« La performance et la fiabilité des produits ont un coût ! », Sabine Boury, déléguée générale de l’Union des industries du contreplaqué

A l’occasion des journées du contreplaqué plutôt axées sur l’esthétique et le design qui se sont déroulées à Paris le 18 janvier, Sabine Boury, déléguée générale de l’Union des industries du contreplaqué a répondu au Moniteur sur les questions de performances mécaniques, d’acoustique, de qualité de l’air. Elle a également pointé du doigt la concurrence des panneaux asiatiques dont la qualité est bien souvent médiocre.

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Sabine Boury, déléguée générale de l’Union des industries du contreplaqué

Pouvez-vous nous faire un point de conjoncture sur le marché du contreplaqué. Et un focus sur le contreplaqué français ?

Sabine Boury : L’industrie du contreplaqué profite comme toute l’industrie française de la reprise de confiance même si la concurrence reste très forte sur les marchés, notamment avec des panneaux en provenance d’Asie, d’Amérique du Sud ou encore de Russie profitant, pour certains, d’accords de libre échange ou d’aménagements tarifaires avec l’Europe, ou pour d’autres, de coûts de main d’œuvre favorables. Au total, la production en France s’est établie à un peu plus de 250 000 m3 en 2017, en hausse constante depuis 2014, répartie à 40% de contreplaqués faces exotiques (okoumé du Gabon en très grande majorité) et 60% en bois de pays (essentiellement pin maritime et peuplier). Près de 60 % de la production totale est vendue à l’export. Il est important de préciser que la France est aujourd’hui le 1er producteur mondial de contreplaqué 100 % okoumé.  La France se classe également au 2e rang européen, après les pays scandinaves, pour la production de contreplaqués résineux. Si le matériau est par nature très polyvalent dans ses usages, le bâtiment (structure et menuiseries) et l’agencement représentent plus 50% des usages du contreplaqué en France.

Qu’en est-il des panneaux d’importation asiatiques qui arrivent de manière significative en France?

S.B. : Aujourd’hui, on estime qu’en France 3 à 4 panneaux contreplaqués consommés sur 5 ne sont pas français. Pour des raisons de prix essentiellement - l’industrie du contreplaqué nécessitant une forte main-d’œuvre comparée à d’autres processus de fabrication du bois. Dans les racks des distributeurs français, les panneaux produits ailleurs qu’en France prédominent, et parmi eux, beaucoup de panneaux d’origine asiatique. En 2016, ces derniers (à 95% de République Populaire de Chine) représentaient 25 % des importations françaises de panneaux contreplaqués feuillus (exotiques ou peuplier), soit environ 100 000 m3. Un volume en augmentation de presque 20% par rapport à 2015 ! Si les asiatiques savent maintenant produire des panneaux de très belle qualité, ceux que l’on peut trouver au détail chez les grandes enseignes sont loin d’être les meilleurs ! En apparence certes ils peuvent faire illusion, mais que de déception après : les collages ne sont pas du tout à la hauteur de la qualité annoncée (quand elle l’est !), les faces sont aussi épaisses que du papier de cigarette. Même sur les chants déjà, vous voyez que les plis se « marchent » dessus, que vous n’en avez pas le même nombre sur toute la longueur ! Et aucune assurance que ces panneaux respectent les minima requis ne serait-ce qu’au niveau européen. Vous ne savez pas au final quelles ont été les essences utilisées pour faire ce panneau, ni la colle utilisée et encore moins si ces bois sont issus d’une forêt durablement gérée. Bref, des panneaux pas chers, mais qui auront, pour la plupart, été déjà bien trop chers payés pour ce qu’ils ont à offrir !  La performance et la fiabilité ont un coût, les professionnels du bâtiment ne le savent que trop bien !

Quels sont les usages du contreplaqué ?

S.B. : Le contreplaqué est un panneau très polyvalent dans ses usages. L’UIPC représente en fait une grande famille de panneaux : les panneaux contreplaqués (en France, les essences sont essentiellement le pin maritime, le peuplier et l’okoumé), l’ensemble des panneaux dits « décoratifs » ou « techniques » ainsi que des panneaux spécifiques (ignifugés, cintrables, moulés, « marine », acoustiques, d’agencement intérieur ou encore de bardages). Plus de 50 usages différents sont recensés. Il est possible en effet de jouer avec la composition et l’épaisseur des placages pour obtenir par exemple des formes cintrées, ou encore, via le moulage, de passer du 2D à des formes 3D répondant aux attentes les plus folles des designers. Ces multiples possibilités sont rendues possibles par ses performances techniques : la superposition croisée de placages déroulés, réunis ensemble par une résine et un pressage à chaud apporte une correction des faiblesses du matériau « bois » pour les transformer en performances améliorées ou supplémentaires sans aucune dénaturation ou recomposition de la matière bois.

Quelles sont les réponses en matière d’acoustique ?

S.B. : Les performances acoustiques, notamment en absorption et en correction acoustique sont données essentiellement par usinage des panneaux : rainures, ou perçage, voire micro-perçage. Le savoir-faire des fabricants consiste à faire jouer à la fois la forme des usinages et leur densité à la surface du panneau pour lui conférer des propriétés acoustiques répondant aux exigences des concepteurs de bâtiments. Le contreplaqué brut peut répondre à ces exigences, mais les panneaux acoustiques sont une spécialité à part entière notamment des industriels fabricants des panneaux dits « techniques ou décoratifs ». Il existe également une offre en panneaux acoustiques réalisés entièrement en contreplaqué peuplier et une offre en panneaux absorbants pour plancher notamment. Ces panneaux étant souvent amenés à être disposés dans des ERP, ils répondent également à la réglementation incendie et sont, après traitement ou finition, B-s2,d0 (soit équivalent à M1).

