Le devoir de conseil : portée et mise en œuvre

Marchés privés -

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Le devoir de conseil est fréquemment invoqué par le maître d’ouvrage à l’égard de ses cocontractants pour engager leur responsabilité contractuelle dans le cadre de l’exécution d’un marché privé de travaux.

Certaines conditions doivent cependant être réunies pour qu’une telle action prospère.

Qui est assujetti au devoir de conseil dans le cadre d’un marché privé ?

Tout professionnel de la construction a un devoir de conseil à l’égard de son maître d’ouvrage.

Il peut s’agir du titulaire du marché de travaux ou du maître d’œuvre (notamment l’architecte et les bureaux d’études techniques).

Le sous-traitant a un devoir de conseil à l’égard de l’entrepreneur principal dont il exécute tout ou partie des prestations. Ce devoir de conseil du sous-traitant a été étendu au maître d’ouvrage par la jurisprudence ().

Le fournisseur et le fabricant sont également tenus à un devoir de conseil à l’égard de l’acquéreur de leurs produits.

Il faut préciser, enfin, que les différents participants à un marché privé de travaux ont un devoir de conseil entre eux.

Quel est l’objet du devoir de conseil ?

Pour la Cour de cassation, le devoir de conseil implique que le professionnel de la construction attire l’attention du maître d’ouvrage sur les risques présentés par la construction de l’ouvrage envisagé, eu égard, en particulier, à la qualité des existants sur lesquels il intervient ; ce devoir de conseil doit, éventuellement, l’amener à refuser l’exécution de travaux dépassant ses capacités ().

Il appartient au professionnel de la construction d’informer, de renseigner et/ou de mettre en garde le maître d’ouvrage sur les risques susceptibles de survenir du fait de l’exécution des travaux jusqu’à leur réception.

Quelle est la nature juridique du devoir de conseil ?

Le devoir de conseil est considéré comme une obligation de moyen. Il en résulte que la charge de la preuve du manquement d’un professionnel de la construction à son devoir de conseil devrait peser sur le maître d’ouvrage. Ce n’est toutefois pas ce que la Cour de cassation a jugé ().

Il appartiendra donc aux professionnels de la construction d’apporter la preuve qu’ils n’ont pas manqué à leur obligation de conseil, en faisant signer par leur maître d’ouvrage des documents attestant des informations ou des conseils qu’ils leur ont donnés.

Quels sont les risques dont le maître d’ouvrage doit être informé ?

Le professionnel de la construction doit attirer l’attention du maître d’ouvrage sur tout risque susceptible de concerner l’ouvrage projeté, en prenant en compte sa finalité - dont il doit s’être tenu informé.

Il peut s’agir d’un risque technique, lié par exemple aux contraintes du sol susceptibles d’empêcher le projet de construction souhaité par le maître d’ouvrage, ou aux insuffisances du projet - notamment en matière d’isolation phonique - au regard des particularités du site d’implantation de l’ouvrage. Le risque peut aussi être économique, notamment lorsque l’ouvrage projeté a un coût qui pourrait ne pas pouvoir être financé par le maître d’ouvrage.

Le risque peut encore être juridique. Le devoir de conseil imposera alors, par exemple, d’informer le maître d’ouvrage de la réglementation d’urbanisme applicable sur le terrain d’assiette du projet, de solliciter la délivrance d’un certificat d’urbanisme (), d’informer de l’existence de servitudes de droit privé, ou encore de conseiller la souscription d’une assurance et plus particulièrement d’une assurance dommage-ouvrage.

Plus spécifiquement, le maître d’œuvre a une obligation de conseil pour prévenir le choix d’une entreprise qui n’apporterait pas la preuve de sa capacité technique, juridique et professionnelle à exécuter les travaux.

Qu’en est-il pendant le chantier et lors de la réception de l’ouvrage ?

Les débiteurs de l’obligation de conseil doivent fournir au maître d’ouvrage les informations nécessaires pour que celui-ci puisse comprendre et apprécier leur intervention et la qualité de leurs prestations pendant la durée d’exécution des travaux.

Ils doivent l’informer des difficultés rencontrées durant le chantier et le conseiller sur les mesures à prendre pour les résoudre. Par exemple, le maître d’œuvre doit inviter le maître d’ouvrage à mettre en demeure un entrepreneur d’ordonner au sous-traitant non accepté et/ou dont les conditions de paiement n’ont pas été agréées de quitter le chantier sans attendre.

