Le tiers-financement dans les marchés publics

Au sein de la commande publique, les marchés ont pour objet de satisfaire les besoins d'un acheteur en matière de travaux, de fournitures ou de services, en contrepartie du paiement d'un prix, quelle que soit sa forme. Le mécanisme du tiers-financement présente un intérêt dans l'intégration de recettes annexes et de valorisation, mais sa mise en œuvre est-elle envisageable au-delà du cadre du marché de partenariat, notamment dans les marchés publics globaux de performance ?

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Deux catégories de marchés distinctes mais proches

Dans la catégorie des marchés du Code de la commande publique, au sens strict (c'est-à-dire hors les concessions de travaux ou de services), les marchés de partenariat, héritiers des baux sectoriels puis du contrat de partenariat, ont conservé dans leur ADN la mission confiée au titulaire de financer totalement ou partiellement les infrastructures, corporelles ou incorporelles, objet du marché ; l'idée de chercher à dégager des recettes de valorisation a donc assez logiquement trouvé sa place dans la mécanique juridico-économique du véhicule contractuel.

Mais parmi les marchés ne relevant pas de la catégorie des marchés de partenariat, les marchés globaux de performance se situent à la frontière de ces derniers, puisque si le financement des investissements n'est pas confié au titulaire et doit être assuré par le maître d'ouvrage au travers du paiement d'un prix, leur objet global et leur durée généralement longue conduisent à considérer que la ligne de démarcation entre ces deux catégories de marchés publics tient, pour l'essentiel, à leur régime financier.

L'attrait de l'intégration de recettes annexes aux marchés publics

La proximité des marchés globaux de performance avec les marchés de partenariat, par l'objet et la durée, est sûrement pour beaucoup dans l'émergence de l'idée, encore tâtonnante, d'introduire dans les obligations du titulaire celle de générer des recettes annexes ou des recettes de valorisation, comparables à celles du marché de partenariat, dans le cadre des marchés publics classiques ou des marchés globaux de performance : il faut dire que la tentation est double, pour l'acheteur, de diminuer le coût net de son marché, et pour l'opérateur, d'améliorer la rentabilité de son marché et l'attractivité de sa proposition économique.

De plus, la présence au cœur du marché d'une infrastructure ou d'un bâtiment rend possible la perspective d'une exploitation commerciale complémentaire (en dehors du temps d'utilisation par l'acheteur) ou nouvelle (partie du bâtiment non utilisée par l'acheteur). Cette tentation est de plus en plus perceptible dans les opérations à caractère immobilier dans lesquelles la performance recherchée consiste non seulement à rendre l'ouvrage plus économe en ressources (et plus particulièrement en énergie) mais aussi à atteindre une certaine neutralité ou positivité d'usage.

L'examen des conditions et hypothèses de l'élargissement de l'objet des marchés publics - et singulièrement des marchés publics de performance - doit être précédé d'une clarification des notions-clés. La définition du tiers-financement, souvent confondu avec des mécanismes proches ou d'apparence comparable, mérite d'être précisée, ainsi que la portée envisageable d'une recette annexe dans le champ public.

Faire la différence entre tiers-financement et tiers-investissement

Pendant longtemps - et encore un peu aujourd'hui -, les acteurs utilisaient presque indifféremment les termes « tiers-financement » et « tiers-investissement ». Le rapport « Financements innovants de l'efficacité énergétique » rendu au Plan bâtiment durable en 20131 proposait de retenir les deux définitions suivantes, afin de stabiliser la signification des termes, et qui demeurent pertinentes.

Le tiers-financement est un modèle économique qui consiste à proposer une offre intégrée, incluant le financement des travaux, dans une approche globale et incluant une gestion technique et opérationnelle du projet, y compris postérieurement aux travaux. Le tiers-financement stricto sensu consiste ainsi à organiser le montage financier complet, comprenant toutes les ressources possibles (prêts bancaires classiques, prêts bonifiés par l'État, subventions, etc.) au-delà de la capacité d'autofinancement du maître d'ouvrage, incluant éventuellement une partie de tiers-investissement.

