Le marché global de performance énergétique à paiement différé : une expérimentation en devenir

La règle de prohibition du paiement différé fixée à l'article L 2191-5 du Code de la commande publique paralysait le recours des personnes publiques au contrat de performance énergétique dans le cadre d'un marché global. Cette règle rend impossible le lissage sur la durée du marché du coût des actions de rénovation. Les acheteurs publics aménagent donc un dispositif contractuel de garantie financière de la garantie de performance énergétique pour imputer l'indemnité éventuellement due en cas de non-atteinte des objectifs fixés par le contrat. L'expérimentation du tiers-financement ou paiement différé des contrats de performance énergétique (CPE) sous forme de marché global, lancée fin 2023 pour une durée de cinq ans est donc bienvenue. Retour sur les modalités pratiques de cette expérimentation encore balbutiante.

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Conformément au nouveau cadre juridique fixé aux articles à du Code général des collectivités territoriales, dans leur rédaction issue de la loi du 30 mars 2023 (n° 2023-222), l'expérimentation relative au paiement différé sera conduite pour une durée de cinq ans. Un rapport sera remis au Parlement, trois ans après la promulgation de la loi de finances pour 2022, pour évaluer la mise en œuvre de cette expérimentation en termes de développement des opérations de rénovation énergétique des bâtiments publics et d'incidence sur les finances publiques. Le Parlement pourra alors statuer sur la poursuite de l'expérimentation et la pérennisation éventuelle de ce dispositif.

À ce stade du processus, trois constats peuvent déjà être dressés. L'expérimentation est bienvenue. Elle est utile à la nécessaire rénovation énergétique et à la décarbonation des bâtiments publics mais reste encore balbutiante.

Une expérimentation du tiers financement bienvenue pour s'adapter aux enjeux actuels

La règle de prohibition du paiement différé est aujourd'hui fixée à l'. Ce texte interdit « tout paiement différé dans les marchés passés par l'État, ses établissements publics, les collectivités territoriales, leurs établissements publics et leurs groupements ». Historiquement, cette règle vise à éviter tout endettement occulte des personnes publiques.

Fixée dans le courant des années 1950, cette règle, édictée par l'État pour lui-même, cherchait à le protéger contre lui-même en empêchant l'inclusion -considérée comme comptablement insincère - du coût de financement dans le prix du marché. Depuis cette époque, la décentralisation est advenue mais le contrôle de l'État central sur les collectivités décentralisées ne s'est pas desserré sur ce point.

Cette vigilance, voire cette curatelle, est d'autant plus étonnante que depuis l'adoption des règles Eurostat, la computation dans la dette publique d'un coût certain s'ajoutant au prix du marché est certaine, si bien que la sincérité et la transparence comptables, cependant toujours alléguées par Bercy1 , ne sont en rien atteintes. Il faut donc considérer que le maintien de la règle a changé d'objectif et qu'il s'agit, en réalité, de ne pas faciliter la dépense publique locale…

Cette règle a même connu un regain de force contraignante dans les années 2000 sous le double effet de décisions du juge administratif2 et du juge des comptes publics3 : le paiement différé, en ce qu'il avait été pratiqué dans les marchés d'entreprise de travaux publics (METP) a vu son image contaminée par celle de ces pratiques douteuses de la commande publique d'alors.

Par un mouvement inverse mais limité, cette règle a reçu une exception significative au travers des montages en partenariat public-privé. Dès 2003 avec les baux sectoriels puis, plus largement, à partir de 2004 avec les contrats de partenariat devenus marchés de partenariat de l'actuel Code de la commande publique (article L 1112-1)4 .

Pour autant, cette exception, justifiée par la nature globale du marché de partenariat, n'a pas été étendue aux autres véhicules contractuels de la commande publique mettant également en œuvre une mission globale du titulaire.

Un traitement symétrique a néanmoins été envisagé en 2015 à l'occasion de la transposition dans le Code des marchés publics des directives européennes de 2014, mais le texte a finalement été retiré, si bien que la prohibition du paiement différé demeure de droit positif.

Une expérimentation utile pour éviter la paralysie de l'imputation de l'indemnité

Le CPE se caractérise par une garantie de performance énergétique, c'est-à-dire un mécanisme contractuel faisant peser sur le titulaire du marché une obligation de résultat de diminution des consommations d'énergie.

