La digitalisation des autorisations d'urbanisme

À l'ère du numérique, une politique de dématérialisation a été amorcée par le gouvernement afin de faciliter les échanges entre les usagers et l'administration. Cette réforme s'est intéressée également à l'urbanisme, matière qui se caractérise pourtant par la voluminosité des pièces des dossiers d'autorisations d'urbanisme. L'entrée en vigueur de cette réforme en matière d'urbanisme pourrait être reportée à 2022 par la loi dite « Elan », il convient de remonter le temps pour comprendre pourquoi...

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Quel est le cadre juridique du projet de dématérialisation des demandes d'autorisation d'urbanisme ?

L' habilitant le gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens dispose que le gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances des dispositions de nature législative destinées à « 1° Définir les conditions d'exercice du droit de saisir par voie électronique les autorités administratives et de leur répondre par la même voie ».

C'est dans ce cadre que s'inscrit l' relative au droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique qui prévoit la possibilité de saisir l'administration par voie électronique, complétée par le 04 du 5 novembre 2015 et le , définitivement entrée en vigueur le 7 novembre 2016 et dont les modalités d'échange seront fixées par le Code des relations entre le public et l'administration.

En matière d'urbanisme et de construction, le processus de dématérialisation des documents et servitudes d'urbanisme se distingue de celui des demandes d'autorisation d'urbanisme. S'agissant des documents d'urbanisme, u n processus d e dématérialisation en plusieurs étapes doit se finaliser en 2 020 : conformément à l' relative à l'amélioration des conditions d'accès aux documents d'urbanisme et aux servitudes d'utilité publique.

S'agissant des autorisations d'urbanisme, l' dispose que : « Toute personne (...) peut, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'État, adresser à celle-ci, par voie électronique, une demande, une déclaration, un document ou une information, ou lui répondre par la même voie. Cette administration est régulièrement saisie et traite la demande, la déclaration, le document ou l'information sans lui demander la confirmation ou la répétition de son envoi sous une autre forme. » Et l'article L. 112-10 du même code prévoit que l'application de cette disposition peut être écartée par décret en Conseil d'État notamment pour des raisons de bonnes administrations.

Précisément, le décret n° 2 016-1491 du 4 novembre 2016 relatif aux exceptions à l'application du droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique concernant les démarches effectuées auprès des collectivités territoriales, de leurs établissements publics ou des établissements publics de coopération intercommunale vise : - les demandes d'autorisations qui, à compter du 7 novembre 2018, pourront faire l'objet d'une demande dématérialisée - cf. annexe 2 « exceptions à titre transitoire jusqu'au 7 novembre 2018 » à savoir les plus fréquemment sollicitées notamment : diverses déclarations d'intention d'aliéner ; déclaration attestant l'achèvement et la conformité des travaux ; déclaration d'ouverture de chantier ; déclaration préalable pour constructions, travaux, installations et aménagements non soumis à permis comprenant ou non des démolitions ; déclaration préalable pour lotissement ou autres divisions foncières non soumis à permis d'aménager ; déclaration préalable pour constructions et travaux non soumis à permis de construire portant sur une maison individuelle ou ses annexes ; demande de modification d'un permis délivré en cours de validité ; demande de permis de démolir ; demande de transfert de permis délivré en cours de validité ; demande de certificat d'urbanisme ; demande de permis de construire pour une maison individuelle ou ses annexes ; demande de permis de construire comprenant ou non des démolitions ; demande de permis d'aménager comprenant ou non des constructions ou des démolitions ; demande de construction, restauration ou extension des bâtiments à moins de 100 mètres des nouveaux cimetières transférés hors de communes ; demande de branchement au réseau d'eau) ; et -es demandes d'autorisations qui ne pourront jamais faire l'objet d'une demande dématérialisée - cf. annexe 1 « exceptions à titre définitif » (l'autorisation de construire, modifier ou aménager un ERP ; dossier spécifique permettant de vérifier la conformité des établissements recevant du public aux règles d'accessibilité et de sécurité contre l'incendie et la panique ; autorisation de dérogation aux règles d'accessibilité des établissements recevant du public ; demande de dérogation aux règles d'accessibilité applicables aux bâtiments d'habitation collectifs lorsqu'ils font l'objet de travaux et aux bâtiments existants où sont créés des logements par changement de destination ; demande d'approbation d'un agenda d'accessibilité programmée couplée à une demande d'autorisation de construire, modifier ou aménager un établissement recevant du public ; autorisation de travaux sur un IGH et l'autorisation d'exécution de travaux ou de mise en exploitation de remontées mécaniques).

Il en résulte que la dématérialisation des autorisations d'urbanisme se définit par ses exceptions consacrées par le texte (l'article 1er dudit décret), et fait ainsi écho au régime des dérogations au principe selon lequel « silence vaut acceptation » ( habilitant le gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens), qui souffre de tant d'exceptions qu'il est légitime de s'interroger sur la portée du principe.

Cette dématérialisation à deux vitesses pourrait contrevenir à l'objectif d'unification des démarches souhaitées par cette politique publique mais surtout rendre complexe la compréhension du système applicable tant pour les usagers et pétitionnaires, que pour les agents de l'administration.

