Quelles sont les spécificités de la région Asie-Pacifique pour Bouygues Construction ?
La région regroupe la moitié de la population mondiale avec une forte problématique d’urbanisation, commune à beaucoup d’endroits dans le monde, mais avec une dimension particulière au regard de "hubs" comme Hong Kong, où l’urbanisme est unique. Le vieillissement de la population génère également de nouveaux marchés dans les domaines de la santé. La croissance et l’avènement des classes moyennes sont des formidables vecteurs de demandes pour les infrastructures sociales et économiques. Les besoins sont par conséquent très importants. Les politiques publiques dans chaque État sont différentes, mais bien planifiées avec un cadre offrant de la stabilité, de la visibilité et de la solvabilité. La dynamique régionale est un moteur de croissance pour l’économie mondiale.
Cette dynamique régionale arrive-t-elle à point nommé, au moment où l’activité sur Hong Kong semble ralentir ?
À Hong Kong, nous arrivons au terme d’un plan d’investissement gouvernemental dans les infrastructures exceptionnelles. Nous avons livré les 9,4 kilomètres de la partie hongkongaise du pont Hong Kong-Zuhai-Macao. Nous livrerons en 2020 le tunnel de Tuen Mun : un ouvrage gigantesque réalisé notamment avec un tunnelier de 17 mètres de diamètre et un grand nombre d’innovations technologiques. Pour autant, le marché ne passe pas de l’exceptionnel au néant ! Il revient à un niveau normal pour un territoire de 7 millions d’habitants porté par une dynamique régionale du Delta des Perles, qui est toujours très attractif. Il y aura certainement moins de très grandes infrastructures. En revanche, il y aura toujours des projets d’infrastructures, de nombreux projets dans le domaine hospitalier, dans le domaine du logement, des bureaux, des hôtels... Le dynamisme immobilier est toujours important. La diversité des pays de la région avec pour certains comme Hong Kong, Singapour, l’Australie – des économies matures – pour d’autres comme les Philippines, le Vietnam, l’Indonésie, la Malaisie – des économies en fort développement – et des pays qui s’ouvrent comme le Myanmar, fait que les cycles économiques sont différents d’un pays à l’autre et se complètent les uns et les autres. L’Asie est aujourd’hui un "géant calme" et déterminé !
Un "géant calme" où la concurrence est de plus en plus rude. Quelle est la plus-value d’un groupe comme le vôtre face aux constructeurs locaux ?
Il y a vingt ans, dans la région, nous étions en concurrence sur les grands ouvrages principalement avec des acteurs internationaux coréens, japonais, australiens. Nous avons vu émerger des acteurs locaux, plus forts. Aujourd’hui la concurrence est donc beaucoup plus intense avec ces acteurs locaux qui interagissent sur leur marché local et puis toujours ces grands acteurs internationaux. Cela nous oblige à réfléchir sur notre stratégie afin d’être présents sur ce marché avec des activités pérennes et localisées au-delà du marché de niche des grands ouvrages. Notre défi consiste donc à nous différencier en apportant notre valeur ajoutée.
Quelle est cette stratégie ?
Comme pour la finance et le numérique, le monde de la construction et de l’immobilier s’est mondialisé. Nos investisseurs singapouriens ou hongkongais ont des activités en Australie, en Chine, en Indonésie, en Thaïlande, au Vietnam… Notre valeur ajoutée est d’être capables d’accompagner nos clients en leur apportant la connaissance terrain d’une entreprise intégrée dans l’écosystème local et la capacité d’un grand groupe innovant doté de procédés sécurisant les engagements de qualité, de délais et de prix pour nos ouvrages. Sur le plan technologique, la digitalisation est un sujet très important. Grâce aux nouvelles technologies, nous pouvons par exemple visiter avec des lunettes de données virtuelles l’ensemble d’un bâtiment, voir les fonctions, détecter automatiquement les défauts. L’effet visuel facilite le dialogue, la compréhension de ce qui se passe dans le bâtiment. Ainsi, nous pouvons mieux anticiper, mieux valider mieux finaliser les phases d’études avec le client dans toutes les dimensions du bâtiment, de sa conception jusqu’à son exploitation future. Nous utilisons également des applications numériques dédiées à nos métiers pour coordonner nos corps d’état, lever nos réserves, améliorer la sécurité de nos équipes sur site, localiser des collaborateurs, des stocks, enrichir notre relation client, gagner en productivité et capitaliser nos expériences. Tout cela nous permet d’accélérer nos cycles tout en ayant un niveau de qualité supérieure et en gagnant du temps aussi des études jusqu’à la livraison.
La préfabrication est un axe d’innovation au cœur de votre stratégie ?
Nous pouvons aujourd’hui construire les modules de nos bâtiments au sol sur un terrain dédié et les assembler ensuite sur site. À Singapour, nous venons de terminer dans le cadre du projet Clement Canopy, deux tours de 40 étages avec 505 logements haut de gamme tout en modulaire. Les carcasses béton ont été fabriquées en Malaisie, puis acheminées sur un autre site Bouygues Construction à Singapour, où tous les corps d’états du bâtiment sont intervenus pour équiper ces modules qui ont ensuite été assemblés sur le terrain du client. C’est le record du monde de la tour de grande hauteur en modulaire et nous avons énormément de visiteurs du monde entier qui viennent voir cette réalisation parce qu’elle est tout simplement unique ! La préfabrication est une tendance intéressante dans la plupart des pays de la région, car elle répond à des problématiques clés comme la recherche de productivité, le manque de main-d’œuvre, la qualité, la sécurité de nos collaborateurs ou le respect de l’environnement. Singapour lance de nombreux appels d’offres en modulaire avec des projets encore plus hauts, Hong Kong prépare l’arrivée du modulaire en structurant son industrie pour avec un projet pilote qui sera prochainement financé par le gouvernement. Dans notre métier, l’industrialisation est devant nous. Cela ne veut pas dire que nous construirons tout, à l’avenir, en préfabrication mais nous sommes aujourd’hui capables de faire beaucoup de projets en intégrant ces innovations. Le quatrième axe sur lequel nous travaillons, c’est l’organisation L.E.A.N. avec un dialogue au quotidien entre toutes les parties prenantes d’un projet pour une vraie coordination, davantage de qualité et d’agilité. En associant ces quatre axes, notre potentiel de différenciation par rapport à la concurrence est important et doit nous permettre d’apporter une grande valeur ajoutée à nos clients en restant compétitifs dans cette formidable région pour les années à venir.
Avec les signes de détentes entre des deux Corée, pourrait-on envisager la présence prochaine de Bouygues Construction à Pyongyang ?
Notre ambition est de continuer d’ancrer nos implantations fortes localement dans nos quatre "hubs", Hong Kong, Singapour, Bangkok, Sydney et de continuer à nous développer dans de nouveaux pays comme les Philippines, le Myanmar, le Vietnam ou... le Japon où il y aura peut-être de nouvelles opportunités avec le développement des PPP.