Aucun autre pays que la France n’a connu une accélération aussi rapide des pratiques et aménagements cyclables, dans la foulée de la crise du Covid. Mais Olivier Schneider, co-président de la fédération des usagers de la bicyclette (FUB), n’y voit pas l’effet d’un miracle : « Les esprits étaient mûrs », selon lui.
Alignement des étoiles
Le militant rembobine : assises de la mobilité en 2017, plan quinquennal vélo de 50 M€/an annoncé en 2018 par le Premier ministre Edouard Philippe, création des nouvelles autorités organisatrices des mobilités par la loi d’orientation de décembre 2019...
Le franchissement de chacune des étapes a été facilité par la bonne entente entre tous les acteurs des mobilités actives. Pendant la crise sanitaire, l’engouement pour l’urbanisme tactique se traduit par la multiplication des « coronapistes » tracées par les communes et les départements. « On avait un plan pour rattraper le retard. Il suffisait d’accélérer », résume Olivier Schneider.
Le coup de pouce d’Elisabeth Borne
Le déclic vient du Conseil d’Etat : « Par un référé liberté, j’ai fait condamner Edouard Philippe, qui avait interdit la pratique du vélo dans le rayon d’1 km auquel chacun avait droit pour sa sortie quotidienne. La ministre des Transports Elisabeth Borne m’a félicité, tout en me priant de ne pas trop triompher. En contrepartie de notre discrétion, nous avons obtenu le coup de pouce vélo, doté d’1,7 M€ pour l’aide à la réparation », raconte Olivier Schneider.
Copilotage avec les usagers
« Après le métro, puis le RER et le Grand Paris Express, le VIF dote la région parisienne de son quatrième grand réseau »
— Grégoire de Lasteyrie, VP du Conseil régional IDF
Sur le front des aménagements, la région capitale montre la voie de l’articulation entre le provisoire et le durable : le 22 avril 2020, le conseil régional d’Ile-de-France annonce son soutien au réseau express vélo (REV), baptisé VIF, comme Vélo Ile-de-France. La collectivité réserve 300 M€ pour financer à hauteur de 50 %, jusqu’en 2030, les 11 lignes totalisant 750 km. Sa contribution s’est haussée à 60 % en 2024. Son association avec le collectif VIF, fort de 42 associations et initiateur du schéma régional, aboutit à un copilotage aussi inédit qu’efficace.

La mise en service des premiers tronçons du réseau Vélo Ile-de-France (VIF) résultent de financements décidés par la région pendant la crise sanitaire.
A tel point qu’entre région Ile de France et métropole du Grand Paris, l’éternelle rivalité se transforme en émulation, dès que l’on parle du vélo, comme l’a montré, ce 27 février 2025 au congrès de la FUB, l’étonnant duo composé par le communiste Jacques Baudrier, conseiller métropolitain chargé du vélo, et Grégoire de Lasteyrie, vice-président Les Républicains de la région délégué aux transports. « Nous participons au même combat, avec les mêmes méthodes, sur des axes qui se complètent », déclare le premier. « Après le métro au début du XX siècle, puis le RER et le Grand Paris Express, le VIF dote la région parisienne de son quatrième grand réseau », s’enthousiasme le second.
Coordination des financeurs
Certes, les 280 km prévus pour la fin 2025 ne correspondent pas aux 450 espérés à mi-parcours, lors du lancement du projet. Mais Louis Belenfant, président du collectif VIF, résume la bonne nouvelle du monde d’après : « Dans le millefeuille administratif le plus indigeste du pays, Paris et l’Ile-de-France montrent qu’en six ans, on peut changer radicalement une métropole ».
« En six ans, on peut changer radicalement une métropole »
— Louis Belenfant, président du collectif VIF
La démonstration post-Covid ne s’arrête pas aux frontières des agglomérations. Parmi les symboles de son essaimage rural, la maison tunnel de Grandchamp-des-Fontaines (Loire-Atlantique) offre une leçon de volontarisme politique. Jusqu’à la mise en service de l’ouvrage en mai 2022 après 120 000 € de travaux, l’immeuble d’habitation semblait interdire la continuité cyclable directe en site propre, sur les quatre km qui séparent cette commune de sa voisine Treillières.
Volontarisme rural
« Pour faire sauter ce verrou, la collectivité a acquis la maison, avant d’y percer le tunnel et de revendre le bien », raconte Camille Boceno, chargée de la mobilité à la communauté de communes Erdre et Gesvres, qui regroupe 12 communes rurales et périurbaines, soit 70 000 habitants du Nord de l’agglomération nantaise.

Mise en service en mai 2022, la maison tunnel de Grandchamp-les-Fontaines (Loire-Atlantique) rend possible la continuité cyclable entre ce bourg et son voisin Treillères, suite à l'acquisition de l'immeuble et à sa revente par la communauté de communes
Par rapport au plan initial de 2017, le nombre de km projeté est passé de 60 à 100 à l’occasion de la crise sanitaire. En 2023, la sélection de la communauté de communes, parmi les 27 lauréats de l’appel à territoires cyclables, a permis un doublement des aménagements planifiés. De 2017 à 2030, la collectivité prévoit 20 M€ d’investissements cyclables.
Mutation culturelle
Outre la coordination des financeurs, Erdre et Gesvres attribue le succès à la qualité de ses services techniques, en particulier le technicien VRD, le spécialiste du foncier et de la concertation, sans oublier la chargée de mission mobilité. « Une infrastructure rurale exige des échanges avec les agriculteurs, les randonneurs et les chasseurs », souligne Camille Boceno.
Ingénieur voirie à la région Ile-de-France en charge du VIF, Jérôme Chiasson estime que les mobilités actives ont provoqué une véritable mutation culturelle, dans l’ingénierie territoriale : « Dans les années 90, mes études ne m’avaient pas préparé aux référentiels vélo », se souvient-il. A la ville comme à la campagne, le coronavirus aura facilité ce changement de paradigme.