Dans son dernier ouvrage, Jacques Lucan propose une analyse inédite sur l’évolution actuelle des formes urbaines, résultat d’une étude commandée par la mairie de Paris. Publié sous une forme très didactique que l’on peut rapprocher de La ville franchisée de David Mangin, le livre vise un lectorat élargi pouvant aller de l’étudiant au maître d’ouvrage éclairé. Le propos s’appuie sur une illustration conséquente couvrant différentes échelles, parfois jusqu’aux plans d’étage des bâtiments, comprenant des documents fournis par les architectes mais aussi des planches analytiques conçues par Lucan en fonction des thèmes successivement abordés. Après un rappel des grandes étapes françaises de l’évolution des discours post- haussmanniens sur l’îlot, l’auteur s’attache à repérer dans les deux dernières décennies les projets urbains qui ont inauguré des mutations importantes des formes de la ville dense. De la ZAC Massena à Paris au secteur du Trapèze à Boulogne-Billancourt, la réponse à la demande sociale de « mixité » motivera pour la première fois l’expérimentation du principe de « macrolot » dans lequel Lucan voit une entité fondamentale des projets actuels redéfinissant à la fois les formes bâties, les processus de projet et les relations d’acteurs. à travers l’étude d’une trentaine d’opérations d’urbanisme en cours à Paris et dans les grandes villes françaises, sont alors identifiées les évolutions qui en découlent, et notamment comment les formes urbaines et architecturales de ces projets, majoritairement des îlots ouverts constitués de plots, transcrivent presque littéralement certaines contraintes auxquelles elles sont assujetties (gabarits, gestion de l’ensoleillement et des vents…). Et par ailleurs, comment les règles mises en place dans ces projets aboutissent à un registre formel pittoresque et à des images de diversité (volumétries, enveloppes, juxtapositions) opposées à la banalité des programmes et des typologies d’espace auxquels elles s’appliquent. Sur un autre plan, l’analyse permet de constater l’hégémonie de la maîtrise d’ouvrage privée issue des grands groupes du BTP ou des banques, reléguant les opérateurs publics traditionnels au rôle d’« utilisateur » ou d’acquéreur de projets en Vefa, conséquence de décisions politiques prises dans la dernière décennie. Les logiques de retour sur investissement qui dictent la conception de ces opérations incitent alors à douter de leur qualité en matière de pérennité et de mutabilité à moyen terme. Corollairement, l’auteur identifie aussi de nouvelles méthodes de gestion des projets visant à réduire sensiblement la durée des opérations, à commencer par la disparition des procédures de concours, les maîtres d’ouvrage prenant l’habitude de travailler avec un cercle restreint d’architectes identiques d’une opération à l’autre. Au final, la démonstration de ces phénomènes souvent implicites s’avère aussi préoccupante que stimulante. On peut néanmoins regretter que Lucan n’en esquisse pas une contextualisation afin d’envisager si les mêmes phénomènes existent dans d’autres pays, et si en apparaissent des conséquences sur les projets plus réduits qui constituent encore en France l’ordinaire de la fabrication de la ville.
