La gestion de l’eau en 2030 s’applique déjà à Sausheim (Haut-Rhin). Grâce à la méthanisation de ses boues, la station d’épuration de l’agglomération mulhousienne anticipe la deuxième directive européenne sur les eaux résiduaires urbaines (Deru 2). En voie de transposition dans le droit national, cette règlementation imposera la neutralité énergétique aux unités de traitement des eaux usées.
Mandaté par le Syndicat intercommunal à vocation multiples de l’agglomération, Suez ne s’est pas arrêtée au volet énergétique de la Deru 2 : le groupe a testé à Mulhouse une filière de traitement et recyclage du phosphore, un produit sur lequel la nouvelle réglementation renforce les exigences.
Cet équipement mis en service à la fin 2021 illustre la quête de performance, comme marque de fabrique des 12èmes programmes des agences de l’eau. Autre préfigurateur mis en valeur le 19 novembre au salon des maires, l’agglomération de Lens-Liévin (Pas-de-Calais, 250 000 habitants) décline ce thème sous l’angle de la contractualisation territoriale : « Nous modulons nos aides en fonction des résultats », souligne Isabelle Matykowski, directrice générale de l’agence de l’eau Artois-Picardie, cosignataire, le 14 octobre dernier, du contrat de 15,8M€ pour six ans.
Récompenses pour les bons élèves
Le même esprit présidera à la programmation des six agences : « Partout, la priorité ira aux actions où nous savons que l’impact sera le plus fort », confirme Thierry Burlot, président de l’agence de l’eau Loire Bretagne. La même philosophie inspire la réforme des redevances, applicable au 1er janvier prochain : les services d’eau et d’assainissement réduiront leur facture en améliorant leur performance.
La concrétisation de l’objectif reposera aussi sur l’intensification de la coopération inter-agences, pour transférer les bonnes pratiques de l’une à l’autre. « Les rencontres par spécialité facilitent ce transfert qui permet de construire une intelligence collective. Nous l’observons dans la désimperméabilisation, domaine dans lequel le bassin Artois-Picardie a joué un rôle précurseur grâce à l’association Adopta, née à Douai et en phase d’essaimage national », souligne Isabelle Matykowski.
Zones humides prioritaires
Réponse aux sécheresses comme aux inondations, le ralentissement des écoulements se révèle particulièrement crucial dans le sud-ouest : « En 2050 quand des épisodes comme celui de l’été 2022 correspondront à une pluviométrie normale, il manquera en tout 2 milliards de m3 d’eau, dont 1,22 pour notre bassin, soit plus de la moitié de ses prélèvements annuels », anticipe Elodie Galko, directrice générale de l’agence de l’eau Adour Garonne. La première réponse repose sur la sobriété.
En ville, Toulouse ajoute une contribution majeure, à travers son programme de renaturation des berges de la Garonne. A l’amont du bassin hydrographique, l’Agence financera l’aménagement des zones humides qui succéderont aux glaciers pyrénéens. Nicolas Mourlon, directeur de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, situe le ralentissement des écoulements dans une logique de réparation des dégâts commis par les générations précédentes : « En un siècle, la surface de zones humides détruites par la France équivaut à trois fois la Corse ».
Moins de travaux, plus d’entretien
Sur un ancien bras de la Saône déconnecté et colmaté, la restauration de la lône de Taponas (Rhône) figure parmi les chantiers emblématiques qu’il met en avant, en raison de ses effets spectaculaires sur le retour de la biodiversité. L’opération reflète une tendance : « On remplace des travaux lourds par des chantiers plus légers, mais qui nécessiteront plus d’entretien », souligne Nicolas Mourlon. La maîtrise d’ouvrage exercée par le conservatoire régional de espaces naturels illustre le rôle désormais majeur de la préservation de la biodiversité, dans les interventions des agences.
Sur ce sujet comme sur la lutte contre les micropolluants, l'association des agriculteurs figure parmi les enjeux communs aux six bassins, comme peut en témoigner Elodie Galko : « Les augmentations de redevances actées en 2022 et 2023 atteignent une moyenne de 17€ par exploitation, dans le bassin Adour Garonne. A la clé, les agriculteurs peuvent espérer un taux de retour qui triple leur nouvelle contribution, sous forme d’aides ».
L’agriculture, problème et solution
Directeur de la plus rurale des agences, celle du bassin Loire Bretagne, Loïc Obled abonde : « L’agriculture doit faire partie de la solution ». Dans cette perspective, il voit le changement d’exploitant, qui affectera la moitié de la profession dans les dix ans à venir, comme une opportunité à saisir. Pour réussir, le président du bassin Thierry Burlot pose une exigence minimale : « L’interdiction des produits phytosanitaires dans les zones de protection des captages, soit moins de 5% de la surface agricole utile. L’intransigeance, sur ce sujet, c’est la moindre des choses ».
Les fruits attendus de ces efforts ne peuvent se récolter que dans le temps long, comme l'observe Nicolas Juillet, président du comité de bassin Seine Normandie : « Cinq ans ne suffisent pas, pour recueillir les effets des mesures agro-environnementales et climatiques. Je m’en rends compte dans l’Aube, où nous devrons concilier la fermeture de certains captages et une vraie politique de long terme avec l’agriculture », souligne cet agriculteur, maire de Saint-Lupien (Aube) et président du syndicat départemental des eaux de l’Aube.
Rabotages démoralisants
Point fort des politiques conduites par les agences de l’eau depuis leur création en 1964, la programmation pluriannuelle souffre d’une fragilité récurrente : les coups de rabot de Bercy mettent à mal non seulement leurs trésoreries, mais surtout les fondements du consentement à l’impôt, qui repose sur le respect de cette programmation.
« Nous faisons de la belle politique. Je suis fière de porter un travail collectif au service de l’intérêt général, mais quand l’Etat veut prendre une partie de nos recettes, cela pose un problème moral », déplore Audrey Bardot, présidente du comité de Bassin Rhin-Meuse, au vu des 130M€ que le gouvernement prévoit de prendre sur les budgets des agences, dans le projet de loi de finances. La conférence de l’eau annoncée pour décembre par le Premier ministre offrira une tribune aux six présidents, unanimes sur ce sujet.