Dans quel cadre juridique l'architecte évolue-t-il ?
Si l'architecte reste un homme des arts, il doit évoluer dans un environnement juridique foisonnant. Il navigue entre le droit privé, qui comprend notamment les règles du droit civil, du droit des contrats, du droit de la construction, de l'immobilier et de la propriété intellectuelle, celles applicables aux troubles du voisinage, celles des servitudes, etc. ; et le droit public, dans lequel on retrouve notamment le droit de l'urbanisme et les règles de la commande publique. Rappelons à cet égard que la n'existe plus en tant que telle : elle est à présent codifiée au sein du Code de la commande publique. A ces deux grands blocs juridiques s'ajoute le bloc déontologique, avec la sur l'architecture, le sur l'organisation de la profession d'architecte, le Code de déontologie des architectes et le règlement intérieur de la profession.
L'architecte qui souhaite mettre en œuvre une stratégie juridique efficiente doit tout d'abord bien maîtriser l'environnement juridique dans lequel il évolue. Il pourra ainsi mener ses projets à terme en toute sérénité.
Quid plus particulièrement de son statut… ?
La stratégie juridique de l'architecte passe premièrement par la connaissance de son statut : libéral, salarié, gérant d'une société d'architecture… Chacun d'eux présente des avantages et des inconvénients, mais surtout implique un environnement juridique différent. Tandis que l'architecte libéral ne protège pas son patrimoine personnel, celui qui gère une société d'architecture le peut ; un architecte salarié est soumis au Code du travail, mais pas l'architecte libéral, etc.
Ces différentes spécificités sont détaillées dans la loi de 1977 sur l'architecture, le décret sur l'organisation de la profession d'architecte et le Code de déontologie des architectes, mais aussi dans le Code de commerce, le Code des sociétés et le Code du travail.
… du statut de ses créations… ?
Vient ensuite la connaissance du cadre dans lequel le professionnel crée. Il doit veiller au respect de son droit d'auteur, au risque, sinon, de se retrouver victime de contrefaçon : publication ou modification de ses œuvres sans son accord, dénaturation, etc. Seules les œuvres originales de l'architecte, c'est-à-dire celles qui portent l'empreinte de sa personnalité, sont protégées par les (CPI).
Le critère d'originalité, absent des textes, a été défini par la jurisprudence. Celle-ci considère que l'empreinte de l'auteur ne peut être caractérisée par la simple absence d'antériorité et le caractère nouveau des choix opérés pour la conception des bâtiments et de leurs aménagements (). Il en est de même pour l'édification « d'une façade d'immeuble comportant un pignon et deux bandeaux horizontaux de couleur blanche, des panneaux verticaux de couleur brune et des allèges de fenêtres de couleur marron orangé », couleurs que l'architecte ne démontre pas avoir choisies (). A contrario, a pu être reconnue comme originale l'œuvre d'immeubles pris « aussi bien dans leur ensemble qu'isolément, par la combinaison harmonieuse des éléments qui les composent, notamment des volumes et des couleurs » ().
Le professionnel doit savoir distinguer les œuvres de collaboration, les œuvres collectives et les œuvres composites - sujet qui donne lieu à de nombreux contentieux. Les droits d'auteur, définis à l'article L. 113-2 du CPI, sont en effet différemment affectés selon les cas.
L'œuvre de collaboration, c'est-à-dire celle à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques, est la propriété commune des coauteurs. Ceux-ci doivent exercer leurs droits d'un commun accord.
L'œuvre collective, elle, se définit comme celle « créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé ». Elle est la propriété de la seule personne sous le nom de laquelle elle est divulguée. Ainsi, la cour d'appel de Paris a récemment retenu la qualification d'œuvre collective en relevant que les différentes contributions personnelles ayant concouru à la conception d'un projet de complexe hôtelier « se fondent dans l'ensemble en vue duquel elles ont été conçues, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun un droit indivis sur l'ensemble ainsi réalisé ». Et que l'agence d'architecture, « à l'initiative du projet et seule mandatée par le [maître d'ouvrage], a assuré la fédération de ses différentes contributions, le projet étant au demeurant présenté sous son seul nom » ().
Quant à l'œuvre composite, moins connue, elle est la propriété de l'auteur qui l'a réalisée, sous réserve des droits de l'auteur de l'œuvre préexistante.
Une connaissance précise de ces différents statuts de création est primordiale pour se préserver de tout contentieux.
… et du cadre contractuel ?
