Contre toute attente, alors que les instances politiques sont en quête d'une nouvelle majorité pour gouverner, la France a transmis à la Commission européenne la version définitive de son plan national intégré énergie-climat (Pniec) pour 2030 en ce début juillet. Elle est le sixième État membre à s'acquitter de cette obligation, fixée au 30 juin 2024, quasiment dans les délais impartis, après le Danemark, la Finlande, l’Italie, les Pays-Bas et la Suède.
Le document, long de 305 pages, décrit comment le pays souhaite respecter ses objectifs pour 2030 fixés par le paquet « Fit for 55». Il présente plusieurs évolutions par rapport à la version provisoire que la France avait transmise fin novembre et qui avait reçu un avis très critique de la part de la Commission. L’exécutif européen estimait en effet en début d’année que les États membres n’étaient pas en mesure de tenir collectivement les objectifs européens et ne parvenaient à réduire leurs émissions nettes que de 51% par rapport à 1990, au lieu des 55% attendus. La France ratait son objectif climat d’un point et sa cible d’énergies renouvelables de onze points.
Pour établir ce plan, la France se fonde sur trois documents en cours de révision : la programmation pluriannuelle de l’énergie pour 2024-2033, la stratégie nationale bas carbone qui doit fixer des budgets carbone pour la période 2024-2028 ainsi que des projections pour les périodes 2029-2033 et 2034-2038 et le plan national d’adaptation au changement climatique. Seul le premier document a été mis en consultation sous le gouvernement précédent, les deux autres étaient attendus en juin mais seules des versions provisoires ont été publiées par la presse. « Ils seront prochainement publiés pour consultation publique », précise le gouvernement dans le Pniec envoyé à la Commission.
Toujours un problème de bouclage sur le partage de l’effort et les puits
Sur le volet climat, la France rappelle sa volonté d’atteindre – 50% d’émissions de gaz à effet de serre brutes d’ici à 2030 par rapport à 1990 (et – 55% nettes), correspondant à l’émission de 271 MtCO2 (soit 1 Mt de CO2 en moins que la version du Pniec de novembre 2023) ; l’objectif pour 2050 n’est pas encore évalué « à ce stade ». C'est en effet sur l'horizon de temps 2030-2050 que l'administration française a le plus de mal à boucler ses projections pour atteindre la neutralité climatique, en raison notamment d'un puits de carbone forestier très fragilisé par les sécheresses, canicules et incendies qui se multiplient.
Sur le secteur de l’utilisation des terres et de la foresterie (UTCATF) d'ailleurs, le puits de carbone de la France est projeté à 18 MtCO2 alors qu’il devrait atteindre 31 MtCO2. « Il manquerait donc 13 MtCO2 [soit 1 MtCO2 en plus que la version du Pniec de novembre 2023] par rapport à nos objectifs, avec toutefois de fortes incertitudes sur ces projections », relève le gouvernement français.
Sur la partie « partage de l’effort » (à savoir les secteurs du bâtiment, des transports, des déchets et de l’agriculture), l’objectif est de – 47,5% d’ici à 2030 par rapport à 2005, soit 211 MtCO2. Mais le ministère estime toujours que la France ne pourra pas aller en dessous 215 MtCO2 en raison d’un « léger excédent en fin de période ».
Le Pniec contient une estimation préliminaire des troisième et quatrième budgets carbone, tel qu’ils seront révisés à l’adoption de la SNBC 3 :
- le budget carbone 2024-2028 est estimé à 335 Mt CO2eq hors UTCATF et à 327 Mt CO2eq avec UTCATF ;
- le budget carbone 2029-2033 est estimé à 256 Mt CO2eq hors UTCATF et à 239 Mt CO2eq avec UTCATF.
Si les engagements internationaux de la France portent sur ses émissions territoriales, le gouvernement s’est aussi engagé à réduire l’empreinte carbone de la France. « La SNBC 3 comportera ainsi des budgets carbone indicatifs en empreinte et un objectif de long terme », indique le gouvernement, sans plus de précision. Dans la version publiée cet automne, le Pniec évoquait une réduction de 80% de l’empreinte carbone en 2050, en prenant en compte des soutes internationales et des émissions importées, afin d’être compatible avec l’objectif d’1,5°C de l’accord de Paris.
Pour tenir les objectifs climat, « la France devra désormais baisser ses émissions de gaz à effet de serre de 5% chaque année entre 2023 et 2030, contre 2% de réduction annuelle en moyenne de 2017 à 2022. Cette accélération impose des efforts de tous et des transformations dans tous les secteurs émetteurs de gaz à effet de serre de notre économie », relève la France dans son Pniec.
Un objectif d’efficacité énergétique non atteint en 2030
Sur le volet de la baisse de la consommation d’énergie finale, le Pniec anticipe que l’objectif ne sera pas atteint. Alors que l’objectif européen pour 2030 est de -28,6% par rapport à 2012, la France vise -30% soit 1243 TWh (ou 106,9 Mtep) mais estime que sa consommation sera supérieure, à 1381 TWh. La consommation d’énergie primaire envisagée est quant à elle de 1844 TWh (158,6 Mtep).
