Interview

«La frugalité va nous pousser à faire mieux que ce que nous aurions fait avec des finances pléthoriques», Mathilde Chaboche, Ville de Marseille

A la veille du débat d’orientations budgétaires, le 8 février, et au lendemain de la présentation par le maire de Marseille, Benoît Payan, des résultats de l’audit financier confirmant des marges de manœuvre limitées, Mathilde Chaboche, adjointe en charge de l’urbanisme et du développement harmonieux de la ville, présente au Moniteur sa stratégie. Le maire lui a en effet confié la mission d’établir une feuille de route en matière d’investissements dans les équipements publics. Elle prône la frugalité et l’inventivité.

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Mathilde Chaboche, adjointe en charge de l’urbanisme et du développement harmonieux de la Ville de Marseille.

Le maire de Marseille vous a demandé d’établir une feuille de route d’investissements pour les équipements publics, que contient-elle ?

Elle consiste à établir un schéma global des équipements publics pour savoir quand et où investir. La situation financière dramatique de la Ville nous oblige à la frugalité et à l’inventivité. Il faut imaginer de nouvelles formes d’équipements de proximité. Ces « maisons de la proximité » répondront à des usages multiples et pourront avoir plusieurs vies. Selon les quartiers, nous y mettrons ce dont les habitants ont besoin : une très grande bibliothèque, une grande crèche ici, une plus petite ailleurs, etc. Ce raisonnement s’applique aux écoles existantes.

Faire croire qu’on va construire une école, un centre aéré, une bibliothèque, une piscine ou une crèche dans chaque quartier, c’est mentir compte tenu de l’état de nos finances. Et je ne sais même pas si cela est souhaitable d’aller encore imperméabiliser des sols avec des bâtiments qui sont une source importante de pollution et de consommation énergétique. La frugalité va nous pousser à faire mieux que ce que nous aurions fait avec des finances pléthoriques.

Quel message adressez-vous aux acteurs de la construction ?

En premier lieu, je n’ai pas l’intention de bloquer tous les permis de construire. Je signe en moyenne 300 dossiers par semaine. Et s’il y a des refus, ils sont tous motivés. Je crois à la parole claire.

Jusqu’à présent, chaque direction lançait les consultations et attribuait les marchés à son seul niveau. Nous avons entamé la réorganisation des services pour une gestion plus centralisée de la commande publique.

« Nous réaliserons le milliard d’euros de travaux prévu sur deux mandats, et non pas un »

Quels sont les grands chantiers que vous allez réaliser ?

Une des promesses de campagne a été la mise aux normes des écoles. Compte tenu de la situation financière, nous réaliserons le milliard d’euros de travaux prévus sur deux mandats, et non pas un. Il en va de même avec le plan de réhabilitation des piscines.

Nous allons poursuivre les études sur le devenir de sites tels que le réaménagement de la plage des Catalans, la jonction ville-port, notamment dans les quartiers nord, etc.

Nous allons apporter notre contribution au projet partenarial d’aménagement du centre-ville de Marseille en regardant, par exemple, ce que nous allons faire des 70 immeubles très dégradés en état de péril qui nous appartiennent. Je ferai en sorte que la Ville dispose le plus rapidement possible d’un patrimoine en bonne santé.

Lundi 25 janvier, vous avez lancé, avec le maire de Marseille, et trois autres adjoints un cycle de conférences mensuelles baptisé les « Lundis de la transition » conçu pour débattre avec les citoyens des moyens à mettre en œuvre pour accompagner le changement. Une des priorités de la nouvelle équipe municipale est une ville plus verte. Quelle en est la signification ?

Notre ambition prend plusieurs formes. Nous voulons végétaliser l’espace public, renforcer une trame d’espaces verts de différentes tailles, créer des jardins partagés, mais aussi préserver encore plus les franges naturelles autour de Marseille. Je pense en particulier au massif des Calanques et à tout le réseau collinaire qui ceint la ville. Un autre pan de notre action sera le développement de l’agriculture urbaine.

La végétalisation répond aussi et d’abord à l’urgence de rendre la vie en ville supportable en créant des îlots de fraîcheur, des endroits où respirer et s’aérer.

J’aimerais défricher un autre sujet qui est celui de l’exploitation des toitures plates dans le parc immobilier récent, pour l’instant, condamnées à abriter des édicules techniques peu appropriés. On pourrait les aménager en espaces communs, y créer des toitures végétalisées...

D’ailleurs, vous défendez l’idée d’une « ville de la proximité » en opposition à une « ville des grands projets » ?

En effet. J’entends par là la présence, dans un rayon d’un quart d’heure à pied ou en mobilité douce, d’équipements publics, mais aussi de petits lieux de respiration. Cela pourrait prendre la forme d’un maillage de petits squares qui apporteraient confort et douceur. Ces opérations ne sont pas coûteuses et ne consomment pas des réserves foncières énormes.

