Dans quelle situation financière les collectivités locales ont-elles abordé la crise sanitaire ?
Leurs fondamentaux, patiemment fortifiés par un vrai pilotage budgétaire depuis une dizaine d’années, sont bons. Les collectivités ont abordé la crise dans une situation globalement très satisfaisante. En septembre dernier, notre note annuelle sur les finances locales prévoyait, pour l’année 2019, une nouvelle hausse de leur épargne brute de 8,5 %, une croissance de 9,2 % des dépenses d’investissements, une trésorerie record et une dette stabilisée. Ces évolutions positives étaient conformes à celles des précédentes années et la fin 2019 s’est déroulée dans un contexte qui a confirmé nos estimations de septembre. Nous avions sous-titré la note par la formule du « calme avant la tempête », mais nous n’imaginions évidemment pas celle qui est survenue. Nous pensions davantage aux risques induits par la suppression progressive de la taxe d’habitation ou à la latence inhérente à une année d’élections municipales. Ces facteurs sont bien sûr sans commune mesure avec le tsunami du Covid-19 qui a déferlé.
Entre dépenses imprévues et recettes non collectées, un facteur vous paraît-il plus inquiétant que l’autre ?
Sur un horizon durable, un point de vigilance peut concerner les départements qui doivent s’attendre à une vague de financement supplémentaire du RSA. La grosse inquiétude porte cependant sur les ressources, et pour tous les types de collectivités. Sur l’ampleur — les chiffres qui circulent évoquent plus de 10 milliards d’euros de pertes sur deux ans — et aussi sur la durée. En 2020, la crise sanitaire va peser sur les droits de mutation, les taxes de séjour des communes touristiques, les versements mobilité ou encore sur la TVA perçue par les régions. En 2021 et 2022, cela risque d’être le tour de la fiscalité générée par l’activité économique, ce qui préoccupe notamment les intercommunalités. Mais à supposer que la crise sanitaire ne s’éternise pas, son impact sur les budgets locaux perdurera sans doute jusqu’en 2023 en raison des effets induits sur le potentiel fiscal ou les revenus dans les territoires, et donc sur les dispositifs de péréquation.
« Il faut de la visibilité, or celle-ci manque »
Les collectivités ont-elles la capacité d’engager des plans de relance ?
Nonobstant les situations particulières, leur situation de trésorerie leur permet d’absorber le choc, en puisant dans leurs réserves pour financer des plans de relance propres ou des plans de soutiens aux projets des autres collectivités ou organismes rattachés. Par ailleurs, la nécessité d’investir, pour maintenir et améliorer leur patrimoine ou encore stimuler la transition écologique, ne se dément pas. Mais pour transformer cette nécessité en volonté, il faut de la visibilité, or celle-ci manque : ampleur et durée de l’impact budgétaire comme déjà mentionné ? Modalités d’aides que l’Etat mettra en place ? Prise en compte par celui-ci de la non-perception des recettes via, par exemple, un mécanisme d’étalement des charges dans le temps ? Réaction des banques et autres organismes financeurs vis-à-vis des collectivités qui demeurent cependant les moins risqués de leurs clients ? Prise en compte de l’investissement local dans le futur plan de relance européen ? Les points d’interrogation s’accumulent… ce qui n’est pas bon pour la propension à dépenser.
Un précédent récent est instructif à ce titre : la baisse des dotations d’Etat de 2014 à 2017. Son montant a été comparable à celui qui circule quant au Covid-19, soit 11,5 milliards d’euros, certes répartis sur quatre ans. Les collectivités n’étaient pas non plus en situation de détresse financière, or elles ont surréagi, du fait d’un manque de visibilité sur la durée du phénomène. Ceci a entraîné une baisse historique des investissements locaux, dont le secteur de la construction a souffert.
Si ces incertitudes se prolongent, créant une absence de visibilité sur la structuration et les modalités d’équilibre des budgets, il faut s’attendre à un réflexe de prudence de l’échelon local dans l’investissement pendant plusieurs années.
Et dans l’immédiat, il est évident que l’évolution des dépenses d’investissements en 2020 sera très éloignée de celle enregistrée en 2019.
La date de tenue du second tour des municipales dans les plus grandes villes est-elle cruciale ?
Le « réflexe de prudence », que j’évoquais à l’instant, se prolongera, de plusieurs mois au moins. En parallèle, chaque élection municipale débouche sur un temps de finalisation des nouveaux grands projets qui amène le pic d’investissements à deux ans environ après son déroulement. Les calendriers coïncident donc…ce qui veut dire que, de toute façon, même avec un calendrier respecté, il ne fallait pas s’attendre à une profusion d’investissements avant 2022. Le report n’arrange bien sûr rien, mais ce n’est pas le sujet le plus inquiétant.
La relance en cinq points en Haute-Saône
Président du conseil départemental de la Haute-Saône, Yves Krattinger a listé cinq leviers, qu’il a fait actionner à sa collectivité, pour relancer l’activité locale du BTP. « Remettre en route la commande départementale a constitué notre priorité. La mise en œuvre des règles de protection sanitaire a été rapide dans les TP, plus compliquée et lente dans le bâtiment. Les 80 commandes en cours ont repris », décrit-il. Par ailleurs, l’agence départementale d’ingénierie s’est mobilisée illico presto pour accélérer les dossiers d’études, de consultations d’entreprises, d’instruction des actes d’urbanisme ainsi que son assistance aux autres collectivités dans l’élaboration des devis de voirie. Priorité a également été donnée à la reprise des chantiers de raccordement au haut débit, « comme il se trouvait que les marchés étaient passés ».
Le département a fait preuve d’inventivité sur deux derniers volets, avec la complicité de l’Etat pour le premier : la relance de chantiers d’eau-assainissement pour 6 millions d’euros. « En attendant les aides de l’agence de l’eau, la préfecture a pioché dans la dotation d’équipements des territoires ruraux (DETR) pour ajouter 25 % d’aides aux 25 % que nous avons votés en parallèle », souligne Yves Krattinger. Enfin, la collectivité locale abonde de 50 % ses subventions aux travaux de voirie communales dès lors qu’ils seront effectués en 2020. Son président entend ainsi inciter à « débloquer » des décisions coincées dans l’étau du calendrier électoral décalé : « On a des maires qui ne le seront bientôt plus qui hésitent à s’engager, et d’autres nouvellement élus qui ne le peuvent pas encore », résume-t-il.