Lorsqu'un maître d'ouvrage se voit transmettre, par son architecte, une attestation d'assurance indiquant la couverture de sa responsabilité civile (RC), comportant en outre les mentions minimales prévues par l' pour attester de sa couverture au titre de la RC décennale, et visant une période de couverture incluant la date d'ouverture du chantier sur lequel il intervient, le doute n'est normalement plus permis : il est assuré.
Mode de calcul original de la prime. Pourtant, depuis une vingtaine d'années maintenant, s'est développé un abondant contentieux sur la réalité de la couverture assurantielle de l'architecte dans le cas de certaines polices retenant un mode de calcul original de la prime. L'assiette de la prime n'y est en effet pas constituée par le chiffre d'affaires de l'architecte, comme cela serait le cas pour la quasi-totalité des autres constructeurs, mais par l'addition du montant total des chantiers sur lequel il est intervenu. Cela suppose qu'à l'issue de chaque année, l'architecte déclare la liste exhaustive des chantiers considérés pour lesquels il a reçu une mission, en précisant s'il s'agissait ou non d'une mission complète. C'est sur la somme de ces montants de travaux que l'assureur va appliquer un taux permettant de calculer le montant de la prime due.
Une jurisprudence donnant application à ces clauses…
Fort de cette réalité, un premier courant jurisprudentiel dominant - et toujours d'actualité - est venu légitimer les refus de garantie de l'assureur au titre de chantiers que l'assuré aurait omis de déclarer dans l'assiette de la prime, par une application dévoyée des dispositions du Code des assurances sur la sanction des fausses déclarations de risque ( ; , Bull. ). Cela a été considéré à la quasi-unanimité de la doctrine universitaire comme une hérésie juridique (1).
Réduction de l'indemnité de 100 %. Pour ce faire en effet, la Cour de cassation a curieusement assimilé la déclaration des chantiers dans l'assiette de la prime à une déclaration de risque au sens de l'article L. 113-2 du code. Elle a considéré qu'en cas d'erreur découverte au jour du sinistre, il convenait donc d'appliquer les sanctions prévues par l'article L. 113-9 (2), en principe d'ordre public, mais dont on admettait pour la circonstance qu'il puisse être doublement réécrit dans la police, en vue : - d'une part, de sanctionner non plus la sous-estimation du taux, comme le texte du Code des assurances invite pourtant à le faire expressément (taux sur lequel l'omission d'un chantier n'avait par définition aucun effet l'année N + 1), mais la sous-estimation de la prime en valeur absolue (c'est-à-dire, en fait, la sous- estimation de l'autre composante de la prime, son assiette). On rappellera qu'un montant de prime est en effet calculé par application d'un taux de prime sur une assiette.
- d'autre part, de postuler que, par principe, l'omission d'un chantier dans l'assiette annuelle supposait d'appliquer un coefficient réducteur de 100 % sur l'indemnité et donc conduisait à une non-assurance.
… aujourd'hui tempérée par plusieurs décisions
A la surprise générale, voici que dans un arrêt de novembre dernier (, Bull. ), auquel est réservée une très large publication, la Cour de cassation infléchit sa position. Elle prend en compte une branche du pourvoi faisant observer que le recours à l'article L. 113-9 était impossible, puisqu'en vérité la police visait également la possibilité de sanctionner la sous-estimation de l'assiette de prime, résultant de l'omission de certains chantiers, par l'application d'une majoration forfaitaire de 50 % de la prime omise. Et que cette sanction n'était que la reprise, sans la nommer, de celle prévue spécifiquement par l'article L. 113-10 pour les assurances à prime variable. Le piège se refermait.
La Cour de cassation, de jurisprudence constante, a en effet toujours considéré que la sanction de l'article L. 113-10 n'étant pas d'ordre public, on pouvait lui substituer celle de l'article L. 113-9 (3) ; mais qu'en tout état de cause, si elle était visée dans la police, elle ne pouvait coexister avec l'article L. 113-9 dont l'application devait alors être écartée (, Bull.).
L'obligation de déclarer chaque chantier est présentée dans le contrat comme une sorte de « condition de garantie » à effet différé l'année N + 1
Avec élégance, la Cour de cassation revient donc sur sa jurisprudence sans se déjuger ouvertement sur son application pour le moins fantaisiste de l'article L. 113-9, mais en considérant que finalement il ne pouvait tout simplement pas s'appliquer…
Condition de garantie à effet différé. Le même assureur vient également de voir battue en brèche la seconde digue qu'il avait élevée plus récemment, dans les conditions générales de sa police, pour justifier un refus de garantie en cas de sinistre affectant un chantier non déclaré. L'obligation de déclarer chaque chantier est présentée dans le contrat comme une sorte de « condition de garantie » à effet différé l'année N + 1. La garantie prend effet l'année où il débute son activité au titre du chantier en question et où il en justifie dans une attestation, mais elle est censée n'avoir finalement jamais pris effet l'année N + 1 si l'assuré omet de déclarer le chantier dans l'assiette de la prime.
Sur ce point, à nouveau, dans un arrêt rendu début octobre, la Cour a paru donner force à cet étonnant montage, hors contexte assurance construction obligatoire, en validant une position de non-assurance pour ne pas avoir satisfait à la condition de déclaration du chantier (, Bull. ). Mais là encore, elle va le faire avec réserve. Elle ouvre en effet une porte à la mise en jeu de la responsabilité civile de l'assureur en raison de la faute consistant à délivrer une attestation d'assurance avant que la déclaration de chantier qui conditionne la garantie n'ait été effectuée.
Dans le même arrêt, la Cour prend en compte, pour donner force à cette « condition de garantie », le fait que le sinistre ne relevait pas de l'assurance construction obligatoire. On imagine mal en effet qu'en assurance obligatoire, une garantie puisse avoir pris effet, puis ensuite disparaître l'année suivante, parce que l'assuré aurait omis de déclarer son chantier. Ce serait la négation même du système d'assurance construction créé par Adrien Spinetta il y a plus de quarante ans.
Attestation nominative visant le chantier. Une évolution significative semble ainsi s'amorcer pour limiter les effets de cette jurisprudence validant la possibilité pour l'assureur de refuser sa garantie en cas de non-déclaration du chantier dans l'assiette de prime. Toutefois, la prudence commanderait désormais d'exiger systématiquement une attestation nominative visant le chantier sur lequel l'architecte a reçu mission d'intervenir.