Le tiers-investissement est un modèle économique qui consiste à allouer des capitaux à des projets, en contrepartie de créances garanties sur le montant des économies d'énergies futures réalisées dans le bâtiment, car celles-ci permettront un retour sur investissement. Le tiers-investissement est un cas particulier de tiers-financement dans lequel le propriétaire ne finance pas les investissements, alors que c'est le cas dans la plupart des solutions en tiers-financement. Un tiers financeur peut recourir au tiers-investissement mais il ne le fait pas nécessairement, tandis que le tiers investisseur participe forcément d'une démarche de tiers-financement.

À la suite de ces travaux, le tiers-financement a été défini par la et codifié à l' (CCH) comme « dans le champ d'opérations de rénovation de bâtiments, […] caractérisé par l'intégration d'une offre technique, portant notamment sur la réalisation des travaux dont la finalité principale est la diminution des consommations énergétiques, à un service comprenant le financement partiel ou total de ladite offre, en contrepartie de paiements échelonnés, réguliers et limités dans le temps ». Le contenu du volet technique est codifié aux articles D. 381-9 à D. 381-11 ; le contenu de la mission financière est lui codifié à l'.

Une définition des recettes annexes

Le droit de la commande publique n'ignore pas les recettes de valorisation dites communément « recettes annexes ». Le Code de la commande publique (CCP) vise en effet explicitement les recettes annexes du marché de partenariat en fixant au titulaire une mission globale susceptible de s'étendre à la fourniture de prestations de services concourant à la mission de l'acheteur, ainsi qu'en l'autorisant à valoriser le domaine, les ouvrages, équipements ou bien immatériels support du marché de partenariat2.

Les recettes annexes et de valorisation présentent un double intérêt, en ce qu'elles génèrent des revenus financiers additionnels pour les deux parties, diminuent les coûts pour l'un et améliorent la rentabilité pour l'autre ; elles appellent le plus souvent la formalisation d'un mécanisme contractuel de partage, dans des proportions à négocier, car si elles ne profitent qu'à l'acheteur, le titulaire risque d'être peu motivé à mettre en œuvre les processus permettant de les réaliser et, dans le cas inverse, l'acheteur ne pourra voir que d'un mauvais œil le déroulement d'activités commerciales sur les biens supports du marché de partenariat sans contrepartie pour lui.

La légalité des recettes annexes ne soulève pas de problème de principe dans le cadre des marchés de partenariat. Ces recettes s'inscrivent d'abord dans la logique du contrat de partenariat institué en 2004, logique confirmée en 2019 et sont conformes à la pratique internationale (« Third-Party Revenues »). Elles ont ensuite été expressément validées par le Conseil constitutionnel en 2008 3. Elles sont enfin explicitement prévues dans le CCP.

Ce dernier ne donne toutefois pas de définition d'une recette annexe et de valorisation. Il semble donc qu'il faille procéder par déduction par rapport au besoin de l'acheteur, qui constitue l'objet même du marché : constitueraient ainsi des prestations annexes et de valorisation générant des recettes annexes et de valorisation les prestations se développant autour de l'objet contractuel, permettant de valoriser les biens et équipements contractuels sans porter atteinte aux obligations du titulaire.

En d'autres termes, les recettes annexes sont les recettes de nature privée que le titulaire peut retirer de l'exploitation d'un bien ou d'un service dans le cadre d'un marché de partenariat.

La faisabilité juridique du tiers-financement dans les marchés publics

La mise en œuvre d'opérations de tiers-financement dans les marchés publics soulève en premier lieu une question de principe quant à la faisabilité juridique de ces opérations, en l'absence de régime général dans les textes relatifs à la commande publique. Elle suppose ensuite, sur le plan pratique, l'observation de certaines précautions.

Le tiers-financement, qui conduit à externaliser tout ou partie de l'objet d'un marché public auprès d'un tiers à la relation contractuelle entre le maître d'ouvrage et l'opérateur économique titulaire du marché conduit à s'interroger sur les hypothèses dans lesquelles la possibilité existe - en matière de commande publique - de générer des recettes annexes au moyen, notamment mais pas exclusivement, d'une opération de valorisation domaniale.