La prohibition du paiement différé paralyse l'imputation de l'indemnité éventuellement due par le titulaire en cas de non-atteinte des objectifs de réduction des consommations d'énergie sur le prix, qu'il porte sur des travaux ou des fournitures.

Ce faisant, la personne publique acheteuse est poussée à aménager un dispositif contractuel de garantie financière de la garantie de performance énergétique, habituellement sous la forme d'une caution ou d'une garantie bancaire à première demande.

Dans le cadre d'un CPE conclu sous la forme d'un marché public global de performance, les paiements sont normalement organisés à l'avancement du marché, sous forme d'avances, d'acomptes, puis de solde, au fur et à mesure des prestations.

Or, l'effet de la règle de prohibition du paiement différé est donc bien de rendre impossible le lissage sur la durée du marché public du coût des actions de rénovation énergétique. Pour des petits projets, cette mécanique est pénalisante car elle impose de constituer, directement ou indirectement, une garantie de la garantie de performance énergétique quand une simple imputation de l'indemnité sur le prix global serait à la fois plus simple et moins coûteuse.

C'est la raison pour laquelle l'idée d'une dérogation expérimentale avait été formulée dès 2011 dans le rapport sur les contrats de performance énergétique remis à la ministre de l'Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement5 . Le paiement différé permet en réalité de mettre à risque une partie de la rémunération du titulaire si bien que la non-atteinte des objectifs contractuels est indemnisée par compensation directe par la personne publique sur le prix restant dû au titulaire.

En pratique, dans un tel cadre simplifié, l'acheteur n'a plus besoin de faire jouer les garanties financières du marché.

Enfin, l'expérimentation embarque explicitement l'ambition de décarbonation qui constitue encore le parent pauvre de la politique publique de rénovation du parc immobilier français.

Mais encore balbutiante

Officiellement ouverte par la loi du 30 mars 2023, l'expérimentation n'a pu véritablement débuter qu'avec la publication du décret d'application du 3 octobre 2023 (n° 2023-913).

À ce stade précoce de l'expérimentation, quelques premières réflexions peuvent être esquissées tant sur la distinction entre marché global de performance environnement à paiements différés (MGPE-PD) et marché de partenariat qu'entre les approches financières envisageables en MGPE-PD.

S'agissant du « cousinage » entre MGPE-PD et marché de partenariat, les pouvoirs publics ont considéré que l'expérimentation devait être entourée des mêmes précautions que le marché de partenariat.

Ce dernier, en tant qu'il emporte un grand nombre de dérogations aux règles de droit commun de la commande publique, de la comptabilité publique ou de la domanialité publique, constitue en effet un véhicule d'exception, ainsi que l'a rappelé plusieurs fois le Conseil constitutionnel6 .

Par simplicité, les pouvoirs publics ont donc eu l'idée de transposer, en le simplifiant un peu, le dispositif de la phase d'instruction du marché de partenariat au MGPE-PD.

C'est ainsi que la conclusion d'un MGPE-PD est conditionnée à la réalisation d'une étude préalable soumise à avis, ayant pour objet de démontrer que le recours à un tel contrat est plus favorable que le recours à d'autres modes de réalisation du projet, notamment en termes de performance énergétique, le critère du paiement différé ne pouvant à lui seul constituer un avantage.

Une étude de soutenabilité budgétaire, soumise à la Direction des Finances publiques doit également être réalisée. Elle a pour but d'apprécier notamment les conséquences du contrat sur les finances publiques et la disponibilité des crédits.

Enfin, une autorisation de principe doit être délivrée, pour les MGPE-PD conclus de l'État et ses établissements publics, par les autorités administratives compétentes, et pour les collectivités territoriales et leurs établissements publics, par l'assemblée délibérante ou à l'organe délibérant7 .

Pour autant, il ne faut pas s'y tromper, une grande différence existe entre les deux véhicules, qui tient à l'organisation de la maîtrise d'ouvrage. En effet, en MGPE-PD comme en MGP de droit commun d'ailleurs, l'acheteur public conserve la qualité de maître d'ouvrage alors qu'en marché de partenariat, la maîtrise d'ouvrage est, de droit, transférée au titulaire.

Cette situation pourrait même inquiéter l'acheteur public si elle impliquait que la totalité des risques du projet est portée par lui.

En pratique, le recours à des procédures de passation telles que le dialogue compétitif ou la procédure négociée, même simplifiées en un seul tour, permet de susciter de la part des candidats les meilleures propositions et techniques de rénovation énergétique sur lesquelles ils prendront une obligation de résultat, sans conserver tous les risques sur la personne publique.

