Comment abordez-vous ce Congrès des maires 2015 ?
François Baroin : Le contexte est celui d'une haute tension budgétaire. Le plan d'économies de 50 milliards d'euros de l'Etat fait porter aux collectivités territoriales un fardeau qu'elles ne peuvent aujourd'hui tenir. Au sein des collectivités, on demande le plus d'efforts au bloc communal [communes et intercommunalités, NDLR]. Cela n'a pas vraiment de cohérence, car c'est l'agent économique le plus efficace au titre de l'investissement public. A cela s'ajoutent l'application de la loi "Notre" [réforme territoriale, NDLR], les annonces non budgétées (le plan rémunération et carrière des fonctionnaires coûterait 1,7 milliard à l'horizon 2017 !), les coûts engendrés par l'aménagement des rythmes scolaires qui ont dérapé et qui ne seront pas compensés intégralement, les coûts supplémentaires sur les mesures indiciaires [pour les fonctionnaires], les annonces relatives à la réforme de la dotation globale de fonctionnement [le Premier ministre a annoncé le report de cette réforme à 2017 après la réalisation de l'interview, NDLR], et un schéma de coopération intercommunale non stabilisé... Ce Congrès s'ouvre donc sur de très lourdes interrogations. Les élus ont pris conscience, depuis longtemps, de cet effet de ciseaux terrifiant entre plus de compétences et moins de moyens.
F.B. : Même si ce n'est pas le choix majoritaire des élus, la fiscalité locale augmente déjà pour 30 % des communes. La situation entrainera inévitablement en 2016 et 2017 une altération de la qualité des services publics, une atteinte au tissu associatif. La plupart des membres du bloc communal vont également réduire de façon significative l'investissement public local, avec un effet amplificateur pour 2016 et 2017. La question posée est donc assez simple : quel est l'avenir de la libre administration des collectivités territoriales, garantie par la Constitution ? A un moment ou un autre, nous poserons cette question au Conseil constitutionnel.
F.B. : Je ne connais pas un maire qui ne souhaite pas développer son territoire. Les maires sont des gestionnaires. Ils ont été élus en mars 2014 mais ont dû décaler, dès la première année, leur budget, en découvrant la réforme territoriale et le contexte budgétaire. Le même phénomène sera observé en 2016, même dans les grandes villes, tellement l'incertitude est grande sur les dotations et sur les bases. D'une certaine manière, ils appliquent le principe de précaution : bloquer les investissements pour sauvegarder les équilibres budgétaires. Il faut garder à l'esprit que les deux premières années d'un mandat sont consacrées aux études ; les deux suivantes aux procédures et à la « purge » des recours ; les deux dernières à la réalisation. Bien souvent, les six derniers mois d'un mandat sont même gelés pour éviter d'être trop contraint par des travaux pendant la campagne électorale. 30 % d'investissements en moins sur 2014/2017, c'est-à-dire la première moitié du mandat c'est énorme ! Même mécaniquement : lorsque les orientations budgétaires sont fixées en janvier, plutôt qu'en novembre, le décalage de commande publique n'est pas de trois, mais de six mois ! Les arbitrages du premier trimestre ne sont validés par l'instance délibérante qu'en mars. Ensuite les appels d'offre sont lancés : rien n'arrive sur le terrain avant fin juin ! C'est un semestre blanc en plus.
F.B. : Les études montrent qu'en France, la baisse des investissements des collectivités locales sur la période 2014-2017 sera de l'ordre de 30 %. Or le bloc communal porte 60 % de l'investissement public national ! Les mesures annoncées par le gouvernement, qu'il s'agisse du fonds de soutien d'un milliard d'euros, de l'élargissement de l'assiette du fonds de compensation pour la TVA (FCTVA), ou des prêts à taux zéro de la Caisse des dépôts, ne sont absolument pas à la hauteur de la saignée imposée aux collectivités territoriales. D'un côté, on a 28 milliards de baisse de dotations sur quatre ans ; de l'autre on évoque 1 milliard d'investissements. Dans la loi de finances, seuls 150 millions sont budgétés en crédits de paiement. Le reste ne correspond qu'à des annonces.
F.B. : Le remboursement anticipé du FCTVA peut avoir des vertus, mais il faut en élargir le périmètre et l'assiette. En tout état de cause, cette mesure ne permettra que de reporter les tensions sur l'autofinancement : elle permettra de préserver un petit volume d'investissement mais elle n'est absolument pas à la hauteur du désengagement sur les grands projets que l'on observe. Il y aura des effets sur la voirie, sur la maintenance des bâtiments. Cela ne représentera pas un volume important.
