Hasard du calendrier : le congrès des géomètres experts, centré cette année sur « Le domaine public : bien le connaître pour mieux le gérer », se déroulait à Lille au moment précis où le dossier du patrimoine de l'Etat connaissait un rebondissement. En effet, le Premier ministre a abandonné l'idée de créer une agence interministérielle dédiée à la valorisation de ce patrimoine, préférant laisser à Bercy le soin de créer une structure légère, pilotée par une personnalité, qui interviendra au cas par cas.
Il s'agit en effet de faire vite : les cessions doivent produire une recette de 500 millions d'euros, inscrite au budget 2004, et le ministre de l'Economie a rappelé, il y a un mois, qu'il voulait vendre 100 000 m2 de bureaux au centre de la région parisienne, dont une partie d'ici à la fin de l'année.
Disparition des crédits d'études
Outre la vente de l'ENA, on cite l'immeuble des Douanes, rue du Bac, à Paris VIIe. Quant à l'externalisation à la Société nationale immobilière (SNI) de la gestion des logements des gendarmes, qui est prête et devait rapporter précisément 500 millions d'euros, elle va prendre du retard, la Défense venant de faire savoir qu'elle lancerait un appel d'offres, dont les résultats ne seraient connus qu'au premier quadrimestre 2005.
Une table ronde, lors du congrès des géomètres experts, à laquelle participait la plupart des acteurs du dossier, a permis de prendre la mesure de la complexité de toute démarche de valorisation du patrimoine public : elle réunissait notamment Pierre Pommellet, ancien directeur de l'Anah, qui a évalué en région parisienne à 3 millions de mètres carrés les actifs du ministère de l'Equipement et de ses satellites ; Jacques Brucher, responsable de la MRAI (mission pour la réalisation des actifs immobiliers) au ministère de la Défense, qui, depuis 1987, a vendu 1 500 emprises appartenant à l'armée et continue à le faire au rythme d'une centaine par an ; Jean-Pierre Duport, président de Réseau ferré de France ; et Olivier Debains, auteur d'un rapport récent sur la cession du patrimoine banalisé de l'Etat, qui avait recommandé la création de la mission interministérielle.
Pierre Pommellet a expliqué que la valorisation du patrimoine de l'Etat ne pouvait se faire que dans le cadre d'un projet mis au point avec les collectivités locales. Une démarche systématiquement suivie par la Défense, qui réfléchit en amont avec elles sur la destination future des emprises dont elle souhaite se défaire, s'entoure d'équipes pluridisciplinaires pour faire émerger les projets, consacre aux études 1 million d'euros par an et a créé un fonds de restructuration qui apporte des aides. « Les administrations n'ont pas de moyens d'études. Les crédits d'études ont été les premiers à disparaître » en temps de restriction budgétaire, a reconnu Pierre Pommellet, qui y voit une des explications de leur immobilisme patrimonial.
Le « juste prix »
Jean-Pierre Duport n'a pas caché son « exaspération » de constater que, sept ans après la création de RFF, on n'a pas réussi à déterminer le patrimoine qui devait rester à la SNCF et celui qui revenait à RFF. Ce dernier a « vendu le plus facile », les terrains que les collectivités locales attendaient : « Nous entrons dans une nouvelle phase, où il faut inventer des terrains urbanisables » avant de convaincre les collectivités. Il a écarté l'idée de céder ses terrains pour « un franc symbolique » : « Il faut un raisonnement économique. Nous ne sommes pas là pour spéculer mais pour vendre les terrains au juste prix. »
Un équilibre à trouver entre vendre vite et vendre bien
Une notion qui a suscité à son tour beaucoup de débats : les grands propriétaires publics reconnaissent qu'ils composent avec les directives du gouvernement et les demandes des communes avant de réussir à déterminer un prix. « Quand on vend à une collectivité locale, on vend à celui qui détient les règles du jeu », a rappelé Jacques Brucher. « Beaucoup de cessions sont opérées sur la base d'une estimation qui est faite sur le bilan de l'opération », a-t-il expliqué.
Dans l'immédiat, la contrainte budgétaire amène à se poser une question : « Quel équilibre trouver entre vendre vite et vendre bien », s'est interrogé Olivier Debains. Il a estimé que l'opinion publique aurait du mal à comprendre que les biens de l'Etat soient achetés par des investisseurs étrangers, qui en tireraient une grosse rentabilité et les revendraient trois ans après. « Cela compromettrait durablement les opérations », a-t-il prévenu, en souhaitant que des investisseurs français s'intéressent aussi à ce patrimoine.
Le prochain congrès des géomètres, qui aura lieu dans deux ans, se tiendra à Saint-Malo, sur le thème de « l'offre foncière ».