Vient enfin la connaissance du cadre juridique dans lequel l'architecte effectue ses missions. En tant que professionnel, c'est à lui d'introduire la notion de contrat dès l'aube d'un projet architectural. Le Code de déontologie oblige d'ailleurs les architectes à détenir un contrat signé avant toute prestation et en indique, à plusieurs reprises, le contenu : définitions précises des missions de l'architecte, rémunération…
Rappelons que toutes les clauses d'un contrat sont négociables, dans le respect de l'ensemble des règles juridiques et déontologiques. S'adjoindre les conseils d'un professionnel du droit pour le relire et le négocier est essentiel.
Comment l'architecte doit-il agir pour se prémunir de tout contentieux ?
Bien trop souvent, le professionnel se contente d'un simple échange de mails ou d'une lettre d'intention pour commencer ses études. Cela engendre de nombreux contentieux concernant notamment ses livrables et le montant de sa rémunération. Ainsi, contractualiser chaque mission avec son co-contractant (maître d'ouvrage en général) est primordial : les attendus de chaque partie sont bien définis, limitant les possibles contestations dans le futur.
En pratique, l'architecte doit privilégier au maximum les échanges écrits avec ses clients, partenaires, cotraitants, etc. Les juridictions prennent en effet uniquement en compte l'ensemble des échanges écrits, c'est-à-dire ce que les parties peuvent prouver. L'adage selon lequel « les paroles s'envolent, les écrits restent » prend toute sa signification lors d'un contentieux. Dans l'hypothèse d'échanges oraux, il est recommandé de les retranscrire et de les communiquer à l'autre partie afin d'établir un élément de preuve.
De manière plus générale, la pratique de l'architecte doit respecter l'ensemble des règles juridiques qui s'appliquent à lui, tant sur le plan des règles du droit privé et du droit public, que sur le plan déontologique. Tout manquement à ces dernières peut en effet engager sa responsabilité : si le professionnel n'a qu'une obligation de moyens, encore doit-il pouvoir démontrer qu'il a mis en œuvre tous les moyens nécessaires afin de remplir sa mission. Sur son devoir de conseil, les juridictions sont généralement très sévères et n'hésitent plus à sanctionner lourdement l'architecte ; sauf celui qui aura pu démontrer, par ses échanges écrits, qu'il a rempli parfaitement ses missions. A ainsi été récemment sanctionné à ce titre l'architecte qui n'a pas signalé « au maître d'ouvrage l'entrée en vigueur, au cours de l'exécution des travaux, de toute nouvelle réglementation applicable à l'ouvrage, afin que celui-ci puisse éventuellement ne pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à la mise en conformité de l'ouvrage » ().
Quel comportement doit-il adopter lors d'un contentieux ?
Si les contentieux diffèrent quant à leur source, ils apparaissent généralement lors d'une situation tendue entre les différentes parties, laquelle se manifeste par des lettres recommandées avec accusé de réception (LRAR), mails listant les fautes de l'architecte, échanges oraux vigoureux, etc. Le cocontractant de l'architecte n'hésite que rarement à lui imputer l'intégralité des problèmes rencontrés sur un chantier, alors même que bien souvent, il n'a qu'une part de responsabilité très limitée. Dans ces hypothèses, il est préférable pour l'architecte de prendre du recul et de ne pas répondre immédiatement. Une réponse réfléchie et justifiée permet bien souvent d'apaiser la situation. Pour les raisons invoquées précédemment, les échanges doivent être écrits.
Si malheureusement les désaccords demeurent, l'architecte ne doit pas oublier qu'il est soumis à son contrat ou aux obligations qu'il a prises pour son client : abandonner le projet n'est donc jamais la bonne solution. Il doit ainsi se référer au contrat qui le lie ou au Code de déontologie à défaut de contrat, s'il souhaite arrêter ses missions. Une mission abandonnée, sans respecter les procédures applicables, lui sera toujours préjudiciable devant les juridictions.
En parallèle, soit de la continuité de ses missions, soit d'une procédure de résiliation à son initiative, il est vivement conseillé à l'architecte de constituer un dossier démontrant que les missions qui lui ont été confiées ont toutes été réalisées dans le respect des règles de l'art : regrouper les livrables, les échanges de mails… Il est également fortement recommandé de constituer un autre dossier, qui établira le comportement déloyal et de mauvaise foi de l'autre partie. Ces deux dossiers permettront d'assurer une défense efficace.
De manière plus générale, en cas de situation bloquée, les échanges par LRAR sont vivement conseillés. Prendre attache avec un professionnel du droit lors des différents processus de création (statut et cadre juridique, contrat, résiliation, différends) peut aussi permettre de développer sa stratégie juridique.