Interview

«La Cité de l’architecture et du patrimoine doit fédérer les énergies et agréger les solutions», Julien Bargeton, président

Le nouveau patron de l’institution parisienne détaille ses ambitions et son programme à la tête d’une équipe dirigeante remaniée.

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Julien Bargeton, arrivé en mai 2024 à la présidence de la Cité de l’architecture et patrimoine (Capa), à Paris (XVIe), souhaite faire de l’institution une « maison commune » au service des maîtres d’ouvrage, des maîtres d’œuvre et de l’ensemble des acteurs du BTP.

La Cité de l’architecture et du patrimoine, située à Paris (XVIe), a fêté les 20 ans de sa fondation l’été dernier. Comment se porte-t-elle ?

La Cité est à ce jour le plus grand musée d’architecture du monde, avec la plus grande bibliothèque d’architecture contemporaine en Europe – près de 60 000 ouvrages – et l’un des plus beaux centres d’archives, fort de 10 km de rayonnages ! C’est également une école, avec Chaillot, ainsi qu’un lieu de réflexion et de prospective autour de la création architecturale. C’est donc un endroit prodigieux, qui doit être encore davantage connu. Pour ce qui est de l’anniversaire, je retiens plutôt la date de 2027, pour les vingt ans de son inauguration. J’aimerais présenter alors une grande exposition sur le logement et sur la façon d’habiter. Nous serons a priori en plein débat pour l’élection présidentielle et il serait bien que la Cité s’engage sur ce thème.

Qu’avez-vous prévu pour la saison 2025-2026 ?

La programmation détaillée sera présentée courant janvier mais, d’ores et déjà, je peux vous annoncer une exposition sur le mur de Berlin, une autre sur les jardins en ville, sur l’Art déco pour les 100 ans de l’exposition internationale de 1925, sur les Dix quartiers de demain lancés par le président de la République et sur les lauréats des Albums des jeunes architectes et paysagistes (Ajap). Pour 2026, nous imaginons une manifestation autour de l’Ukraine et des conséquences des guerres sur le patrimoine. Avant cela, courant 2025, nous rendrons hommage à Jean-Louis Cohen (1949-2023), à qui avait été confiée, en 1997, la mission de préfiguration de la Cité. Nous organiserons un colloque et donnerons son nom à notre bibliothèque.

La Cité doit être le lieu où s’exposent les débats - et les controverses - qui agitent le monde de l’architecture et du patrimoine.

Qu’est-ce qui a motivé votre candidature au poste de président ?

Ce qui me motivait pour ce lieu, c’est que j’y venais enfant, lorsqu’il s’appelait encore le « Musée des monuments français ». Ma sœur m’y avait entraîné parce qu’elle avait une amie qui y travaillait dans les années 1990. On peut le dire : c’était un peu poussiéreux avant la rénovation de 2004. Ce qui m’a plu dans cet établissement, c’est qu’il ne s’agit pas d’un musée, mais bien d’une cité, c’est-à-dire un ensemble de cinq départements où l’on travaille, de manière transversale, à construire des ponts entre le passé, le présent et l’avenir. J’ai présenté mon projet autour des territoires, du numérique et de l’idée d’un laboratoire, d’une « maison commune », d’une plate-forme au service de l’écosystème de l’architecture et du patrimoine.

En quoi votre parcours professionnel vous aidera-t-il dans vos tâches ?

Dans ma vie, j’ai été sénateur de Paris, vice-président de la commission « Culture » du Sénat, et je suis magistrat à la Cour des comptes. Comme natif de Paris et habitant de la capitale, j’ai toujours eu un appétit pour l’architecture de cette ville, pour ses immeubles… J’ai développé un goût pour les politiques culturelles, comme adjoint à la culture dans le XXe arrondissement de Paris. Puis, en tant qu’adjoint au maire de Paris chargé des transports, de la voirie et des déplacements ; les liens avec l’espace public et l’architecture étaient très forts. Ensuite, aux finances, j’ai participé notamment à tous les jurys de « Réinventer Paris », qui posaient la question des grands équilibres des opérations d’urbanisme.

Vous évoquiez précédemment les territoires. Comment comptez-vous les impliquer ?

