Sur le thème « De la forêt à la construction bois », la récente conférence que vous avez co-organisée avec l'Union de la coopérative forestière française vous incite-t-elle à l’optimisme sur la structuration de la filière ?
La redynamisation de la filière structure ma feuille de route de ces cinq dernières années à la direction du CNDB. Durant cette période, j’ai vu se développer une certaine schizophrénie.
D’un côté, le grand public veut du bois, qui lui apporte bien-être et confort, mais ne veut pas entendre parler de couper des arbres. De l'autre, certains nouveaux venus arrivent sur le marché en cédant à l’opportunisme du bio-sourcé.
Comment réagir à cette schizophrénie ?
La prolifération d’idées reçues pose la question des connaissances du client final et du maître d’ouvrage. Cette analyse a réuni le CNDB et l’Union de la coopérative forestière de France dans un cycle de trois conférences, dont celle que vous citez. Les 50 000 maitres d’œuvre et maitres d’ouvrage trouvent au CNDB les retours d’expériences de professionnels forestiers diffusés lors des évènements que nous organisons ensemble.
Le grand public veut du bois, qui lui apporte bien-être et confort, mais ne veut pas entendre parler de couper des arbres
Une prochaine rencontre, le 21 mars prochain, portera sur l’innovation. Parmi les exemples frappants, je retiens celui du scieur de Seine-Maritime Lefèbvre, dont la filiale Manubois a développé une technique de production de bois lamellé croisé – CLT- à base de hêtre.
Cette innovation montre la capacité d’adaptation de la filière à sa ressource : les feuillus composent la grande majorité de la forêt française, alors que le marché s’est concentré jusqu’ici sur les résineux, dominés par l’importation, notamment autrichienne et scandinave. Au lieu de copier ce modèle, il est temps de répondre à la demande avec ce que nous offre la forêt.
Le thème de la souveraineté forestière répond à un défi économique et humain : avec une production qui couvre 60 % de ses besoins, la France dispose d’une forte marge de progrès qui ouvre une perspective à celles et ceux qui cherchent des métiers porteurs de sens.
Entre le label Bois de France et la multiplication de marques régionales, faut-il choisir ?
Bois de France garantit le respect de l’ensemble de la chaîne de valeur, à commencer par la gestion durable de la ressource, à travers les certifications FSC et PEFC. Les labels territoriaux valorisent les circuits courts, mais ne peuvent faire l’économie d’une réflexion honnête sur la disponibilité.
Avec une production qui couvre 60 % de ses besoins, la France dispose d’une forte marge de progrès
Plutôt que d’opposer l’un aux autres, je préfère avancer sur la notion de la bonne essence au bon endroit, avec un usage adapté. Parfois, elle se trouvera à moins de 30 km, d’autre fois plus loin.
Observez-vous les impacts de la réglementation environnementale 2020 et de l’effet vitrine des Jeux olympiques ?
Les derniers chiffres connus, datés de 2022, montrent une croissance soutenue, en dépit de la volatilité post-covid : +23 % en entretien et rénovation, +24 % en extension et surélévation, +33 % en construction non résidentielle... Oui, la RE 2020 a sorti le bois du lot, de même que les quotas de bois dans les bâtiments tertiaires ou les avantages des filières sèches dans des territoires qui manquent d’eau.
Pour provoquer un gain de crédibilité dans la maîtrise d’ouvrage, ces facteurs favorables se sont ajoutés à la tribune des JO : le village des athlètes totalisera 29 000 m2 de bois dont 45 % issus de forêts françaises ; 15 autres ouvrages olympiques comprennent 200 000 m2 de bâtiments bois, y compris les façades. Ces constructions rendent possible l’économie de 45 % de carbone, sur l’ensemble du cycle de vie des bâtiments, sans parler de leur réversibilité. Cette vitrine du possible s’est réalisée en un temps record.
La filière a-t-elle bien pris la mesure des défis posés par le changement climatique ?
A l’issue des assises de la forêt et du bois qui se sont déroulées entre octobre 2021 et mars 2022, la filière a mis le cap sur la planification écologique. Cet objectif s’est formalisé dans 25 mesures ambitieuses à réaliser dans les deux ans. L’application concerne déjà 19 d’entre elles, tandis que la mise en œuvre des six autres a commencé, autour de quatre axes : connaissance ; renouvellement des peuplements forestiers ; innovation et compétitivité industrielle ; expérimentation de nouvelles formes de dialogues, à l’échelle nationale comme à celle des territoires.
Oui, la RE 2020 a sorti le bois du lot
La force de cette feuille de route tient beaucoup à la visibilité des effets du changement climatique, principal responsable de la diminution de la surface forestière observée depuis 2005. La priorisation de ce thème se retrouve dans le renouvellement du contrat stratégique de filière signé par 27 organisations, engagées aux côtés de l’Etat pour les trois prochaines années.
Ne regrettez-vous pas la faible place occupée par la filière forêt bois dans les Cop régionales qui doivent organiser la territorialisation de la planification écologique ?
En annonçant l’été dernier la plantation d’1 milliard d’arbres d’ici 2032, le président de la République a pris un engagement fort. L’objectif correspond au renouvellement de 10 % de la forêt française et prend en compte l’adaptation au changement climatique, dans un gisement considérable : 17 millions d’hectares et le tiers de la surface métropolitaine, ce qui place la France en quatrième position européenne, après la Suède, la Finlande et l’Espagne, mais devant l’Allemagne.
Cette ressource répond à une demande croissante en premier lieu pour le bois d’œuvre, mais aussi pour l’industrie du meuble. Pour freiner l’étalement urbain et décarboner le bâtiment, le bois présente tous les avantages. La récente étude de Carbone 4 (ndlr: réalisée à l'initiative de France Bois Forêt, Codifab et Copacel) a révélé un nouveau débouché potentiel en circuit court, dans l’alimentation en énergie-bois des industries de transformation de la filière.
Comment débloquer le frein créé par l’atomisation de la propriété forestière ?
3,3 millions de propriétaires se partagent 75 % de la surface, et certains d’entre eux ne sont même pas conscients de leur bien ! France Bois Forêt œuvre activement à les inciter à se mettre en ordre de marche. Les coopératives les accompagnent.
Quel équilibre imaginer entre protection et exploitation ?
Le projet stratégique de filière intègre le dialogue sociétal dont doit découler la réponse, mais avec une limite : on ne peut pas cautionner les violences commises sur des forestiers ou leur coopérative. Les actions criminelles appellent des punitions, tout en révélant les besoins de connaissance, en particulier sur les points suivants : production forestière n’implique pas déforestation ; plus un arbre vieillit, moins il stocke de carbone. Le dépérissement provoqué par le changement climatique accélère ce phénomène et renforce le besoin de renouvellement, au bénéfice de l’économie et du climat.