Jurisprudence

La Cour de cassation clarifie le champ de l’assurance décennale obligatoire en cas d’adjonction d’un ouvrage à un existant

Un premier semestre 2024 en fanfare pour la Haute juridiction. Elle remodèle sa jurisprudence en matière de travaux sur existant par un arrêt rendu ce 30 mai concernant l’adjonction d’un ouvrage, après une retentissante décision du 21 mars relative à l’adjonction d'un équipement.

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Rénovation de toiture
Marchés privés

La décision rendue par la 3e chambre civile de la Cour de cassation le 30 mai 2024 (n° 22-20711) sera publiée au Bulletin, signe de l’importance qui lui est conférée. Il faut en retenir les deux principes suivants :

• « […] l'assurance obligatoire ne garantit les dommages à l'ouvrage existant provoqués par la construction d'un ouvrage neuf que dans le cas d'une indivisibilité technique des deux ouvrages et si celle-ci procède de l'incorporation totale de l'existant dans le neuf.

• Les deux conditions sont, ainsi, cumulatives et les dommages subis par l'ouvrage existant ne sont pas garantis lorsque c'est l'ouvrage neuf qui vient s'y incorporer. »

Double doute

En quoi est-ce nouveau et important ? Il s’agissait ici d’interpréter les termes de l’article L. 243-1-1 du Code des assurances, et plus précisément son II. Cette disposition a été introduite en 2005 pour limiter le champ de l’assurance construction obligatoire, et remédier aux effets d’une jurisprudence considérée comme trop expansive concernant les existants. Ce II prévoit que les assurances obligatoires « ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l'ouverture du chantier, à l'exception de ceux qui, totalement incorporés dans l'ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles ».

Or, explique Jean-François Zedda, conseiller référendaire à la 3e chambre civile de la Cour de cassation, lors des 2e Rencontres bordelaises de l’assurance construction qui se tenaient justement ce 30 mai, « une double question d’interprétation demeurait » depuis 2005. Cette obligation d’assurance des existants repose-t-elle sur deux conditions (incorporation totale et indivisibilité technique) ? Ou bien a-t-on finalement affaire à une seule condition, en considérant que l’incorporation totale découle de l’indivisibilité technique ? Et l’incorporation est-elle à sens unique (existant dans le neuf, par exemple une façade ancienne conservée dans le vide d’une nouvelle opération), ou pouvait-elle aussi se concevoir s’agissant du neuf dans l’existant (travaux neufs de reprise en sous-œuvre incorporés dans la superstucture ancienne par exemple) ?

« Un nouveau pourvoi nous a donné l’occasion de répondre », souligne Jean-François Zedda. Mais non sans mal : « La solution a été très discutée ; à l’origine cette décision devait être rendue en même temps que l’arrêt du 21 mars sur les équipements, mais elle a été renvoyée en formation plénière de chambre », dévoile-t-il.

Le revirement de jurisprudence opéré par l’arrêt du 21 mars sur les équipements installés sur existant (n° 22-18694) :

« Si les éléments d'équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, quel que soit le degré de gravité des désordres, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l'assurance obligatoire des constructeurs. »

Cela concerne les pompes à chaleur, inserts, ballons d'eau chaude, chaudières, etc.

Un toit et une grosse tuile

L’affaire qui a servi de véhicule à cette évolution jurisprudentielle concernait des travaux de remplacement des tuiles de la couverture d’une maison. Se plaignant d'une déformation du rampant de la toiture, les maîtres d’ouvrage ont assigné l’entreprise et son assureur. Ils obtiennent gain de cause en appel : le constructeur et l’assureur sont condamnés à les indemniser des dommages affectant les ouvrages neufs et anciens. Les juges retiennent que « la couverture installée sur la charpente forme avec elle un tout indivisible pour constituer la toiture, de sorte que la garantie décennale doit s'appliquer, sans que puissent être opposées les dispositions de l'article L. 243-1-1, II, du Code des assurances ».

La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel. « En se déterminant ainsi, sans caractériser en quoi l'ouvrage existant s'incorporait totalement dans l'ouvrage neuf, ni en quoi ils étaient techniquement indivisibles, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision. » Les choses sont désormais claires. « Les deux conditions sont cumulatives, résume Jean-François Zedda. Et la condition d’incorporation totale fonctionne bien à sens unique, c’est l'existant qui doit s’incorporer dans le neuf, pas l’inverse », pour que l’obligation d’assurance s’applique.

Le magistrat rappelle que les existants exclus de l’obligation d’assurance ne sont pas pour autant dépourvus de couverture. « L’Etat a passé une convention avec les assureurs le 8 septembre 2005, par laquelle ceux-ci s’engagent notamment à proposer systématiquement une garantie dommages aux existants ».

Incorporé, enveloppé

Pour Pascal Dessuet, directeur construction et immobilier du courtier AON, qui intervenait également aux Rencontres bordelaises de l’assurance construction, des difficultés d’interprétation de cet article L. 243-1-1, II subsistent néanmoins. « Les textes ne définissent pas la notion d’incorporation, elle risque donc d’être encore débattue. Il y a en effet une nuance entre incorporer et envelopper. Par exemple, le cœur en béton des tours de La Défense se trouve enveloppé par les rénovations récentes de murs rideaux en façade, mais est-il pour autant incorporé ? J’aurais préféré que les textes parlent de perte d’autonomie structurelle plutôt que d’incorporation… »

Cass. 3e civ., 30 mai 2024, n° 22-20711, Bull.

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