Effectivement. Ils constituent une dimension importante de mon mandat. Tout d’abord, je souhaiterais consacrer un poste à l’animation territoriale au sein de l’établissement. Ensuite, j’aimerais organiser des rencontres décentralisées, à savoir aller durant deux jours dans un territoire rural, périurbain ou urbain afin d’y réunir tous ceux intéressés par les sujets liés à l’architecture et au patrimoine : conseils régionaux de l’ordre des architectes, maisons de l’architecture, conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement, écoles nationales supérieures d’architecture, directions régionales des affaires culturelles, etc. L’idée consiste à voir les expériences sur le terrain pour s’en inspirer. A l’inverse, j’aimerais que la Cité accueille régulièrement les élus et leurs associations pour qu’ils s’y sentent chez eux. Nous pourrions les inviter à présenter, en compagnie d’un architecte et d’un maître d’ouvrage, un projet réalisé sur leur territoire, et expliquer ce qui l’a nourri.

Votre mandat comporte également un volet numérique. En quoi consiste-t-il ?

En 2025, nous ouvrirons un portail numérique qui regroupera l’ensemble des collections, de la bibliothèque et des archives. Vous pourrez, par exemple, effectuer une recherche sur Auguste Perret et trouver tout ce qui existe dans notre base documentaire : maquettes, archives, ouvrages, etc. Par ailleurs, nous travaillons sur la réalité virtuelle, et j’aimerais renforcer notre partenariat avec Dassault Systèmes qui a réalisé, à la Cité, les jumeaux numériques de la grotte de Lascaux, de Notre-Dame de Paris et, récemment, du pavillon français à l’Exposition universelle 2025 d’Osaka. A plus long terme, j’aimerais travailler avec le ministère de la Culture sur la numérisation du patrimoine bâti des XXe et XXIe siècles afin qu’il soit possible, via un smartphone, d’en savoir plus sur un bâtiment, sa date de construction, son architecte, etc. Aujourd’hui, les grandes plates-formes digitales s’y intéressent et il ne faut pas les laisser occuper seules ce marché.

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Julien Bargeton, président de la Cité de l’architecture et patrimoine à Paris (XVIe) Julien Bargeton, président de la Cité de l’architecture et patrimoine à Paris (XVIe)

« Il nous faut repenser un parcours muséographique, historique et thématique plus fluide », estime le président de la Capa.

Comme son nom l’indique, la Cité agrège l’architecture et le patrimoine. Quels liens voyez-vous aujourd’hui entre les deux ?

Disons que le « mur de Berlin » qui séparait ces deux mondes est en train de se fendiller et de tomber peu à peu. Ce qui est une très bonne chose ! Environ la moitié des projets actuels se fait dans des bâtiments existants, donc le lien entre architecture et patrimoine est beaucoup plus étroit. Les jeunes générations d’architectes, d’architectes en chefs des monuments historiques (ACMH) et d’architectes des bâtiments de France (ABF) dialoguent mieux entre elles dans la mesure où elles portent toutes un intérêt particulier envers le patrimoine. Nous ne sommes plus dans la situation où un concepteur réalise un geste architectural en venant poser son bâtiment. Les enjeux écologiques nous ont fait changer de modèle. Le rôle de la Cité est aussi d’assurer le passage de relais entre les différentes générations. Elle doit être le lieu où s’exposent les débats - et les controverses - qui agitent le monde de l’architecture et du patrimoine.

Un bâtiment peut avoir plusieurs vies, comme le titrait une exposition présentée il y a dix ans dans vos murs. Est-ce d’autant plus vrai à présent, avec l’affirmation de la transition écologique ?

La question de la restauration, de la réhabilitation et de la réutilisation du patrimoine est au cœur de l’enseignement dispensé par l’École de Chaillot. La France possède quantité de bâtiments à rénover, notamment dans le cadre de travaux d’amélioration thermique. Néanmoins, il est difficile d’imaginer avoir 36000 musées dans nos communes... Est-ce qu’une église, un bâtiment fortifié ou une ferme peut devenir une résidence pour personnes âgées, un café-épicerie ou tout autre tiers-lieu ? Un patrimoine sauvé est souvent un patrimoine utilisé. Voyez, par exemple, comment les hôtels particuliers parisiens ont été transformés au fil du temps en bureaux ministériels, et vivent depuis une deuxième vie.

