Plus réjouissant encore : les nouveaux modes d’expression et d’intervention du club reflètent un « rajeunissement de la pensée écologique », selon Ariella Masboungi. L’animatrice du groupe de travail sur les territoires oubliés rend hommage à « l’immense attention à l’histoire » et à la « patience » dont font preuve les urbanistes aux pieds nus. Leur rapport à l’eau et à l’agriculture trace la voie vers l’urbanisme post carbone, qui cherchera la réconciliation entre villes et campagnes, en prenant appui sur les circuits courts.