Le devoir de conseil s’étend pour le maître d’œuvre à la réception des travaux. Il lui appartient, en effet, de conseiller le maître d’ouvrage sur les réserves à émettre sur les désordres apparents et sur la décision à prendre, le cas échéant, de ne pas réceptionner les travaux. Le maître d’œuvre conseillera également le maître d’ouvrage pour la levée des réserves, lorsque cette mission lui a été confiée.

En quoi consiste ledevoir de conseil de l’entrepreneur en présence d’un maître d’œuvre ?

L’entrepreneur a une obligation de conseil à l’égard du maître d’ouvrage, même lorsque ce dernier a recours à un maître d’œuvre. Il appartiendra donc à cet entrepreneur de s’informer sur la finalité de l’ouvrage projeté par le maître d’ouvrage sur la recommandation de la maîtrise d’œuvre, et de faire toutes les préconisations qu’il juge utiles pour que son intervention crée le moins de risques (techniques, économiques, juridiques) possible.

L’entrepreneur n’hésitera donc pas à alerter le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre sur les défauts de conception d’un plan, le choix des matériaux à retenir ou la régularité du projet par rapport aux règles d’urbanisme en vigueur ().

L’entrepreneur fera également attention à fournir au maître d’ouvrage des informations exactes sur les crédits d’impôt dont il pourrait bénéficier au titre des travaux projetés ().

Ce devoir de conseil est-il renforcé lorsqu’il n’y a pas de maître d’œuvre ?

En effet, le devoir de conseil s’impose avec plus de rigueur encore à l’entrepreneur qui a accepté d’exécuter des travaux pour le compte d’un maître d’ouvrage ayant fait le choix de ne pas s’adjoindre les services d’un maître d’œuvre.

L’entrepreneur devra recommander au maître d’ouvrage de recourir à un maître d’œuvre s’il ne s’estime pas compétent pour réaliser l’ouvrage sans son intervention.

Quelles sont les limites du devoir de conseil ?

La première limite est que le professionnel de la construction a pour obligation de conseiller le maître d’ouvrage dans le seul cadre des missions qui lui ont été confiées.

De surcroît, il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir communiqué au maître d’ouvrage des informations connues de tous (par exemple, le fait que des travaux nécessitent une autorisation d’urbanisme ou qu’ils créent des troubles de voisinage).

Enfin, le professionnel de la construction ne saurait engager sa responsabilité au titre de son devoir de conseil sur des informations que le maître d’ouvrage aurait conservées par-devers lui et qu’il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir sollicitées (par exemple, des éléments concernant la situation financière réelle du maître d’ouvrage ou son titre de propriété).

Le comportement du maître d’ouvrage peut-il dispenser le professionnel de la construction de son devoir de conseil ?

Le professionnel ne saurait se prévaloir du fait que le maître d’ouvrage aurait décidé de réaliser lui-même une partie des travaux pour se dispenser de son devoir de conseil. Il a même pu être reproché à un entrepreneur de ne pas avoir indiqué à un maître d’ouvrage les précautions à prendre pour l’exécution des travaux que ce dernier aurait décidé d’effectuer lui-même ().

De surcroît, la compétence notoire du maître d’ouvrage dans le domaine de la construction (ou le fait que le maître d’ouvrage disposerait en interne de compétences de maîtrise d’œuvre) ne saurait, dans la plupart des cas, avoir pour effet de dispenser le professionnel de son devoir de conseil. Sauf à ce que le maître d’ouvrage notoirement compétent s’immisce dans l’exécution des travaux de manière fautive, en ne prenant pas en compte les conseils du maître d’œuvre et/ou des entrepreneurs.

Au contraire, il ne saurait être reproché à un professionnel de la construction un manquement à son devoir de conseil si le maître d’ouvrage décide d’écarter ses recommandations en parfaite connaissance de cause. Ce faisant, le maître d’ouvrage accepte délibérément d’assumer les risques sur lesquels il aura été alerté par des réserves expresses et écrites, ainsi que les conséquences des dommages qui pourront résulter de leur survenance.

Quelle est la sanction du manquement au devoir de conseil ?

Le manquement au devoir de conseil engage la responsabilité contractuelle de son débiteur pour tous les dommages survenus avant la réception des travaux.

Pour les désordres apparus après la réception, le maître d’ouvrage peut mettre en œuvre les garanties des constructeurs pour les dommages causés à l’ouvrage (parfait achèvement à l’égard des entrepreneurs, bon fonctionnement et décennale).

Toutefois, le professionnel peut engager sa responsabilité contractuelle au titre de son manquement à son devoir de conseil pour les dommages non couverts par les garanties précitées (par exemple, le surcoût de la construction, ou encore le défaut de vérification par le maître d’œuvre des qualifications et garanties présentées par l’entrepreneur).

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