Connaissez-vous la légende de la ville de Porrentruy dans le Jura ? Elle commence comme suit : « un jour d'autrefois, une singulière bête, courant ventre à terre, queue en l'air et la gueule grande ouverte, franchissait le rempart de dix pieds comme si ç'avait été une petite clôture de rien du tout »... Le sanglier, mystérieuse bête noire qui faisait des ravages autrefois, continue de sévir dans notre monde pourtant modernisé et apprivoisé. Il pourrait, si vous n'y prenez garde, vous causer quelques mésaventures. Nous allons vous conter ici les déboires d'un automobiliste pour vous en aviser.
Celui-ci roulait tranquillement sur l'autoroute A11 en direction de Paris par une froide nuit d'octobre 1993 quand, soudainement, un sanglier traversant la chaussée apparut devant son véhicule. La collision fut incontournable et les dégâts inévitables. Lorsqu'il chercha à obtenir réparation, il découvrit - contre toute attente- que le sanglier pouvait devenir, dans certaines circonstances, la « bête noire » de l'automobiliste et du concessionnaire d'autoroute...
Le propriétaire de l'automobile accidentée et sa société d'assurance décidèrent d'engager une action à l'encontre de la société d'autoroute qui laissait inconsciemment vagabonder la bête sauvage sur les voies. Selon eux, l'accident résultait d'un « défaut d'entretien normal » de l'infrastructure autoroutière : la société concessionnaire n'avait pas en effet clôturé l'accès de la voie d'autoroute.
Quand l'absence de clôture n'évite pas la clôture de l'affaire
Les juges du Tribunal administratif d'Orléans se penchèrent donc sur les pérégrinations du sanglier afin de déterminer si la responsabilité de la société concessionnaire pouvait sérieusement être mise en jeu. Ils tranchèrent en défaveur des requérants, considérant que la collision entre le véhicule et le sanglier ne pouvait être imputable au concessionnaire. En effet, celui-ci n'est tenu d'aménager les autoroutes pour « empêcher l'accès des grands animaux sauvages sur ces voies publiques » que dans deux cas : « soit à proximité des massifs forestiers qui abritent du gros gibier, soit dans les zones où le passage des grands animaux est habituel. » En l'espèce, les juges indiquèrent que le lieu de l'accident n'était pas à proximité d'un massif forestier. Ils soulignèrent par ailleurs qu'il n'était pas considéré comme une zone de passage habituel des grands animaux même si plusieurs collisions entre gibiers et véhicules avaient eu lieu tout près. Indignés par le sort que les magistrats firent à la douloureuse affaire, assureur et assuré décidèrent d'interjeter appel au motif qu'au lieu de l'accident, se trouvait un bois. Et qui dit bois, dit gibier. Cette raison motivait à elle seule la construction de clôtures dignes de ce nom afin de protéger les automobilistes des agressions de phacochères. Mais la Cour administrative d'appel de Nantes accabla les malheureux en les déboutant. Elle leur fit en effet remarquer que si le bois était bel et bien « situé au-delà de la zone industrielle qui longe l'autoroute », il n'abritait pas pour autant de gros gibier...
Que conclure de cette sinistre affaire ? Que le sanglier est un animal cauteleux et perfide qui, de tout temps, s'est joué des clôtures aux dépens des honnêtes gens ? Sans doute cela serait-il excessif et inexact, car le sanglier n'est pas le seul animal à guetter l'automobiliste. Les hauts magistrats du Conseil d'Etat ont d'ailleurs eu l'occasion d'en juger récemment. Ils ont en effet eu à connaître du cas d'un bovin qui, après avoir pris la clé des champs, emprunta la chaussée de l'autoroute A4. La divagation incongrue de l'animal occasionna une collision avec un véhicule. La responsabilité du gestionnaire de l'autoroute fut, là encore, mise en cause pour « défaut d'entretien normal ». Elle ne donna cependant pas lieu à condamnation. « Bordée de champs cultivés sans aucune pâture proche », la voie sur laquelle s'était produit l'accident ne pouvait être considérée comme « une zone de résidence ou de passage » des animaux domestiques ou sauvages. La pose d'une clôture de protection empêchant l'accès d'animaux à la zone d'autoroute en cause ne pouvait donc être requise.
