Ci-dessous, le court-métrage : «Rochechouart», par Leïla Slimani...
«J’avais dix ans quand j’ai visité Paris pour la première fois. Ma mère aimait marcher, elle se sentait libre et anonyme. J’avais du mal à la suivre et la ville me faisait peur. Un jour, nous avons remonté la rue des Martyrs et nous sommes arrivées sur le boulevard de Clichy. Le petit train blanc, rempli de touristes, est passé devant nous. Je voulais prendre le petit train, j’ai fait un caprice mais ma mère a dit non. A la place, nous avons marché. Pour la première fois de ma vie, j’ai vu des prostituées, debout sur le trottoir, leurs seins dénudés, leurs visages émaciés par la drogue. Elles alpaguaient les hommes - « tu viens chéri ? », insultaient les touristes qui les regardaient comme des bêtes de foire. L’une a exhibé son pénis et s’est mise à rire. Je ne comprenais rien et les trouvais extraordinaires. Belles et d’une tristesse à pleurer. Certaines titubaient et l’une d’elles s’est assise sur le perron d’un immeuble de la rue Veron pour fumer une cigarette. Nous sommes passées devant les sex-shops et je n’ai pas posé de questions. Ma mère me tenait la main, très fort et moi je regardais les godemichets en vitrine, les combinaisons en latex, les types aux cheveux sales qui apparaissaient derrière un rideau rouge. Je voulais connaître les prostituées et leurs clients, les stripteaseuses de l’après-midi, les clients du cinéma porno.»
Leïla Slimani est née en 1981. Elle vit à Lisbonne. Ecrivaine, autrice d’une dizaine de romans dont notamment Dans le jardin de l’ogre (Gallimard, 2014), Chanson douce (Gallimard, 2016, prix Goncourt 2016), Sexe et mensonges : La vie sexuelle au Maroc (Les Arènes, 2017), et Le Parfum des fleurs la nuit (Stock, 2021).
Une collection réalisée par Stefan Cornic, concepteur de la série, et produite par Année Zéro et le Pavillon de l'Arsenal en partenariat avec La Métropole du Grand Paris, La Caisse des Dépôts et Enlarge Your Paris.