Le temps représente-t-il une notion intéressante à intégrer dans les stratégies d’aménagement urbain, comme tend à le démontrer la théorie développée par Carlos Moreno ?
L’idée est bonne, en effet. D’autant que cette matière n’est pas encore suffisamment travaillée, parce que la pensée urbaine est très structurée par les bâtisseurs. Quant aux élus, il est plus facile de les intéresser à des projets qu’on peut leur donner à voir. Or le temps reste difficile à cartographier.
Enfin, le temps entre difficilement dans les cases de l’action publique : c’est une dimension systémique, transversale et qui touche autant au public qu’au privé. Bref, on ne sait bien pas bien se servir de cette notion, alors même qu’elle est primordiale dans les grandes questions qui se posent aujourd’hui : comment la ville fonctionne-t-elle ? Comment les gens pratiquent-ils leur territoire au quotidien ?
Il est pourtant intéressant de mettre en avant le temps plutôt que l’espace car cette mesure est facilement compréhensible : évoquer un trajet de 10 minutes est plus parlant que de parler de 800 m. Mais dans ces objectifs, cette approche de l’urbanisme par le temps équivaut à des théories depuis longtemps promues et auxquelles on a donné des noms variés : la ville compacte, la ville mixte, la ville à portée de main ou encore celle des courtes distances. Cette idée de densité était déjà inscrite dans la charte d’Aalborg de 1994 (*).
Cependant vous êtes aussi assez critique envers le concept de ville du quart d’heure. Pourquoi ?
La très mauvaise idée serait d’en faire le modèle organisateur suprême de la pensée urbaine. La ville du quart d’heure ne peut être qu’une solution parmi d’autres. Elle peut convenir aux villes centres mais pas aux zones périurbaines. Et il n’est plus temps de dire qu’il faut stopper le développement de ces dernières : elles sont là, il faut les organiser. L’enjeu essentiel de la décarbonation réside notre capacité à faire évoluer cette ville diffuse. C’est là que sont parcourues les plus grandes distances.
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Avec la ville du quart d'heure, doit-on craindre un phénomène de repli sur soi ?
Le concept survalorise en effet la proximité, le voisinage, jusqu’à exacerber le « chez soi ». Cela est contraire à l’essence même des grandes villes : elles mélangent les placettes de village et les lieux de brassage. Elles attirent les gens de passage, des étudiants, des touristes… des personnes qui viennent pour profiter de leur bassin d’emploi, de leur vaste offre de services ou de leurs équipements exceptionnels.
Effet de sas
Se pose aussi la question de l’anonymat qu’autorisent les grandes villes. Elles sont le le lieu où l’on n’a pas forcément à aimer ses voisins. De même, habiter à côté de son travail ou télétravailler n’est pas forcément un idéal. Des travaux ont démontré que les gens sont assez sensibles à l’effet de sas que permet le trajet domicile/travail… ce qui est évidemment moins vrai quand il s’effectue en transports en commun, dans de mauvaises conditions.
Il y a plusieurs années, la métropole bordelaise avait pourtant aussi réfléchi à cet intervalle du quart d’heure...
En effet mais nous n’y mettions pas la même chose : nous avions envisagé des proximités métropolitaines, organisées autour de lieux d’intensité qui pouvaient être des quartiers denses de logements ou d’activités ou encore des nœuds de transports. Le concept de la ville du quart d’heure donne une exclusivité au voisinage autour l’habitat. C’est en cela qu’il peut entraîner une forme d’autarcie choquante.
(*) Dans cette charte des Villes européennes pour la durabilité adoptée lors d’une conférence organisée dans la ville danoise, les signataires s’engageaient notamment de la sorte : « En lançant des programmes de rénovation des centres villes et en aménageant de nouvelles aires suburbaines, on s'efforcera de combiner différentes fonctions pour réduire les besoins de mobilité.»