Un patrimoine sauvé est souvent un patrimoine utilisé.

Côté budget, quelle est la situation financière de l’établissement ?

Nous sommes à l’équilibre mais, comme pour tous les grands équipements culturels, il faut faire attention à le maintenir.

Le ministère de la Culture nous accompagne bien, malgré une baisse de subventions en 2024. Pour 2025, j’attends le vote du Parlement… Nous sommes un établissement public à caractère industriel et commercial, ce qui nous donne une certaine souplesse. Nous essayons d’attirer des partenaires et des mécènes pour disposer de nos propres ressources et pouvoir ainsi développer une programmation pertinente et juste. Le tout en conservant notre indépendance scientifique, intellectuelle et culturelle. Nous souhaitons aussi faire revenir au tour de table les promoteurs immobiliers, les grands maîtres d’ouvrage, les entreprises publiques et les acteurs du BTP, ce qui n’est pas facile vu le contexte économique. Plus largement, la Cité doit s’ouvrir à tous. Et je souhaite vraiment jouer le rôle de fédérateur d’énergies et d’agrégateur de solutions.

Depuis votre prise de fonction en mai dernier, une nouvelle équipe est arrivée à vos côtés. Quelle est-elle ?

Une équipe, c’est une alchimie. Il y faut différentes générations, différents parcours, de la parité. Marie Ameller, directrice générale déléguée, Violaine Pattée-Suquet, directrice générale déléguée adjointe, Jean-Roch Bouiller, directeur du musée, et Jean-Marc Zuretti, directeur de l’École de Chaillot, seront amenés à mettre en œuvre et animer les projets que j’ai évoqués. Quant à Francis Rambert, actuel chef du département de la création architecturale, il quittera son poste cette année. Il aura beaucoup apporté en termes de critique architecturale. C’est une sommité qui sera difficile à remplacer.

Des idées fortes ont-elles d’ores et déjà émergé ?

Il nous faudra repenser un parcours muséographique historico-thématique plus fluide, à l’aide de nouveaux cartels, d’une nouvelle présentation dans les galeries des moulages et d’architecture moderne et contemporaine, du développement du numérique, etc. Pourquoi ne pas imaginer aussi des sonorisations, des projections lumineuses, des interventions artistiques ? Il faut s’appuyer sur ce qui marche bien dans les expositions temporaires : maquettes, photos, vidéos, plans, tout ça ensemble. Il faut magnifier les maquettes, bien les expliquer. Je souhaite également installer un cycle de manifestations autour de la littérature inspirée par l’architecture. Je pense naturellement à Maylis de Kerangal, avec « Jour de ressac » et « Naissance d’un pont », mais aussi à « Cabane » d’Abel Quentin et – plus polémique – à Jean-Noël Orengo avec « Vous êtes l’amour malheureux du Führer » au sujet d’Albert Speer, architecte nazi et ministre de l’Armement du IIIe Reich. Enfin, nous devons participer aux grandes manifestations comme Art Basel Paris, ainsi qu’à la Nuit de la lecture, la Fête de la musique, etc.

Vaste programme et vastes ambitions… Comptez-vous effectuer un second mandat ?

Il faut déjà que je réussisse le premier ! Le mandat est trop court… Trois ans n’y suffiront pas. A l’origine, je le rappelle, il était de cinq ans. Je dois montrer des premiers résultats rapidement, et je ne peux faire que trois mandats au maximum. Sur des sujets comme l’intelligence artificielle, le BIM, il nous faut être au service des professionnels. Nous sommes dans le champ culturel, mais il y a aussi tout un système économique de l’architecture et un champ professionnel : Ordre, Académie, Mutuelle des architectes français (MAF), assurances, syndicats, Compagnie des architectes en chef des monuments historiques, architectes des bâtiments de France, etc. Tout en étant autonomes dans notre programmation et nos choix scientifiques, nous devons être le « bras armé » du ministère de la Culture sur ces sujets. Alors, pour vous répondre : oui, je souhaite être de nouveau nommé en 2027, à condition, bien sûr, que je réussisse ce premier mandat.

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