F.B. : C'est une drôle de tuyauterie ! C'est très généreux, mais cela n'est pas une nécessité : les collectivités territoriales n'ont aucun problème d'accès au crédit aujourd'hui. Cela révèle une volonté d'entendre le message sur le soutien à l'investissement public, mais ne correspond pas à un besoin. La pierre angulaire de tout investissement public, c'est l'autofinancement, avec un lien direct avec la section de fonctionnement [des budgets des collectivités].
F.B. : Dans la loi de programmation des finances publiques, c'est bien la réforme territoriale et les choix budgétaires de restrictions de dotations sur trois ans qui sont à l'origine de nos difficultés actuelles. Le président de la Commission européenne veut relancer la croissance européenne par de l'investissement public, avec un système d'effet de levier vertueux à partir de la Banque européenne d'investissement. Mais cela nécessite que l'Etat soit au rendez-vous. Or dans le schéma d'investissement public de la France sur une année de l'ordre de 55 milliards d'euros, l'Etat monte à peine à 10 milliards. Tout le reste est porté par les collectivités territoriales, et principalement le bloc communal. J'ai dit au président Juncker que la France ne pourra être au rendez-vous de son plan par la voie de son acteur majeur : nous n'aurons plus les moyens. J'espère avoir contribué ainsi à une réflexion de la Commission sur l'efficacité de l'élasticité du modèle économique d'investissement français, fondé sur les communes et l'intercommunalité.
Quelles sont les marges de manœuvre des communes ?
F.B. : Nous sommes dans un niveau de tension budgétaire extrême. Nous le répéterons lors du Congrès : c'est trop, et trop vite ! C'est un constat unanime qui va au-delà des clivages politiques. Il faut revoir le volume et le calendrier. Nous continuons à demander un texte spécifique sur la dotation globale de fonctionnement. L'Etat ne peut pas se contenter de constater la dérive et l'effacement du potentiel d'investissement public. La Cour des comptes a constaté la responsabilité de l'Etat sur la question ! Cet investissement public a un impact sur les secteurs essentiels au maillage territorial que sont le bâtiment et les travaux publics. Il ne s'agit pas que d'annoncer qu'on veut aider les maires bâtisseurs ! L'Etat devra entendre ce message de raison : l'effondrement de l'investissement public ne peut pas ne pas avoir d'impact sur la croissance.
F.B. : La même Cour des comptes souligne pour la première fois la responsabilité de l'Etat dans l'augmentation des charges de fonctionnement des collectivités ! Sur l'augmentation des charges de fonctionnement de 4 %, plus de 3, 5 % découlent de décisions exclusives de l'Etat.
F.B. : Nous sommes entendus sur trop peu de points. En ce sens, la journée de mobilisation du 19 septembre a été un succès : pour la première fois dans l'histoire de France, quelle que soit la taille des communes et dans tous les départements, le message a été porté auprès de l'opinion publique. L'Etat doit rembourser l'argent qu'il doit aux collectivités, donc aux citoyens, au titre des compétences qu'il leur transfère. Les communes ne peuvent plus être saignées comme elles le sont aujourd'hui. Ce sont d'abord les administrés, les contribuables et les usagers des services publics qui sont affectés.
F.B. : La commune nouvelle est une idée portée par l'AMF. L'idée a été adoptée par beaucoup d'élus assez rapidement, contre toute attente, dans un calendrier serré. Au 25 octobre, on comptait 100 communes nouvelles, représentant un bassin de population de 400 000 habitants. Il faut mettre ce phénomène en lien avec le schéma départemental de coopération intercommunale (SDCI), qui interroge beaucoup d'élus, et le fait régional. On assiste à un effet masse de regroupement pour continuer à exister, à être visible. La commune nouvelle est un outil pertinent, voulu par les élus et correspondant à notre vision de l'intercommunalité, qui se forme sur la base du volontariat. En outre, la commune nouvelle permet de porter le message de mutualisation et d'économie interne de structure.
Que pensez-vous des annonces du gouvernement quant aux communes carencées en matière de logements sociaux ?
F.B. : Très peu de communes sont concernées ; il existe certes des zones tendues, et d'autres méthodes pour le faire, comme le plan local de l'habitat (PLH). Je ne suis pas choqué qu'il y ait un principe de logement social et d'équité dans le territoire mais je constate que la loi SRU a largement bloqué le marché et la production de logements : nous accusons un retard de 500 000 logements sociaux. Il y a là encore une contradiction. Et sans doute beaucoup d'affichage dans les mesures annoncées. Cela risque d'altérer les relations entre l'Etat et les collectivités concernées. Les conférences intercommunales du logement qui se mettent en place permettront probablement d'éviter des réquisitions.