Or, la difficulté réside dans la circonstance qu'il n'existe pas de régime juridique uniforme dans les textes en vigueur et singulièrement dans le CCP.

Certains auteurs et praticiens considèrent que le silence des textes permet d'envisager cette possibilité au nom de la liberté contractuelle quand d'autres tendent à soulever que le silence des textes rend le recours à cette solution particulièrement délicat. En effet, il arrive que le législateur autorise expressément la valorisation domaniale et les recettes annexes (comme en matière de marché de partenariat et de concession), alors que, au contraire, le code reste silencieux sur cette question pour les marchés publics classiques et les marchés globaux de performance, ce qui pourrait être interprété comme une interdiction implicite.

La question se pose de façon aiguë pour les marchés globaux de performance, dont les caractéristiques de durée et d'objet présentent des similitudes avec les marchés de partenariat par exemple.

Des incertitudes juridiques dans le cadre des marchés de performance

Pour certains auteurs, les marchés globaux de performance ne peuvent pas conduire le maître d'ouvrage à confier une mission globale qui comprendrait une valorisation domaniale. Cette analyse s'appuie sur l'idée que, compte tenu de la circonstance que les marchés publics globaux dérogent déjà, par nature, au principe d'allotissement, la liste des prestations qui peuvent être intégrées dans la mission globale du titulaire doit être interprétée strictement, et ne pas aller au-delà de la conception, la réalisation, l'exploitation et la maintenance.

Cette position paraît partagée par certains acheteurs qui estiment également qu'il n'est pas possible de confier des missions de valorisation au titulaire d'un marché global de performance. Par exemple la commission permanente du conseil régional d'Île-de-France a annoncé dans son plan d'urgence de rénovation des lycées que « le marché de performance ne permet pas de confier des missions de valorisation à son titulaire ».

Une valorisation possible sous certaines conditions ?

Il reste que le silence des textes ne saurait suffire, en soi, à clore le débat sur ce sujet, dès lors notamment que la possibilité de générer des recettes annexes est apparue hors de tout cadre législatif ou réglementaire et que la jurisprudence administrative ou constitutionnelle n'a jamais paru en prohiber l'idée.

C'est ainsi qu'il faut certainement comprendre l'affirmation du professeur Philippe Terneyre, qui « ne voit pas d'obstacle à ce que le titulaire d'un marché public global de performance puisse lui aussi être autorisé par le contrat, et pendant toute sa durée, à se procurer des recettes annexes auprès de clients privés en exploitant, par exemple, les surcapacités des installations qu'il a eu la charge de construire et qu'il exploite (installations, le cas échéant, volontairement surdimensionnées dès l'origine) sous la double réserve que cette activité annexe ne porte pas préjudice à la bonne exécution du marché public pour la satisfaction des besoins publics et que les recettes privées viennent en déduction (très) partielle des sommes dues par la personne publique au cocontractant »4.

Dans la même veine, François Tenailleau relève quant à lui que « si, dans le cadre d'un marché de partenariat, la faculté d'obtenir des recettes annexes bénéficie d'un cadre juridique plus élaboré et ouvrant plus de possibilités dans le domaine immobilier, aucun principe ne s'oppose en réalité à la génération et à la prise en compte de telles recettes dans le cadre des marchés globaux de performance »5. Cependant le même auteur considère cette manœuvre risquée mais possible : « certains marchés globaux sont aujourd'hui combinés à une valorisation foncière des propriétés de l'acheteur. Faute de dispositions spécifiques, le paiement (partiel ou total) du prix du marché en nature (par remise des biens à valoriser) demeure un exercice délicat. »6

Une solution plus simple à niveau de sécurisation équivalent

L'hypothèse du recours à des mécanismes de tiers-financement en matière de marché public sur la base de valorisation domaniale et de recettes annexes présente l'intérêt d'écarter d'autres solutions complexes et dont le caractère éventuellement plus sécurisé n'est guère flagrant.

