«Nous avons associé la reconstitution, la restauration et la réinterprétation », résume Edmond Charrière, historien de l’art et président de l’association de bénévoles La Maison Blanche, propriétaire de la maison Jeanneret-Perret depuis l’an 2000. Ces passionnés de Le Corbusier ont bénéficié d’un abondant matériau pour réparer les dégâts causés par cinq ans d’abandon et les changements apportés par trois propriétaires successifs : le journal de Georges-Edouard Jeanneret, père de Charles-Edouard, les photos prises par les proches de l’architecte et les fouilles et sondages réalisés sur le site. Durant les travaux, les entreprises ont été surveillées de près pour couper court à toute tentation d’utiliser des matériaux récents. Le don en nature et les conseils de l’industriel du fibrociment Eternit ont facilité la reconstitution de la forme originale de la toiture, dénaturée dans les années 1940 par des tuiles. En amont, l’association et son architecte Pierre Minder se sont entourés d’une commission d’experts dans laquelle ont œuvré trois échelons territoriaux suisses : la commune, le canton et la confédération.
« Grâce à cette participation publique, le chantier a mis fin à un contentieux mal réglé entre Le Corbusier et sa ville natale », se réjouit le président de La Maison Blanche. La raison de cette relation conflictuelle : les inspirations corbuséennes, qui percent chez le jeune Charles-Edouard, rompent avec la version jurassienne de l’Art nouveau, enseignée par Charles L’Eplattenier à l’école d’art de La Chaux-de-Fonds. Trois des « cinq points de l’architecture nouvelle » théorisés en 1927 s’incarnent dans la villa : l’horizontalité des fenêtres en bandeau, le plan libre autorisé par les quatre piliers porteurs et la toiture-terrasse à travers la forme du jardin suspendu. Passage obligé d’une déambulation architecturale entre escalier couvert et entrée principale, cette « chambre d’été » (expression de l’architecte) préfigure sa vision de l’interpénétration entre le dedans et le dehors.
Passion de l’expérimentation
Les travaux menés de 2002 à 2005 ne dissimulent en rien les itérations parfois mal maîtrisées par l’architecte entre le chantier et la conception. L’une se perçoit notamment dans la dissymétrie de la croix de brique qui structure le jardin suspendu. La passion de l’expérimentation se remarque à travers les quatorze sortes de fenêtres, entre lesquelles les piliers néoclassiques marquent l’une des premières expressions du béton apparent en architecture. Après l’initiation au béton armé reçue chez les frères Perret à Paris en 1908 et 1909, puis la sensibilisation à la construction industrielle chez Peter Behrens près de Berlin, et le voyage initiatique en Méditerranée, le futur Le Corbusier tente ici une synthèse lyrique qu’il désignera plus tard comme son « sourire d’Orient ».
Dans cet exercice de style, la satisfaction des besoins du client passe au second plan, sauf pour la chambre en hémicycle que Charles-Edouard s’est réservée sous le pigeonnier. Qui construirait, pour des personnes vieillissantes, un logement sur quatre niveaux, approvisionné en eau par une pompe actionnée au grenier ? En déblayant les épaisses couches de neige qui couvrent chaque hiver La Chaux-de-Fonds, les parents Jeanneret ont peu apprécié les vertus de la déambulation architecturale. « Dix ans seulement, et pourtant des années lumières séparent cette villa de la seconde maison que Le Corbusier construira pour ses parents au bord du lac Léman : entre-temps, il a appris à rationaliser les espaces et à se concentrer sur l’essentiel », estime l’architecte Boris Evard, vice-président de La Maison Blanche.
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