Cette petite échelle peut changer le quotidien bien plus que des grands gestes qui finalement, à moins de vivre à côté, n’impactent pas tellement nos vies. Cela n’empêche pas les grands lieux structurants et, à Marseille, on a la chance d’en avoir.

Avec l’adjointe chargée du retour de la nature en ville, des parcs et jardins et nos services respectifs, nous sommes en train de recenser les réserves foncières qui pourraient recevoir une mini-forêt, un petit square... Cette recherche va de pair avec l’identification des moyens nécessaires et la prise en compte de l’entretien.

« La Ville ne sera plus une caisse enregistreuse mais un lieu de discussion de projets utiles »

Quel modèle d’urbanisme souhaitez-vous développer ?

Je vois la ville comme quelque chose d’organique. Tout doit avoir son utilité. On vient mettre un immeuble à tel endroit car il doit répondre à tel besoin, servir tel ou tel type de populations, loger tel ou tel type d’habitants. Je trouve que, souvent, la question de savoir pourquoi on fait les choses est complètement absente. Aux promoteurs qui viennent me voir, je leur demande de me raconter une histoire, pourquoi le bâtiment à tel endroit, pourquoi 50 T1, qui va y habiter ? C’est vrai que la charge foncière dans une ville comme Marseille est telle qu’ils sont dans une équation économique qui les pousse à une vision de courte vue. Or, on construit pour 30, 50, 100 ans.

C’est à la Ville d’exprimer une vision, de formuler ses exigences et de poser le cadre de la collaboration. Elle ne sera plus une caisse enregistreuse mais un lieu de discussion de projets utiles qui doivent se conformer strictement au PLUI et au code de l’urbanisme. A cet effet, j’ai invité la profession à participer à l’élaboration d’une charte de la construction que nous espérons finaliser l’automne prochain. Mettre cela par écrit, c’est apporter de la clarté. Il n’y a pas pour moi de bons ou de mauvais promoteurs.

« Quand on construit, on fait un geste qui marquera le territoire »

Quelles seront vos exigences ?

Nous allons insister sur les espaces communs dans les immeubles collectifs, les toits-terrasses, des locaux à vélo intelligents, des espaces partagés, etc. Nous serons attentifs à la typologie des appartements, à leur disposition et à une surface minimale par types pour une meilleure habitabilité. De trop nombreux projets, qui me sont soumis, proposent des logements au mieux bi-orientés, voire souvent mono-orientés. Ce qui n’a pas de sens dans une ville comme Marseille où le soleil tape dur et le vent souffle fort.

Nous aurons des exigences en termes de matériaux, d’impact environnemental, etc. Quand on construit, on fait un geste qui marquera le territoire. Il faut aborder cela avec gravité.

Quel regard portez-vous sur la densité ?

Pour répondre à la demande de logements, nous nous sommes fixés comme objectif d’en produire 30 000 sur le mandat, soit environ 5 000 par an, dont la moitié sociaux. Cela passera par une forme de densité. Globalement, elle est très faible à Marseille (3 584 habitants par kilomètre carré). En y regardant de plus près, on découvre une tache urbaine très détendue, très consommatrice de sols avec notamment un tissu pavillonnaire qui mite des espaces naturels et agricoles. Il faut raisonner au cas par cas.

Et là, revient la question de la proximité : il faut pouvoir amener ses enfants à pied à l’école, avoir un square en bas de chez soi, une bibliothèque pas loin, une place en crèche. Certes, nous vivont les uns à côté des autres, mais les services et équipements publics rendent cela acceptable. C’est là un de nos chantiers : rattraper le retard en termes d’équipements. Marseille ne compte que huit bibliothèques pour 878 000 habitants. Il manque une vingtaine d’écoles !

« Nous sommes propriétaire d’un patrimoine que nous connaissons mal »

Comment comptez-vous réduire la charge foncière, particulièrement élevée à Marseille ?

J’avoue ne pas connaître tous les leviers à activer. Ce qui est certain, c’est que nous sommes propriétaire d’un patrimoine que nous connaissons mal, quelque fois abandonné. Sachez qu’il n’existe pas d’inventaire. Nous allons lancer un audit de ce patrimoine pour disposer d’une base de données. Il y a des bâtiments que nous n’avons pas intérêt à garder et que nous pourrions vendre à des prix corrects à des promoteurs ou des bailleurs sur la base d’un cahier des charges strict. Cela serait un premier levier à court terme. Ensuite, nous devons réfléchir à des outils de régulation du prix du foncier. J’ai demandé à ce que l’Agence d’urbanisme de l’agglomération marseillaise (Agam) y travaille.

Quel regard portez-vous sur l’opération d’intérêt national Euroméditerranée ?