Tel serait notamment le cas d'un schéma consistant à confier un marché global de performance sans valorisation domaniale à un opérateur économique d'une part, et, en parallèle, à organiser une opération distincte de valorisation domaniale, qui n'offre aucune possibilité de globaliser les prestations, non plus qu'aucune certitude de principe de confier les deux opérations au même titulaire, compte tenu de l'incertitude de tout processus de mise en concurrence.

Il reste que certaines précautions doivent certainement être observées.

Les précautions à prendre dans l'objet du marché public concerné

À cet égard, la décision nº 426096 du Conseil d'État du 8 avril 2019, « Société Orange », est venue préciser la question.

En effet dans le cadre d'un contentieux portant sur un marché global de performance dans le domaine de la communication à très haut débit, le Conseil d'État a indiqué qu'il ne résulte pas des dispositions relatives aux marchés publics globaux de performance issues, à l'époque, de l'ordonnance du 23 juillet 2015, « que dans le cadre d'un marché global de performance l'acheteur ne pourrait demander aux candidats que des engagements de performances exclusivement liés aux missions qui leur sont confiées dans leur totalité, et non également des engagements liés à des actions de tiers, dès lors que ces performances dépendent en partie des prestations fournies dans le cadre du marché ».

De ce fait, le Conseil d'État a repris le raisonnement du rapporteur public Gilles Pellissier, qui avait indiqué dans ses conclusions que la législation n'imposait pas « que la réalisation de la performance dépende exclusivement de l'attributaire » et qu'il était possible de « fixer des objectifs qu'il ne pourra atteindre seul ».

Les précautions liées à l'organisation de la mise en concurrence et au jugement des offres financières

En premier lieu, la pratique de marché actuelle ne paraît guère sécurisée, dans la mesure où nombre de maîtres d'ouvrage ne prennent pas l'initiative de prévoir dès le départ la question du tiers-financement dans la définition de leurs besoins et la constitution de leur montage juridico-financier. Or, il est nécessaire que les documents de la consultation ouvrent cette possibilité à compter de la publicité.

En second lieu, la tentation est souvent grande de réduire le capital engagé dans les projets organisés en marché publics et d'exclure du périmètre de l'analyse des offres (en ce qui concerne notamment les critères relatifs au prix ou au coût) les recettes annexes générées par l'opération de tiers-financement ou de tiers-investissement. Or, il est constant que ces recettes doivent être prises en considération dans l'analyse et le jugement des offres. En particulier, d'après la jurisprudence européenne et nationale, le montant global d'un contrat correspond à la valeur totale du contrat, qui comprend « non seulement l'ensemble des montants que le pouvoir adjudicateur aura à payer, mais aussi toutes les recettes qui proviendront de tiers »7.

Il semble donc que le tiers financement puisse raisonnablement être envisagé en marché public au-delà de l'hypothèse balisée du marché de partenariat et plus particulièrement dans les marchés publics globaux de performance.

La difficulté réelle n'est pas tant de principe mais de programmation, de formalisation et d'exécution, dans le respect des principes d'égalité de traitement et de transparence des procédures.

1 Reinmann (Inès), Ortega (Olivier), « Financements innovants de l'efficacité énergétique », rapport au Plan bâtiment durable, mars 2013, p. 39 et s.

2 Voir , selon lequel « le contrat détermine les conditions dans lesquelles les revenus issus de l'exercice d'activités annexes ou de la valorisation du domaine par le titulaire viennent diminuer le montant de la rémunération versée par l'acheteur ».

3 Cf. Conseil constitutionnel, 24 juillet 2008, nº 2008-567 DC, considérant nº 26.

4 Terneyre (Philippe), Petiot (Marie-Astrid), « Le nouveau marché public pour la réalisation de prestations globales et complexes de performances énergétiques », AJDA, 2012, p. 412.

5 Tenailleau (François), Ben Khelil (Kawthar), « Marchés publics globaux de performance ou marchés de partenariat, comment choisir ? », Le Moniteur, 4 décembre 2015.

6 « Les marchés globaux de performance : heureuse confirmation d'une occasion saisie », AJDA, 2019, p. 1814.

7 , Jean Auroux et a. c/ Cne Roanne, p. 57.

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