Il est des projets de loi qui, par la vision qu'ils portent, les mesures qu'ils contiennent ou la méthode qu'ils mettent en œuvre provoquent immédiatement un soutien clair ou une opposition marquée ; le projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dit Elan, suscite la perplexité sur ces trois terrains :
- la vision : elle ne s'impose pas à la lecture de l'exposé des motifs, tellement la diversité des sujets abordés empêche de marquer la perspective : moderniser ? simplifier ? libérer ? Ces expressions ont été tant utilisées par le législateur français dans le passé qu'elles se sont largement affadies, perdant leur force de conviction. Reste peut-être une vision transverse, commune à la plupart des chapitres de la loi, mais qui n'est pas exprimée : la volonté de bousculer l'industrie immobilière, un secteur de l'activité économique demeuré pour l'essentiel en marge des évolutions profondes que les autres pans de l'économie ont connus. Si tel est le cas, la mutation recherchée - qu'on peut approuver - exige, pour réussir, la mobilisation des acteurs qui, en l'état, fait défaut ;
- les mesures : la plupart peuvent emporter l'adhésion ; un bail d'habitation assoupli et dématérialisé, des locations touristiques mieux contrôlées, un meilleur fonctionnement des copropriétés de grande taille, des recours d'urbanisme davantage encadrés, une accessibilité évolutive des logements, des simplifications normatives, un secteur du logement social plus agile… Mais la question essentielle est ailleurs : notre corps social peut-il supporter une réforme permanente de ces lois ? Est-il raisonnable de sans cesse heurter la prévisibilité de la règle du jeu, indispensable à la conduite de tout projet immobilier qui s'inscrit toujours dans le temps long ? Une fois encore, notre production de logements va être retardée par l'attente inéluctable des textes d'application de la loi : ordonnances, décrets, arrêtés… L'urgence sociale le permet-elle ?
- la méthode : le projet de loi décroche déjà le triste record du nombre des amendements (plus de 2 500 déposés devant la Commission des affaires économiques de l'Assemblée), juste derrière le « mariage pour tous », ce qui interroge la méthode suivie. La Conférence dite de consensus, menée de décembre à février derniers, a-t-elle permis la concertation suffisante sans laquelle, aujourd'hui, une loi ne peut pas être efficacement construite ? Manifestement non, ce qui explique l'émotion d'élus et de branches professionnelles, les architectes notamment, et la profusion des amendements. Dommage !