Le Théâtre des Champs-Elysées Le scandale fait partie de son charme

Quasi centenaire, le Théâtre des Champs-Elysées est source de polémiques. Scandale dès sa construction, avec la création du « Sacre du printemps » en 1913, lors de sa rénovation... C'est aussi le rendez-vous des mélomanes.

Le Théâtre des Champs-Elysées aura bien fait couler autant d'encre que la pyramide du Louvre. Sa rénovation au milieu des années 80, par la Caisse des dépôts et consignations, qui en est propriétaire depuis 1970, intéressa tout d'abord les seuls aficionados de cette salle et les admirateurs des frères Perret. Un intérêt vite contrarié par le choix du maître d'ouvrage mécène d'installer sur le toit du bâtiment, classé depuis 1957, un restaurant vitré d'où la vue sur Paris est exceptionnelle. A l'inverse, la vue depuis la ville l'est nettement moins. S'il est invisible de l'avenue Montaigne, grâce aux 18 m de retrait imposés par les Monuments historiques, cet « implant » saute aux yeux, et même « à la gorge », comme le fit remarquer Jack Lang à l'époque, à partir des berges de la Seine. Pour des raisons avouées de rentabilité d'exploitation, le maître d'ouvrage décida unilatéralement ces travaux, sans prendre la peine de demander un permis de construire. Certes, le théâtre n'était pas classé dans son ensemble, mais situé à proximité d'autres bâtiments dûment enregistrés.

Une opération juteuse, mais un bâtiment défiguré

Attaqué en justice par l'ordre des architectes, le maître d'ouvrage n'admit pas avoir trahi la pensée ni le style des architectes et gagna le procès, au détriment de l'histoire de l'architecture. La Caisse des dépôts réalisa par ailleurs une juteuse opération immobilière en construisant 1 000 m2 pour 40 millions de francs dans un quartier où des surfaces moins prestigieuses s'échangeaient jusqu'à 80 000 francs le mètre carré. Le théâtre était peut-être défiguré. Au moins avait-il fait sa rentrée en fanfare. Car ses premières années flamboyantes étaient bien loin.

Dès son projet de construction en 1906, le « temple philharmonique » dessiné pour le rond-point des Champs-Elysées rencontre une majorité de détracteurs. Déplacé au 15 de l'avenue Montaigne, il emporte son nom, son promoteur Gabriel Astruc et un nouvel architecte, belge, Henry Van der Velde qui remplace Roger Bouvard. Ce nouveau projet ne réjouit pas plus les critiques qui dénoncent une « architecture boche » et surnomment le futur bâtiment le « zeppelin de l'avenue Montaigne ». Heureusement, quelques esprits ouverts y ont détecté du modernisme et l'approuvent, comme la revue « Art et Décoration » qui écrit en 1913 : « L'oeuvre des architectes et des décorateurs du nouveau théâtre donne, à un certain point de vue, la mesure de ce qui pourra être tenté et réalisé dans notre pays lorsque la République sera lasse, enfin, des hôtels de ville Renaissance et des bureaux de poste néo-grecs. »

Les frères Perret imposent leur marque : la modernité

Trop gris, trop solennel, trop sec sont les jugements qui reviennent le plus souvent. En fait, derrière la façade « noble, mais fortement triturée par Antoine Bourdelle », comme l'écrit Le Corbusier dans un numéro de « Techniques et Architectures » consacré aux frères Perret en 1932, se cache une structure qui fait l'originalité de la construction. Il s'agit de la première utilisation du béton dans un bâtiment public. Dans un théâtre, ce matériau permet de s'affranchir des contraintes imposées par la superposition des balcons.

Dessiné par Van der Velde, le projet est progressivement façonné par les frères Perret qui prennent le contrôle du chantier et imposent leurs vues. La grande salle de 2 200 places est d'abord conçue comme un éventail afin que tous les spectateurs soient assis de face. Puis elle se rapprochera des plans plus classiques des théâtres à l'italienne lors de sa réalisation. Sa structure repose sur un système de quatre paires de poteaux soutenant deux doubles-arcs surbaissés à tirants auxquels les planchers sont suspendus. Les poteaux rencontrent la coupole de la salle en décrivant un cercle parfait et sont alignés deux par deux, formant des files orthogonales, fidèles aux limites de la parcelle. Cette salle est réservée aux orchestres symphoniques. Deux autres, plus petites et plus classiques, peuvent accueillir des formations plus restreintes ou des récitals. Les cadres laissés vides par les structures correspondent aux espaces mis à la disposition des artistes : salles de répétitions, coulisses... Et cette séparation dissimulée par la façade principale apparaît sur le pignon du théâtre où le jeu de l'ossature et du remplissage est nettement visible dans l'opposition des poutres de béton et des panneaux de briques.

C'est aux frères Perret qu'est généralement attribuée la paternité de ce théâtre. Leur « griffe » apparaît non seulement dans la structure, mais aussi dans des détails comme les grilles de ventilation, les moulures en bronze au pied des colonnes du péristyle, certaines ferronneries et luminaires qui annoncent la suite de l'Art nouveau.

PHOTO : Ni la façade, ornée par les bas-reliefs de Bourdelle, ni l'aspect du bâtiment

ne semblent modifiés à partir de l'avenue Montaigne, mais, des berges de la Seine, le restaurant situé sur le toit «saute à la gorge», selon Jack Lang.

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