Quelles sont les difficultés pratiques et techniques de la réforme ?

Un tel changement technologique se prépare, se finance et n'est pas sans risque juridique.

Les collectivités territoriales doivent d'abord s'équiper, se former et budgétiser cette réforme d'envergure. Cette inquiétude n'a pas manqué d'être relayée au gouvernement, ainsi qu'en témoigne la question écrite n° 02758 posée par une sénatrice au ministre de la Cohésion des territoires, relative aux modalités d'application du et l'échéance réglementaire du 7 novembre prochain.

Cette préoccupation illustre le sentiment de certaines collectivités qui s'inquiètent de ne pas être accompagnées, d'autant qu'aucune mesure d'application pratique n'a encore été adoptée ou proposée par le gouvernement. Elles s'interrogent en effet sur les procédures à mettre en place tant avec l'administration centrale qu'avec les services déconcentrés de l'État.

Cette inquiétude est renforcée par les délais incompressibles de maîtrise des outils et de la formation des agents, rendant ainsi difficile le respect du délai fixé par le gouvernement.

Ainsi, si l'aune de cette « ère numérique » des documents et autorisations d'urbanisme est naturellement à saluer, il est possible de s'interroger sur la capacité des collectivités locales à répondre efficacement aux exigences réglementaires et aux demandes des usagers.

En outre, cette dématérialisation des autorisations d'urbanisme pose des interrogations pratiques quant à ses modalités de mise en œuvre, non résolues d'ailleurs par la relative à la mise en œuvre de la saisine par voie électronique. Notamment, il est légitime de s'interroger sur la gestion future des consultations des dossiers d'autorisation d'urbanisme, ou encore sur les modalités de substitutions de pièces de demandes d'autorisations dématérialisées (quel délai, quelle procédure, etc.)

Ces difficultés pratiques pourraient soulever de nouvelles problématiques juridiques du fait notamment de la délivrance involontaire de multiples permis tacites « du fait de ratés de l'instruction dématérialisée ». Les communes redoutent des dépôts sauvages de déclarations préalables de travaux ou de demandes de permis de construire qui, en application du principe selon lequel l'absence de réponse de l'administration dans le délai légal vaut acceptation, seraient tacitement accordées alors pourtant que l'administration n'aura pas été en mesure de prendre connaissance de cette demande ou n'aura pas disposé des délais nécessaires aux fins de l'instruire.

Ces considérations sont inévitablement susceptibles de peser sur l'efficacité et la régularité des procédures, au détriment des pétitionnaires. Cette simplification pourrait rimer avec une réelle complexification, à l'origine de nouveaux contentieux.

Le délai de mise en œuvre de la dématérialisation de l'instruction des autorisations d'urbanisme nécessairement reporté ?

Le gouvernement a prévu une entrée en vigueur différée de la dématérialisation de certaines autorisations d'urbanisme au 7 novembre 2018 (Annexe 2 du décret de 2016 précité).

Si certaines collectivités ont initié la dématérialisation - la ville de Paris offre, depuis le mois de juillet 2017, la possibilité de déposer en ligne une demande de certificat d'urbanisme informatif - de nombreuses communes n'accueillent pas positivement cette réforme compte tenu du délai imparti et du budget requis pour qu'elle soit menée à bien. C'est d'ailleurs le sens de la correspondance adressée le 26 janvier par les présidents de l'AMF (Association des Maire de France et des présidents d'intercommunalité) et de l'AdCF (Assemblée des Communautés de France) qui dénonce « une précipitation [...] dangereuse et contre-productive ».

On constate aujourd'hui que si le gouvernement n'a pas manqué d'initier et d'accélérer la dématérialisation des procédures administratives depuis plusieurs années maintenant (immatriculation des véhicules : portant diverses mesures de dématérialisation et de modernisation des procédures relatives à l'immatriculation des véhicules, relations contractuelles dans le secteur financier : relative à la dématérialisation des relations contractuelles dans le secteur financier, paiement des cotisations et contributions sociales : relatif à la dématérialisation des déclarations et des paiements des cotisations et contributions de sécurité sociale des travailleurs indépendants non agricoles, etc. ), il semblerait que la levée de boucliers quant au court délai laissé aux administrations pour anticiper une telle réforme en urbanisme a été entendue.

En effet, l'avant-projet de loi ELAN, déposé à l'assemblée nationale le 4 avril 2018 et actuellement discuté dans l'hémicycle, prévoit, à son article 17, d'accélérer la numérisation dans le champ de l'urbanisme en créant une télé-procédure pour assurer le traitement des demandes d'autorisation d'urbanisme à compter du 1er janvier 2022 pour les communes dont le nombre d'habitants sera supérieur à un seuil défini par un décret.

Ainsi, le délai d'entrée en vigueur pourrait être reporté de 2018 à 2022 et un seuil sera alors institué de sorte que toutes les collectivités ne seraient pas concernés par cette dématérialisation afin de réserver cette obligation aux seules collectivités disposant des moyens informatiques suffisants (et implicitement financiers).

Affaire à suivre…

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