« Des efforts complémentaires » sont nécessaires, reconnaît le gouvernement, qui liste une série de mesures à déployer : adosser le principe de primauté de l’efficacité énergétique (PPEE) au processus de l’évaluation environnementale, déployer le plan de sobriété énergétique,électrifier les usages, rénover les bâtiments, réaliser des audits énergétiques dans l’industrie, etc.
Le gouvernement conserve en revanche son objectif de passer de 58% d’énergies fossiles dans la consommation finale en 2022 à 41% en 2030 et à 29% en 2035.
La part d’énergies renouvelables devrait dépasser 23% en 2024
Sur le volet énergies renouvelables, deux nouveautés sont à noter. La France assure pour la première fois qu’elle sera en mesure de respecter son objectif pour 2020 d’énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergies en 2024, soit avec quatre années de retard. « La part d’énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie pourrait s’élever au moins à 23,4% en 2024. L’objectif de 23% de part d’énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie de la France serait donc respecté en 2024», écrivent les auteurs du Pniec. Ils évoquent une « dynamique prometteuse [qui] a vocation à se poursuivre et à s’amplifier ».
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« Il y aura, en 2024, environ 1219 MW de nouvelles capacités d’éolien terrestre, et 3200 MW de nouvelles capacités de photovoltaïque. En supposant des facteurs de charge respectifs de 23%, et 14%, il est donc possible de prévoir au moins 6,4 TWh de production d’électricité renouvelable supplémentaire en 2024 grâce à ces nouvelles capacités », est-il encore précisé dans le Pniec.
Un objectif d’EnR pour 2030
La France était jusqu'ici l’unique Etat membre à ne s’être pas acquittée de son obligation de respecter son objectif d’énergies renouvelables pour 2020, contrairement à d’autres Etats membres comme le Luxembourg ou l’Italie qui avaient acheté des parts d’énergies renouvelables à des pays excédentaires. Ce retard faisait peser sur la France une épée de Damoclès sous la forme d’une amende de l’ordre de 500M€, que le gouvernement ne souhaitait pas payer, mettant en avant la forte part « décarbonée » du mix électrique français, en raison du poids de l’électricité nucléaire.
Cette part d’énergie décarbonée avait été traduite dans la version provisoire du Pniec de novembre dernier par un unique objectif d’énergies décarbonées (58% en 2030, 71% en 2035), sans précision sur la part d’énergies renouvelables. La Commission avait calculé cette part autour de 33% d’énergies renouvelables en 2030, soit onze points de retard par rapport à l’objectif de 44% attribué à la France. La version finale du Pniec de juin 2030 vient corriger en partie le tir, en fixant non pas un pourcentage mais un objectif en valeur absolu de 570 TWh. Rapporté à la consommation globale, il correspond à une part de 41,2% (soit encore trois points de retard par rapport à l’objectif de la France).
Interrogés lors d'un point presse téléphonique le 11 juillet, les cabinets de Christophe Béchu et de Roland Lescure se refusent à confirmer ce calcul, préférant « raisonner en énergies décarbonées ». « C'est l'objectif que nous poursuivons pour que cela soit reconnu au niveau européen. »
L’objectif se décompose en cibles par filières pour 2030, qui seront précisées dans le décret de la programmation pluriannuelle de l’énergie :
- photovoltaïque : 54 à 60 GW (soit un rythme d’installation de 5,5 à 7 GW/an)
- éolien terrestre : 33 à 35 GW (soit le maintien du rythme de développement de l’éolien terrestre à 1,5 GW/an)
- éolien en mer : 3,6 GW (avec un appel d’offres de 10 GW en 2026)
- hydroélectricité (dont STEP) : 26,3 GW
- chaleur renouvelable et froid renouvelable : 297 TWh
- biocarburants : 48 TWh
- biogaz : 50 TWh
Sur le volet nucléaire, le Pniec précise la volonté d’engager la construction de 9 GW de nouvelles capacités d’ici à 2026 (soit 6 EPR 2) et « l’approfondissement de l’étude d’un éventuel renforcement du programme électronucléaire afin d’être en capacité d’ici 2026 de prendre une décision sur la réalisation d’un éventuel second palier d’au moins 13 GW » (soit 8 EPR 2).
Un problème de bouclage sur la biomasse
Le document confirme aussi la difficulté à boucler l’offre et la demande en matière de biomasse. « En l’état, la consommation totale de biomasse sous ses différentes formes en énergie finale pourrait s’élever à 238 TWh en 2030 selon le scénario de référence pour une production estimée à cet horizon à 230 TWh PCI. La version provisoire du scénario de référence met ainsi en évidence un déséquilibre offre-demande en biomasse en 2030. Par ailleurs, les incertitudes sur les projections chiffrées incitent à la prudence dès 2025 car plusieurs sous-secteurs pourraient voir leurs consommations revues à la hausse », lit-on dans le document.
Le SGPE a publié début juillet un document établissant la hiérarchie des usages, avec une priorité donnée à l’alimentation humaine et animale et aux puits de carbone pour atteindre les objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre.