« Douche froide ». Porte-parole de la Fédération des usagers de la bicyclette (Fub), Céline Scornavacca ne voit pas d’autre expression pour commenter la porte close opposée aux représentants des cyclistes, dans la concertation du ministère des Transports engagée le 5 mai à Marseille. La militante rappelle le message officiel adressé le 27 février dernier au congrès de la fédération : « La réponse aux besoins passe par le recueil de l’avis des usagers », avait déclaré le ministre des Transports Philippe Tabarot, après avoir chaleureusement invité la Fub à participer à la future conférence.
Pour tenter de se faire entendre, la Fub a confié ses messages au groupement des autorités organisatrices de transport (Gart) et à France Urbaine. Mais l’invitation attendue à une journée dite transversale, au Conseil économique, social et environnementale ne suffit de loin pas apaiser Céline Scornavacca.
« Le Premier ministre n’a pas mentionné une seule fois le vélo lors de son discours de Marseille », s’étrangle la porte-parole. Ce coup de froid la choque d’autant plus qu’il contredit les échos enregistrés fin avril au ministère des Transports : lors de la remise de son rapport sur la sécurité des cyclistes à la fin avril, le haut fonctionnaire Emmanuel Barbe avait laissé entendre que le financement des infrastructures cyclables entrerait à l’ordre du jour de la conférence.
Mobilités douces : essoufflement et sentiment d'abandon
Présidente de l’association d’élus Réseau vélo et marche, Françoise Rossignol partage la déception de la Fub. « A l’exception des mobilités actives, Ambition France Transport accueille les représentants de tous les modes de déplacement », constate-t-elle.
En renvoyant le financement des politiques cyclables aux seules collectivités, l’Etat laisse selon elle s’installer un sentiment d’abandon. L’année écoulée révèle déjà un essoufflement des investissements en infrastructures cyclables, par rapport à la période 2021-2023, malgré l’effet mécanique des fins de mandat. Le Réseau a recensé 400 projets restés en rade en 2024 après la suspension des appels à projets du plan national vélo. « Certaines collectivités ont décidé d’y aller quand même. Mais la plupart ont abandonné ou remis leur projet au mandat municipal suivant. Cette situation pénalise en priorité les territoires les plus complexes sur le plan géographique ou urbain, c’est-à-dire ceux qui nécessitent l’effort le plus important », regrette Françoise Rossignol.
Les RER au cœur des discussions
Egalement engagé dans la défense des mobilités douces, un collectif d’associations dresse l’analyse politique du lien entre financement des infrastructures de transport, transition écologique et équité sociale. Dans leur « note de position », le Réseau Action climat, le Secours catholique, l’UFC Que choisir et Caritas France prônent trois orientations méthodologiques : privilégier l’existant sur le neuf ; taxer les transports les plus polluants (avion, SUV, fret routier) et sortir les investissements pour le climat du calcul de la dette.
« Mieux vaut plus de TER et à l’heure que gagner une heure sur le Paris Toulouse », commente le collectif, pour expliciter le premier axe.
Dans la défense des transports du quotidien, un autre acteur associatif se retrouve : « Objectif RER métropolitain », organisateur d’une rencontre labellisée par Ambition France Transport, le 22 mai prochain à l’hôtel de ville de Paris, et auteur d’un « cahier d’acteurs » rédigé pour la conférence. Tout en regrettant la dilution de son dossier dans l’exercice participatif en cours, l’association se sent d’autant plus légitime que la conférence découle de la loi de décembre 2023 qui encadre les Services express régionaux métropolitains (Serm).
La manne de concessions : une ressource convoitée
« Tout le monde lorgne sur l’argent des concessions autoroutières, mais nous ne pourrions pas nous satisfaire de décisions qui, dans le meilleur des cas, n’interviendraient pas avant 2031 », déclare son porte-parole et président Jean-Claude Degand. Parmi les urgences pour les 26 projets labellisés, il rappelle que le choc d’offre à court terme nécessitera d’abord de gonfler les budgets de fonctionnement, afin de gommer les creux de desserte le soir, pendant les week-ends et les vacances.
S’agissant des investissements qui s'élèvent à 45 Mds€, un montant du même ordre que celui du métro du Grand Paris, l’association prône plusieurs approches : « Sur le modèle du Grand Paris Express, le financement passera par le recours à l’endettement, pour les projets les plus lourds », prévient Jean-Claude Degand.
Egalement inspirée par le précédent francilien, l’hypothèse d’une taxe sur les bureaux séduit Objectif RER métropolitain, qui se tourne également vers l’augmentation et l’affectation des recettes fiscales aériennes : « L’opinion publique est prête. Cela ne nuira à personnes et cela évitera de trop alourdir le Versement mobilité » (VM), rassure le président.
Le versement mobilité contesté
Ouverte aux régions par la loi de finances, cette dernière ressource interroge l’association, au vu du premier bilan : « Une mesure boudée par les régions censées l’utiliser, après un combat entre associations d’élus », constate Jean-Claude Degand.
Ambition France Transport devrait montrer que les blessures ouvertes par le débat budgétaire restent à vif, comme en témoigne ce commentaire d’Intercommunalités de France : « Quand bien même toutes les régions prélèveraient le VM, le potentiel de 750 M€ ne répondrait de loin pas aux besoins des Serm. Mais il suffirait à déstabiliser les intercommunalités qui auraient besoin d’une telle ressource. Ces collectivités se trouvent en contact direct avec les entreprises touchées, susceptibles d’envisager de s’implanter dans un territoire voisin », redoute Carole Ropars, conseillère Urbanisme et mobilité à Intercommunalités de France.
Les intercommunalités se sentent démunies
Le litige sur le VM ravive une plaie ouverte lors de la mise en œuvre de la loi d’orientation des mobilités (Lom), quand certaines régions ont opposé un barrage à la prise de compétence intercommunale comme autorités organisatrices. « Adaptées à la gestion des TER, les régions ne sont pas dimensionnées pour entrer dans l’intimité des comcom. Elles restent dans une approche très macro », juge Carole Ropars. Pour autant, Intercommunalités de France n’en confirme pas moins la forte attente suscitée par les « contrats opérationnels » en gestation avec les régions, à l’échelle des 275 bassins de mobilité du pays.
L’Association des maires de France relaye le même point de vue : dans son communiqué diffusé à propos d’Ambition France transport, elle demande « la réouverture de l’accès à la compétence mobilité pour les EPCI volontaires, et une pleine association des élus communaux et intercommunaux aux grandes décisions, notamment sur les SERM et l’avenir des concessions autoroutières ».
Les régions défendent le statu quo
Les régions, de leur côté, défendent le statu quo : dans sa note confidentielle consacrée à Ambition France Transport, l’association Régions de France exprime sa volonté de préserver les acquis de la gouvernance territoriale issue de la Lom, qui a consacré la fonction de chef de file exercée par ses membres. La demande de stabilité se décline également dans les trajectoires d’investissement. « L’ambition devrait être fixée par une loi de programmation », ajoute l’association.
Logiquement, les régions concentrent leur attention sur les lignes ferroviaires de dessertes fines du territoire (LDFT). « Aucune instance de suivi des protocoles État-Régions sur les LDFT n’a été tenue depuis leur signature », s’inquiète l’association. Elle profitera de la conférence pour rappeler l’engagement du Premier ministre pris le 15 janvier 2025, d’inscrire en section d’investissements les charges de péages ferroviaires payées par les Régions et Ile-de-France Mobilités.
Les départements en quête de recettes
Last but not least compte tenu des 380 000 km de routes à leur charge, les départements s’engagent dans la conférence nationale avec la joie de retrouver un ancien président de leur association à la tête de l’organisation de l’événement. « Dominique Bussereau connaît bien le sujet. Il mesure le poids de la route sur nos finances », souligne Nadège Lefèbvre, présidente de la commission Mobilités et infrastructures de l’Assemblée des départements de France (AdF) et présidente du conseil départemental de l’Oise.
L’élue profite de l’opportunité pour relancer la revendication majeure qui avait marqué les premières assises départementales de la route, le 22 janvier dernier : récupérer une partie des 38 Mds€ de recettes fiscales générés chaque année par le transport routier. « En dehors d’un résidu des amendes issues des radars, nous ne bénéficions d’aucune ressource dédiée », soupire Nadège Lefèbvre.
L'entretien de routes et des ponts préoccupe les communes
Outre les routes départementales, cette situation pénalise les voiries communales, dont l’entretien dépend souvent des subventions. Par les voix de l’AMF et Intercommunalités de France, le bloc local n’a d’ailleurs pas caché son courroux consécutif à son absence, dans l’atelier dédié à la route.
La présidente de l’Oise souligne un autre point dur : les ponts, avec leur cortège de travaux connexes, lorsqu’il s’agit de franchir des voies ferrées ou navigables. « A Crépy-en-Valois, cela représente une facture de 12 à 13 M€ sur le pont St-Ladre, que j’ai coupé pendant quatre ans à la circulation des poids lourds », précise Nadège Lefèbvre.
Comme tous les participants à la conférence, la présidente regarde avec appétit la manne des sociétés de concessions autoroutières. « Je les rencontre les unes après les autres. Elles n’ont pas toutes la même façon de voir leur relation avec les départements », remarque-t-elle. La discussion orchestrée par le gouvernement entretient son espoir d’une mise à plat dont les routes sortiraient gagnantes