Un mélange de confiance et de gravité a marqué le bilan de la qualité des eaux dressé début novembre par l’agence de l’eau Rhône-Méditerranée Corse, et pour cause : l’effort paye, mais la hauteur des prochaines marches à gravir interdit tout triomphalisme.
Indices biologiques rassurants
Côté verre à moitié plein, les pilotes de la politique interrégionale de l’eau mesurent le chemin parcouru, depuis la première directive européenne sur les eaux résiduaires urbaines (Deru), en 1991 : « De 2007 à 2023, l’évolution positive de l’indice biologique diatomée montre les bénéfices enregistrés par la faune et la flore, malgré le fléchissement provoqué par deux années très sèches, en 2022 et 2023 », récapitule Nicolas Mourlon, directeur de l’agence. Il y voit un encouragement : « Les indicateurs biologiques en disent beaucoup sur le fonctionnement du milieu. Cela donne confiance. On peut continuer à progresser ».
La partie positive du bilan pointe le resserrement de la maille territoriale de la gouvernance : l’agence de l’eau recense 71 projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE). Avec la participation de toutes les familles d’usagers, ces instances régulent le partage de la ressource à l’échelle des sous-bassins versants.
Territoires exemplaires
Le comité intercommunautaire pour l’assainissement du lac du Bourget (Savoie) illustre les bénéfices de la mutualisation territoriale : la réduction des fuites a permis de gagner 2 millions de m3 d’eau par an, auxquels s’ajoutent 350 000 m3 issus des changements de pratiques. « L’agence a contribué à hauteur de 11M€ aux chantiers d’imperméabilisation mis en place dans le cadre du PTGE », ajoute Marc Vérot, chef de service à la délégation de Lyon de l’agence.
Dans les agglomérations équipées de réseaux d’assainissement unitaires, la prise de conscience de la nécessité de ralentir le cycle de l’eau marque la période récente. Maître d’ouvrage des mobilités de la métropole lyonnaise, le Sytral a récemment soustrait 45 hectares aux canalisations d’eaux usées. « Ce poste représente 30M€, dont 11 apportés par l’agence, sur les 900M€ d’investissements en instance sur trois lignes de tram et une ligne de bus à haut niveau de service », souligne Patrice Pautrat, chargé des projets de la métropole à l’agence.
Effet cocktail
Mais alors que la Deru de 1991 ciblait les pollutions organiques, l’émergence des micropolluants et les progrès des mesures conduisent à reconfigurer le thermomètre de la qualité de l’eau. Pour rendre compte de cette évolution qui fait pencher le bilan qualitatif du côté du verre à moitié vide, Nicolas Mourlon prend l’exemple de l’acide perfluorooctanesulfonique (Pfos) : « Jusqu’en 2014, on ne le détectait pas. Aujourd’hui, on en trouve partout ».
Les pesticides, les médicaments et les produits cosmétiques constituent les sources principales de ces molécules dont les scientifiques redoutent les effets cocktails que pourraient provoquer leur mélange avec d’autres polluants. Ces Pfos n’ont rien à envier aux Pfas, ces substances per et polyfluoroalkylées, également appelées polluants éternels.
Lourd héritage industriel
Marqueurs de l’histoire industrielle du bassin du Rhône, elles se concentrent dans la vallée de la chimie, en aval de Lyon, mais aussi dans la nappe des îles, autour d’Annecy, marquée par l’empreinte des industries du ski (usines Salomon) et de l’électroménager (Seb) qui appréciaient la capacité des Pfas à diminuer les tensions de surface.
« A partir de 2014, le bassin a anticipé la règlementation. Une task force coordonnée par la préfète de région réunit toutes les parties prenantes pour détecter ces micropolluants, surveiller les rejets et prendre des mesures de réduction à la source », tente de rassurer Jean-Philippe Deneuvy, directeur de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) d’Auvergne Rhône-Alpes (Aura).
Surveillance resserrée
La surveillance se concentre sur 500 sites industriels et une centaine de captages. Sur l’ensemble de son territoire, l’agence recense 900 stations. Permise tant par la densification du réseau que par l’amélioration des capacités de détection des laboratoires, la progression du nombre de données atteint 70%, depuis 2022.
Ces outils suffiront-ils à soutenir une dynamique de progrès ? « Nous faisons tout pour atteindre l’objectif de 67% de masses d’eau de qualité en 2027 », assure Nicolas Mourlon, directeur de l’agence. Par rapport aux 48% enregistrées aujourd’hui dans le bassin Rhône-Méditerranée et la Corse, le saut paraît pourtant difficile à franchir, en particulier dans la partie aval et à proximité des agglomérations.
Moyens stagnants
Entre urgence écologique et rigueur budgétaire, l’effort annuel devrait se stabiliser à 500 M€/an : un niveau atteint grâce au plan eau de 2023, au fil de l’exécution du 11ème programme de l’agence, alors que l’exercice quinquennal avait démarré avec une allocation annuelle de 400M€ pour la période 2019-2024.
Les nouveaux plafonds mordants annoncés par le ministère de l’Economie mettent fin à cette augmentation, au moment du démarrage du XIIème programme, entre 2025 et 2030. Prélevé sur l’argent que les pollueurs consentent à mettre au service de la réduction de leurs impacts, ce coup de rabot n’a pas finir de faire débat. La conférence nationale sur l’eau annoncée par le Premier ministre devrait le confirmer, dans les prochaines semaines.