A l'affût des responsabilités
Sangliers, chevreuils ou vaches, nombreuses sont les espèces animales que les automobilistes peuvent croiser sur leurs chemins. La collision est difficilement évitable et les conséquences souvent lourdes. Les dégâts, généralement d'ordre matériel, peuvent malheureusement être corporels. Il faut, dans ces funestes conditions, savoir faire face pour obtenir une indemnisation des préjudices engendrés. Pour les victimes de ce type d'accident, s'ouvre alors le parcours du combattant. La première réaction doit être de se tourner vers les systèmes d'assurance. En ce qui concerne les dommages corporels, les passagers sont indemnisés sans difficultés grâce à la loi no 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation.
En ce qui concerne le conducteur, la situation est délicate lorsque l'accident n'implique pas d'autre véhicule que le sien. Dans ce cas, en effet, le jeu des assurances ne peut pas être exercé. Le ministère de l'Equipement et des Transports a indiqué, dans une réponse ministérielle (1), que dans ce cas, « le fonds de garantie automobile prend en charge l'indemnisation des dommages corporels causés » par l'accident.
S'agissant des dommages matériels, ils sont généralement assumés par l'assureur de l'automobile sous certaines conditions. Aucun souci ne se pose à l'assuré qui a souscrit une garantie tous risques puisqu'elle couvre tous les dégâts. Les accidentés qui se sont contentés d'une garantie tierce collision bénéficient, eux aussi, d'une prise en charge. Cette formule de couverture allégée joue, en effet, en cas de collision avec un tiers identifié c'est-à-dire - en principe - avec un véhicule, un piéton ou un animal.
Les chasseurs poursuivis
Si, pour une raison ou pour une autre, les systèmes d'assurances ne permettent pas de réparer le préjudice subi par la victime, celle-ci ne doit pas se décourager pour autant ! Car le jeu des recours, s'il est complexe, met un large panel d'actions à sa disposition. C'est ainsi que certains recours, a priori hasardeux, peuvent se révéler efficaces dans le cas d'accidents survenus près d'une zone « giboyeuse ». Ne citons ici que le cas des chasseurs que la persévérance à traquer l'animal peut conduire devant les tribunaux ! Leur responsabilité peut, en effet, être retenue dans le cas d'une collision entre une automobile et une bête sauvage. Il faut pour cela que la victime prouve que dans leur folle poursuite après l'animal, les chasseurs n'ont pas maîtrisé la fuite de celui-ci vers une voie routière !
(1) Question n°56 079, JOAN du 9 avril 2001, p. 2 136.
Domaines concernés
Droit de l'aménagement du territoire.
Droit de la domanialité publique.
Droit de l'environnement.
Droit du contentieux administratif.
Droit des obligations.
Droit des assurances.
Références
Tribunal administratif d'Orléans, 27 mai 1997, « Jacques Dubois et société Macif » (no 95-374).
Cour administrative d'appel de Nantes (2e chambre), 8 mars 2000, « Jacques Dubois et société Macif » (no 97NT01834).
Conseil d'Etat, 12 mai 2003, « Caisse régionale des assurances mutuelles agricoles d'Ile-de-France » (no 209440).
Voir également : Cour administrative d'appel de Bordeaux (1ère chambre), 14 octobre 1994, « Damien de Wispelaere » (no 93BX00524).
Points clés
Les gestionnaires d'autoroutes peuvent voir leur responsabilité mise en cause par un automobiliste qui est entré en collision avec un animal sauvage qui divague sur la chaussée.
Cette responsabilité est toutefois limitée aux cas de « défaut d'entretien normal » de la voie. L'absence de clôture ne constitue un tel défaut que si la voie d'autoroute se trouve à proximité d'une zone de résidence ou de passage d'animaux domestiques ou sauvages.
L'automobiliste accidenté dispose d'autres recours pour obtenir réparation des préjudices causés par l'animal.