Le maître d’oeuvre, hyper-responsable ?

La jurisprudence se montre souvent assez sévère pour le maître d'oeuvre, chargé d'endosser toutes sortes de responsabilités aux diverses phases d'un marché de travaux. Les 25e rencontres Droit & construction, qui se sont tenues le 29 septembre à Aix-en-Provence, ont consacré une table-ronde à la question de cette écrasante responsabilité.

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L'enjeu de la responsabilité des maîtres d'oeuvre en phase conception et en phase travaux

« Quel jeune étudiant se lancerait dans le métier si on lui exposait dès son inscription à l’école d’architecture les responsabilités qu’il engage ? » L’hyper-responsabilité des maîtres d’oeuvre est un sujet sensible, selon Bernard Bart, expert agréé par la Cour de cassation, intervenant à la table-ronde consacrée à cette thématique lors des 25e rencontres Droit & construction le 29 septembre à Aix-en-Provence.

Dès la phase conception, l’architecte joue gros : « Il a une obligation de conseil. Il doit veiller à la prise en compte des contraintes administratives, mais aussi vérifier la faisabilité du projet aux plans technique et financier », avance Bernard Bart. Pas question en effet de concevoir un projet dont le devis serait hors de portée des capacités financières du client. Quant aux enjeux techniques, la jurisprudence en a une lecture extensive. Et l’expert de citer le cas de ce maître d’oeuvre tenu pour responsable de ne pas avoir anticipé la tenue d’un ouvrage à des charges lourdes alors même que le maître d’ouvrage ne l’avait pas averti de l’usage qu’il comptait faire de celui-ci. « Il aurait dû s’enquérir de l’usage du bâtiment. La cour d’appel d’Aix et la Cour de cassation ont considéré que l’architecte et le bureau d’études avaient manqué à leur devoir de conseil » (1).

Obligation de moyen

L’architecte a également un devoir d’informations juridiques : « Règlements de copropriété, actes de servitude, diagnostics géotechniques, réglementations thermique, environnementale... Il doit tout passer au crible car, sur chacun de ces points, sa responsabilité peut être engagée », note Patrick Cormenier, de la direction des sinistres de la Mutuelle des architectes français (MAF).

Au stade du permis de construire, le chemin de croix juridique n’est pas terminé. « En cas de rejet du permis, le maître d’ouvrage pourra exiger qu’il rembourse tout ou partie des honoraires perçus », indique Patrick Cormenier. Cette exigence passe mal auprès des architectes. « Ils ont du mal à admettre que leur responsabilité puisse être engagée lorsqu’ils ont méconnu l'obligation de conseil en matière de respect des règles d’urbanisme », constate le juriste de la MAF. Obligation dont le juge a également une interprétation très large : « L’architecte peut être inquiété s’il a omis d’avertir son client des risques juridiques encourus par un projet fondé sur un POS contraire à la loi ainsi qu’en atteste un arrêt du 7 avril 2015 de la Cour de cassation (2) », remarque Patrick Cormenier.

En phase travaux, objet de la majorité des litiges, le maître d’oeuvre est dans l’oeil du cyclone. « Les tribunaux ont tendance à considérer que les architectes sont responsables de dépassements de budget », observe le juriste de la MAF. Et depuis 2013, la pression s’est renforcée. « L’arrêt du Conseil d’Etat "Région Haute-Normandie" du 5 juin 2013 (3)marque un revirement de la jurisprudence concernant les marchés publics ». Cette décision énonce que les difficultés rencontrées dans l’exécution d’un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l’entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés ont eu pour effet de bouleverser l’économie du contrat, soit qu’elles sont imputables à une faute de la personne publique. « Par ricochet, les entreprises vont rechercher la responsabilité de la maîtrise d’oeuvre sur un fondement quasi délictueux », note Patrick Cormenier. « Livraison des plans avec retard, désorganisation d’un chantier, études insuffisantes... sont autant de circonstances qui vont permettre d’engager sa responsabilité », poursuit le juriste.

L’architecte, cible idéale

Cette hyper-responsabilité s’explique par des raisons statutaires : « L’architecte détient le monopole du permis de construire », souligne Dominique Pronier, haut conseiller à la Cour de cassation. Elle tient aussi à des considérations plus bassement matérielles : « L’architecte est assuré. Et le juge cherche souvent la responsabilité du plus solvable », ajoute le magistrat. Ce qui en fait donc une cible idéale en cas de litige. Une réalité évidemment mal vécue par les intéressés. « L’architecte a bon dos. Il ne refuse pas les responsabilités. Mais il ne peut pas tout assumer au prétexte qu’il est le seul assuré », insiste Régis Chaumont, président de l'Union nationale des syndicats français d’architectes (Unsfa). Pour minimiser les risques, Dominique Pronier avance une solution : « Lorsqu’ils acceptent une mission complète, les architectes devraient se faire épauler par un juriste ».

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