Le fossé entre réalité et objectifs officiels paraît abyssal, mais des mesures rapides peuvent le combler.
Le bilan d’étape de la rénovation énergétique des bâtiments donne corps à cette analyse de Negawatt : « En 2015 et en 2017, la loi de transition énergétique et pour une croissance verte, puis la stratégie nationale bas carbone avaient visé un objectif annuel de 500 000 rénovations énergétiques lourdes. L’observatoire BBC-Effinergie constate un rythme réel de 20 à 30 000 », rappelle Thierry Rieser, directeur du bureau d’étude Enertech et auteur des pages consacrées au bâtiment, dans le rapport sur « les mesures structurantes à engager dans le prochain quinquennat », présenté le 27 janvier par Negawatt.
Dernière chance
Après sept années contreproductives, le « scénario de la dernière chance » préconisé par l’association se fonde sur l’obligation de l’approche globale, qui passe par la systématisation d’assistances à maîtrise d’ouvrage. A la clé, 230 000 personnes travaillent à cet objectif en 2030, dont 100 000 artisans formés sur chantier à la rénovation globale. A la même date, la facture chauffage des ménages s’est réduite d’un facteur quatre.
Le bâtiment illustre le raccourcissement des échéances sur lesquelles travaille l’association connue pour sa prospective énergétique à l’horizon 2050, actualisée le 26 octobre dernier.
Dans tous les domaines passés sous son crible, Negawatt constate le même type d’écart entre les objectifs officiels et les dynamiques opérationnelles. « Cela nous a conduits à formuler des propositions concrètes issues des retours d’expériences du terrain », décrypte Charline Dufournet, responsable plaidoyer.
Booster les renouvelables
Le retard à l’allumage des énergies renouvelables n’a pas grand-chose à envier à celui des rénovations globales : « Avec un seul prototype de plateforme d’éoliennes flottantes alors qu’elle dispose de trois grandes zones côtières adaptées à cette technologie, la France, une nouvelle fois, n’est pas au rendez-vous, au moment où l’Ecosse annonce un programme de 25 GW pour l’éolien offshore », regrette Thierry Salomon, ingénieur énergéticien et vice-président de l’association.
Le renforcement des capacités photovoltaïques de l’hexagone passerait par une approche plus décentralisée : selon Charline Dufournet, « des appels d’offres régionalisés et départementalisés éviteraient les effets de saturation dans le sud du pays. Pour atteindre les objectifs, il faut impliquer les territoires ». Negawatt chiffre le nombre d’emplois générés par les énergies renouvelables à 200 000 en 2030, au lieu de 73 000 aujourd’hui.
Halte à la fuite en avant nucléaire
Seul un tel effort permettrait à la France de sortir de « la fuite en avant » dans le domaine du nucléaire, dont témoigne cette projection issue de la programmation pluriannuelle de l’énergie : « En 2035 après la fermeture de 14 réacteurs, la moyenne d’âge des 44 tranches en fonctionnement atteindra 49,3 ans », calcule Yves Mérignac, chef du pôle Industries nucléaires et fossiles.
Etabli par le World Industry Status Report, la disponibilité actuelle du parc illustre la vulnérabilité déjà perceptible, générée par le vieillissement : l’indisponibilité se chiffre à 27 % en 2021. Pour lisser la trajectoire vers la sortie du nucléaire et anticiper les reconversions de sites, Negawatt propose qu’une loi vienne créer un nouveau statut pour les réacteurs de plus de 40 ans qui passeraient alors officiellement dans un fonctionnement « en réserve ».
Motorisations hybrides
La réduction de la demande électrique passe par une approche raisonnée de la décarbonation des mobilités : GNV pour les poids-lourds, motorisations hybrides pour réduire la sollicitation des batteries des voitures. La légèreté des véhicules électriques guide la politique de bonus-malus préconisées par Negawatt, avec cet argument : la Tesla modèle 3 consomme 50 % de matière première en plus que la Zoé.
Ce dernier point renvoie à la grande nouveauté introduite en 2021 par le scénario Negawatt : sous le nom de Negamat, la réflexion sur la répartition planétaire des matières premières conduit par exemple à freiner les importations françaises de cobalt et de lithium. Sur ces deux ressources indispensables à la mobilité électrique, le scénario tendanciel conduit à un épuisement des disponibilités en 2035, dès lors que la France limiterait ses consommations à la part de 1 % qu’elle occupe dans la population mondiale.
Relocaliser l’industrie
La réflexion sur l’empreinte planétaire sous-tend le chapitre industriel du rapport. Longuement développé, l’exemple du textile alerte les citoyens consommateurs sur l’avantage environnemental associé au prix plus élevé des biens fabriqués en France. En 2030, la production relocalisée couvre 30 % de la consommation, au lieu de 15 % aujourd’hui.
L’ouverture internationale engagée par la réflexion industrielle se confirme dans l’agenda européen de Negawatt : en 2023 avec 23 partenaires de 20 pays, l’association publiera le scénario Clever. Cette étude profitera des acquis du projet Cactus, en voie d’achèvement et centré sur l’Allemagne, la Lituanie et la Hongrie. Avec huit partenaires, Negawatt participe également à Fulfill, lancé fin 2021 en vue d’un aboutissement en 2024.
Semailles européennes
Tous ces travaux visent à affiner la mise en compatibilité entre sobriété et équité, en partant des spécificités de chaque pays : « Une base acceptable pour tous peut passer par une augmentation des consommations dans certains territoires, alors que leur maîtrise s’impose à d’autres », plaide Charline Dufournet.
Ces apports européens n’éloignent pas Negawatt des enjeux nationaux : une série de webinaires en témoignera tout au long de l’année 2022. Rendez-vous le 15 juin pour approfondir la question des rénovations énergétiques globales des bâtiments.