La résiliation d’un marché public, un exercice difficile pour le cocontractant de l’administration

Le Conseil d’Etat a réaffirmé les conditions de résiliation d’un marché public à l’initiative du titulaire du contrat. Un parcours semé d’embûches, d’autant plus que la personne publique dispose d’une arme puissante pour contraindre son cocontractant à reprendre l’exécution de ses obligations contractuelles : le référé conservatoire.

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Conseil d'Etat

Des retards de paiements de l’administration et l’envie de résilier le marché public, surtout quand ces retards causent la défection du sous-traitant ? Eh bien ce n’est pas possible ! Le Conseil d’Etat estime que cette circonstance n’est pas constitutive d’un cas de force majeure - motif qui permet au cocontractant de l’administration de ne plus assurer l’exécution du contrat.

Dans un arrêt du 19 juillet 2016, la haute juridiction réaffirme sa célèbre jurisprudence "Société Grenke Location" sur les conditions de résiliation unilatérale d’un marché public à l’initiative du cocontractant de l’administration (CE, 8 octobre 2014, n° 370644). Ce dernier « ne peut pas se prévaloir des manquements ou défaillances de l'administration pour se soustraire à ses propres obligations contractuelles ou prendre l'initiative de résilier unilatéralement le contrat ». Il est tenu d’exécuter le contrat, sauf en cas de force majeure ou si le contrat, dont l’objet n’est pas l’exécution même d’un service public, prévoit les conditions de résiliation unilatérale en cas de violation par l’administration de ses obligations. Néanmoins, la personne publique peut s’opposer à cette rupture conventionnelle pour « un motif d’intérêt général tiré notamment de l’exigence du service public ». L’entreprise doit alors poursuivre l’exécution du contrat au risque sinon d’entraîner une résiliation à ses torts. Etant précisé qu'elle peut toujours contester ce motif d’intérêt général devant le juge administratif.

Résiliation unilatérale pour retards de paiement

Dans l'affaire tranchée le 19 juillet, un centre hospitalier avait passé un marché public de maintenance préventive et curative d’équipements de stérilisation. La société cocontractante avait résilié unilatéralement le marché après avoir subi des retards de paiement. Mais la personne publique a obtenu du juge du référé conservatoire - également dénommé référé « mesures utiles » (1) - que l’entreprise reprenne intégralement l’exécution de ses prestations. Cette dernière porte alors l’affaire devant le Conseil d’Etat.

Si la haute juridiction annule l’ordonnance de référé, elle le fait sur un motif purement procédural. En revanche, elle donne gain de cause au centre hospitalier. Explications.

Absence de force majeure et de clauses de résiliation

Les conditions pour que l’entreprise résilie unilatéralement le contrat n’étaient, en effet, pas réunies. Le marché ne prévoyait pas de résiliation unilatérale en cas de manquement du centre hospitalier à ses obligations. L’entreprise ne pouvait pas non plus s’appuyer sur « des clauses de documents non signés prévoyant la suspension de l'exécution du contrat en cas de méconnaissance par la personne publique de ses obligations contractuelles, dès lors que ceux-ci ne [pouvaient] être regardés comme faisant partie des documents contractuels du marché en litige ». Pas non plus de force majeure. Le Conseil d’Etat estime non seulement que la défection du sous-traitant liée aux retards de paiement invoquée par l’entreprise n’est pas établie, mais que cette circonstance n’est pas constitutive d’un cas de force majeure.

L’urgence et l’utilité pour le service public

En revanche, les conditions pour former un référé « mesures utiles » étaient, elles, bien réunies en l’espèce, à savoir : l’urgence et l’absence d’autres moyens de contrainte à disposition de l’administration (CE, 29 juillet 2002, n° 243500).

En l’espèce, la situation de l’urgence était bien établie dans la mesure où la résiliation du contrat privait le centre hospitalier « de moyens indispensables à l'exercice de sa mission de service public et [exposait] depuis plusieurs mois les usagers du service à un risque immédiat ». De plus, après avoir infligé des pénalités à l’entreprise, le centre hospitalier n’avait pas obtenu la reprise de l’exécution du contrat. Elle ne disposait donc pas d’autres moyens de contrainte sur l’entreprise que de demander une injonction au juge du référé conservatoire. Le Conseil d’Etat estime que « la mesure demandée [reprise de l’exécution], qui est nécessaire à la continuité et au fonctionnement en sécurité du service public hospitalier, ne se heurte à aucune contestation sérieuse et présente un caractère d'urgence et d'utilité ». Il ordonne donc à la société de reprendre l’exécution de ses obligations contractuelles.

Ce référé conservatoire s’avère être une arme bien utile à l’administration pour contraindre son cocontractant à exécuter le marché, alors même que celui-ci serait victime de retards de paiement… Cela vaut bien le « coût » au nom du service public ? A méditer.

CE, 19 juillet 2016, n° 399178

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