Justement, quelles sont les performances au feu du contreplaqué ?

S.B. : Au « naturel », les panneaux contreplaqués, quelle que soit l’essence, sont classés D-s2,d0 (M3) en réaction au feu. Après traitement spécifique, ils peuvent atteindre les classements B-s2,d0 (M1) ou encore B-s1,dO. En termes de résistance au feu, la performance d’un contreplaqué de 25 mm d’épaisseur, indépendamment de l’essence (pin maritime, peuplier ou Okoumé), correspond à un coupe-feu de 30 minutes, ceci répondant à la réglementation pour les bâtiments de 2ème famille en logement.

Qu’en est-il du confort et de la santé ? Notamment en termes d’émissions de COV ?

S.B. : Le contreplaqué apporte de nombreuses réponses vis-à-vis du confort thermique, hygrothermique ou encore de  la perméabilité à l’air ou à la vapeur. Concernant la santé, les panneaux produits en France sont très peu émissifs en COV (y compris formaldéhyde). Ils sont d’ailleurs directement classés E1 sans essais vis-à-vis du classement demandé dans le cadre du marquage CE. Ceci est largement dû au fait que plus de 95% des panneaux sont collés avec des colles phénoliques. Par ailleurs, le risque d’émissions en phénol a été testé : les émissions mesurées sont à la limite du détectable, donc négligeables. Du point de vue de la qualité de l’air, la très grande majorité des panneaux contreplaqué français sont classés « A+ » selon l’affichage environnemental et sanitaire réglementaire en France

Des efforts sont-ils portés pour diminuer ces émissions ?

S.B. : Bien sûr, les optimisations sont toujours recherchées même si les niveaux d’émissions sont déjà très bas. Mais quand on parle d’optimisation il faut viser le compromis et surtout veiller à ne pas dégrader les autres performances du matériau, sinon ce n’est plus le même matériau ! Le passage aux colles phénoliques, bien plus performantes vis-à-vis des émissions de formaldéhyde a demandé un long travail d’adaptation du process industriel afin de maintenir au même niveau l’ensemble des autres performances des panneaux contreplaqués. La colle « miracle » n’est pas encore commercialisée, malheureusement, même si des recherches sont menées en France pour intégrer plus de produits d’origine végétale !

Quelles sont les réponses du contreplaqué face aux exigences des pièces humides ?

S.B. : La norme d’exigence du contreplaqué est la norme NF EN 636. Les panneaux sont classés selon trois classes : NF EN 636-1, dont l’usage est réservé au milieu intérieur sec ; NF EN 636-2, dont l’usage est préconisé en milieu intérieur à ambiance humide et NF EN 636-3, dont l’usage est recommandé en extérieur, abrité ou non. Selon leurs typologies, ils sont donc adaptés à la construction, l’agencement ou l’ameublement de pièces à ambiance humide. De par la qualité de collage et les performances hygro-thermiques le contreplaqué présente une très bonne stabilité vis-à-vis des variations d’humidité. L’utilisation du contreplaqué tout okoumé, par exemple, en construction et agencement nautique en est une belle preuve. Mais je rajouterai qu’ils proposent également une diversité et une réponse esthétique (qu’elle soit le motif bois lui-même ou comme support de finition). Par ailleurs, les contreplaqués NF EN 636-3 et particulièrement CTB-X sont les seuls panneaux à base de bois à pouvoir être utilisés en extérieur, en contact direct avec les intempéries. Ils sont d’ailleurs testés durement : pour évaluer la qualité du collage, les panneaux destinés à un usage extérieur sont préalablement éprouvés 72 h à l’eau bouillante ! Bien sûr, il reste extrêmement important de respecter les préconisations de mise en œuvre données par les fabricants, notamment dans ces usages particulièrement exigeants.

Quels sont les efforts d’amélioration et les axes de R&D ?

S.B. : Les grands axes de R&D collective consistent d’une part à qualifier les panneaux et de répondre à toutes les nouvelles demandes réglementaires, qu’elles concernent l’environnement, la sécurité ou encore les règles de construction ou de calculs nationales ou européennes. L’évolution des technologies de mesures, de simulation nous permettent d’aller beaucoup plus loin dans l’analyse. Il n’y a pas de réelle « rupture » technologique : le matériau a su évoluer, s’adapter et c’est sûrement là la plus profonde des innovations. Les autres actions concernent notamment la gestion et la protection de la ressource forestière point de départ à la fabrication de contreplaqué : les fabricants sont très impliqués car la production de contreplaqué ne peut être durable que si la ressource est gérée durablement. D’autres recherches  portent sur la santé des salariés et le développement de nouvelles technologies de surveillance, notamment de la qualité de l’air dans les usines. Enfin, de manière individuelle, les industriels proposent maintenant des contreplaqués « pré-peints » ou « avec une primaire » pour les usages extérieurs. La protection des chants du panneau reste une étape indispensable lors de la mise en œuvre, mais la finition est grandement facilitée et fiabilisée avec ce pré-traitement industriel.

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