S'agissant ensuite des modes de financement envisageables, la plupart des acteurs du marché ont immédiatement transposé au MGPE-PD les solutions développées en marché de partenariat, à savoir un financement dit « structuré » se caractérisant par une présence contractuelle significative du prêteur, bénéficiaire d'une cession Dailly notifiée et acceptée portant sur la part du prix de l'investissement tiers financé et « sanctuarisée », c'est-à-dire tenue indemne de toute pénalité ou réduction de montant, à terme normal ou anticipé du marché.

Cette mécanique financière, très sécurisante pour la dette senior, emporte la consolidation dans la dette publique de la part du loyer faisant l'objet de la cession Dailly et suppose la mise en œuvre d'outils financiers complexes et coûteux, si bien que le coût du financement est alourdi par rapport à un financement public classique.

Les avantages du contrat doivent compenser son surcoût structurel

L'intérêt d'un financement structuré suppose donc que des avantages du contrat compensent ce surcoût structurel. Le partage des risques constitue ce faisant la clé d'un bilan global favorable au marché de partenariat dès lors que le coût global intègre un transfert de risques à la charge du titulaire. En complément, l'existence de recettes de valorisation peut également contribuer à diminuer le surcoût global et rendre le montage financier pertinent. Enfin, à titre infiniment subsidiaire, l'existence d'externalités socio-économiques consolidera le bilan positif.

Mais le MGPE-PD pourrait recourir à d'autres formes de financement.

D'abord, il faut noter que rien n'oblige, même en marché de partenariat, à utiliser les techniques de cession Dailly susvisées car elles demeurent une faculté, que les prêteurs ont en pratique érigées en condition dirimante de leur participation au financement.

Ces mêmes prêteurs, qui ailleurs en Europe, financent l'équivalent des PPP savent pourtant intervenir sans la cession Dailly franco-française ... En l'état, la pratique des prêteurs impose ce système. Face à cette situation, qui a largement contribué à la mise en sommeil pré-létale des PPP depuis près de 10 ans, d'autres opérateurs seront tentés par d'autres modes de financement.

Un financement dit corporate, c'est-à-dire porté par le titulaire sans présence contractuelle du prêteur est aujourd'hui envisagé par un certain nombre d'acteurs. Le titulaire, en recourant à une combinaison de fonds propres et de dette commerciale classique, accordera ainsi un crédit fournisseur à son client acheteur public et répercutera son propre coût de financement dans son prix de MGPE-PD.

L'intérêt de ce montage, particulièrement adapté pour des petits projets, inférieurs notamment à 10 millions d'euros, est sa simplicité et sa souplesse.

Le MGPE-PD est donc en train de s'écrire, à la main des pionniers les plus en avance sur le gros du marché, s'appuyant sur un nouvel outil promoteur.

L'année 2024 dira si l'outil trouve son public !

1 Cf. Instruction du 28 août 2001 pour l'application du code des marchés publics, chapitre IV in fine.

2 Cf. , préfet Bouches-du-Rhône c/ Cne La Ciotat : JurisData n° 1999-050033 ; JCP E 1999, n° 9, p. 395 ; Lebon, p. 19 ; RDI 1999, p. 230, obs. F. Llorens ; RDI 1999, p. 233, obs. F. Llorens ; RTD com. 1999, p. 661, obs.

G. Orsoni ; RFDA 1999, p. 1134, obs. J.-C. Douence ; RDFA 1999, p. 1172, obs. S. Braconnier ; AJDA 1999, p. 364, obs.

D. Chabanol ; ADJA 1999, p. 364, obs. C. Bergean.

3 Cf. Cour des comptes, Rapport annuel 2000, p. 772.

4 Cf. F. Llorens et P. Soler-Couteaux, « De l'interdiction du paiement différé et des moyens d'y échapper », Contrats-Marchés publ.

2013, repère 6.

5 Cf. O. Ortega, « Les contrats de performance énergétique », La Documentation Française, proposition n° 6, p. 78

6 Cf. C. cons. DC n° 2004-506 du 2 décembre 2004 ; DC n° 2008-567 du 24 juillet 2008.

7 Sur le régime de cette phase préalable, cf. « Droit des marchés publics & Contrats publics spéciaux », Tome « Contrats publics spéciaux », II.310.4.5, Le Moniteur.

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