Tribune

« La ville de demain ne peut se construire sur les frayeurs d’aujourd’hui », Anne-Sophie Verriest, paysagiste

La cofondatrice de l’agence parisienne Après la pluie paysagistes exprime sa crainte de voir un « urbanisme impersonnel » se développer en raison de la crise sanitaire, mais aussi son espoir de continuer à pratiquer son métier avec « sensibilité ».

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Anne-Sophie Verriest, paysagiste, cofondatrice de l’agence Après la pluie paysagistes.

« La vie, la ville sont faites de rencontres impromptues, non programmées, de découvertes hasardeuses, au détour d’un raccourci, pendant une promenade, sur le trajet du boulot. La vie, la ville sont des accolades. Mais brusquement, avec la Covid-19, il nous a fallu éprouver la cité et l’urbanisme dans sa version la plus pessimiste, selon le prisme de la distanciation sociale. Quelle antinomie pour des penseurs et créateurs de la ville !

Imaginez, des hommes séparés les uns des autres. Plus de bancs pour s’assoir l’un à côté de l’autre, ou s’éprendre dans les bras de son amoureux. Plus de possibilité de déjeuner et de converser par hasard avec son voisin inconnu. Des rues, encore plus larges, pour accentuer les distances entre piétons et différencier les flux. Des espaces publics, marqués de croix en peinture indélébile ou d’autocollants, qui vous signifient là où vous devez vous tenir. Surtout pas à côté, ou un peu plus à gauche. Là, pas ailleurs. Des règles, en plus, encore, pour régir la ville, la rigidifier, la contrainte davantage.

Norme

Dans tout ce fracas, une angoisse, celle de voir se développer l’urbanisme impersonnel, dans son organisation, sa spatialisation, aseptisé, dénué de couleur, de rythme, de fragrance ; de toutes ces choses, agréables ou désagréables, mais nécessaires, qui ensemble forment une image, sensorielle, intime, personnelle et qui nous pousse à ressentir la ville.

Je crains en ce sens la règle, celle qui ordonne, sans se soucier du contexte, du point de vue agréable que l’on veut préserver, du petit détail si charmant à conserver. La norme est utile, mais elle peut aussi figer, agacer : plantes 100% indigènes, invasives, pente, replat, palier de repos, accès aux relevés, charges utiles, courantes, permanentes, hauteur de chute, bande de contraste, hauteur de potelets, sécurité incendie… Or quelle est l’essence de notre métier, sinon de parler de sensibilité ? Le paysage nourri l’attachement.

Poésie

La norme, le performatif et le fonctionnalisme ne doivent pas régir ce que nous désirons. Il n’y a pas de solutions techniques et normatives au problème que nous vivons de nos jours. Les éléments de l’actualité l’ont bien démontré, nos comportements sont la clé de l’évolution de tout ce qui nous accable et nous accablera. Il n’y a pas de « règle » qui régirait l’espace public qui pourrait répondre au questionnement sanitaire de la Covid-19, seulement une nouvelle attitude, un changement de comportement que chacun doit porter.

La ville de demain ne peut se construire sur les frayeurs d’aujourd’hui. La décision, d’un monde désiré et agréable, est une question politique, sociale, personnelle, mais aussi esthétique et sensible. La poésie doit prendre les devants dans la profession, « se rebeller », se révéler, car elle est capable de porter les foules, de rassembler les humains et d’harmoniser nos espaces de vie. »

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