Je représente la ville au conseil d’administration. J’ai des réunions quasi-hebdomadaires avec les équipes d’Euroméditerranée. Nous avons des ateliers mensuels. Cela pour affirmer que nous comptons participer à la construction de l’OIN qui impacte notre territoire et nos habitants. Il s’agit notamment d’atténuer l’effet vitrine de l’opération. J’observe les insuffisantes coutures entre des constructions neuves et le tissu existant. Il m’importe de créer un continuum entre ce qui sort de terre au sein de l’OIN et des quartiers environnants, extrêmement pauvres. J’ai participé récemment à un jury pour désigner les équipes qui requalifieront d’anciennes fabriques dans le noyau villageois des Crottes. J’ai bon espoir que sous cet angle de la reprise de lieux abandonnés qu’on transforme, on réussisse le continuum. Pour parler du projet des Fabriques porté par Linkcity et Bouygues Immobilier, je suis réservée sur le parti des grandes verticalités. Cela ne m’empêche pas d’apprécier le traitement qualitatif des pieds d’immeubles.

Lors du dernier conseil d’administration de l’établissement public d’aménagement Euroméditerranée, nous avons acté le principe d’un protocole de revoyure pour remettre tout à plat. Cela, sous la houlette du préfet afin de redémarrer à la rentrée prochaine sur la base d’un nouveau cahier des charges. Se pose en arrière-plan la question de l’avenir d’Euroméditerranée. Une OIN n’a pas forcément vocation à durer 30, 40 ou 50 ans. Euromed 2 démarre. Il n’y aura pas forcément d’Euromed 3.

« Nous allons essayer de sanctuariser au maximum »

Le PLUi, qui couvre 18 communes dont Marseille, va subir deux modifications. Que préconisez-vous ?

La première modification vient toiletter le règlement pour qu’il soit plus efficient.

La seconde porte sur des sujets de fond. Nous allons défendre une préservation plus forte des zones naturelles et agricoles, des espaces boisés classés. Nous allons essayer de sanctuariser au maximum. L’autre sujet porte sur la mixité sociale. Avec 21,5 % de logements sociaux, nous ne remplissons pas l’objectif réglementaire de 25 %. De plus, il y a de grandes disparités entre les différents quartiers avec certains qui comptent plus de 40 % de logements sociaux et d’autres moins de 10 %. Nous voulons favoriser une plus grande production de logements sociaux avec une répartition plus équitable sur le territoire. Cela demandera de baisser le seuil à partir duquel il y a une servitude de mixité sociale. Elle s’imposait à partir de 120 logements avant l’adoption du PLUI. Aujourd’hui, le seuil est tombé à 80. Nous voulons passer en dessous pour encourager la production de logements sociaux dans des opérations plus petites.

Vous avez choisi Delphine Baldé comme architecte-urbaniste conseil de la ville de Marseille. Pourquoi ce choix ?

Elle m’a paru très en phase avec la vision de la ville et de son développement que nous entendons porter. Elle a participé aux ateliers de maîtrise d’œuvre de Cergy-Pontoise et a œuvré dans des démarches participatives et de croisement des regards. Ces compétences seront utiles dans sa mission à Marseille puisqu’elle aura un rôle de conseil. Ses qualités pédagogiques d’enseignante répondent bien au besoin que nous avons de mettre du sens dans le travail des agents.

Des marges de manœuvre limitées

« Une dette et un patrimoine mal gérés », « des investissements faramineux mal négociés », voici ce que Benoît Payan, le maire de Marseille, a retenu de l’audit financier de la ville réalisé par le cabinet Deloitte.
D’après cet audit, sur un budget primitif établi à 1,5 milliard d’euros en 2019 et une dette d’un même montant, la Ville ne disposait en définitive que de 13 millions d’euros d’épargne nette. Elle devrait même terminer l’année avec une épargne nette négative, avec une capacité de désendettement de 12 années. Ces conclusions, présentées le 2 février lors d’un point presse rejoignent celles du rapport de la Chambre régionale des comptes du 25 novembre 2019.
Pour investir sur le mandat, les 1,5 milliard d’euros, programmés notamment pour mettre à niveau des équipements souvent vétustes, la nouvelle équipe municipale va « arbitrer » et « lisser les investissements ». Elle va ensuite chercher l’argent à Bruxelles et Paris. Elle a ainsi présenté des projets au plan de relance pour un montant global de 200 millions d’euros. La région Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur a promis 43 millions d’euros. Puis, sollicitée pour renégocier la dette, la Banque des Territoires aurait accepté de réduire de 4 millions d’euros la somme à rembourser. Un autre moyen d’action est la révision des projets. Le maire veut, par exemple, que la participation financière de la Ville au projet de rénovation du bassin du Roucas Blanc en prévision des Jeux olympiques 2024 soit inférieure à 10 millions d’euros.

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Date de réponse 10/10/2025