Interview

«L’Ordre des architectes a une mission de veille sur les projets de loi et sera vigilant», Christophe Millet, nouveau président du Cnoa

Rappeler que les architectes sont des acteurs clés et compétents de l’aménagement, de la transition écologique mais aussi de la définition des politiques publiques, tels sont les enjeux qui figurent sur la feuille de route que le nouveau président du Conseil national de l’ordre des architectes (Cnoa) s'est fixé pour les trois ans à venir. Professionnel attaché au rôle des territoires, Christophe Millet affirme que l’Ordre continuera de porter les valeurs et les engagements contenus dans le plaidoyer «L’architecture comme solution» de 2022.
 

Réservé aux abonnés
Christophe Millet, président Cnoa 2024
Après son élection à la présidence du Conseil national de l'Ordre des architectes, Christophe Millet livre sa feuille de route au «Moniteur».

Avant d’être élu président de l’Ordre, le 13 juin dernier, vous étiez déjà conseiller national. Mais un conseiller assez discret semble-t-il ?

Depuis trois ans, j’ai tenu un rôle plutôt institutionnel, en tant que trésorier au bureau du Conseil national. A ce titre, j’ai beaucoup œuvré pour la démarche de territorialisation de l’Ordre, au travers de la réforme des dotations des Conseils régionaux de l’ordre des architectes (Croa). Elle a consisté à leur donner les moyens nécessaires pour que l’institution offre partout une qualité de service équivalente.

Il s’agissait alors de permettre à chaque ordre régional de porter, partout, le nouveau projet sociétal national, publié en 2022. Ce plaidoyer «Habitats, villes, territoires. L’architecture comme solution» avait été conçu collectivement par des conseillers nationaux et régionaux. Il fallait que ces derniers puissent en diffuser les enjeux et les propositions auprès de leurs interlocuteurs et soient en mesure de réfléchir avec eux à des solutions en phase avec leur territoire. Dans ce processus, j’ai représenté une forme d’animateur des ordres régionaux.

Cet ancrage territorial est-il important pour vous ?

J’ai un pied dans l’institutionnel et dans la pratique. J’ai aussi un pied dans la ruralité et dans l’urbain.

—  Christophe Millet

J’ai un pied dans l’institutionnel par mon engagement à l’Ordre, mais aussi dans la pratique puisqu’avec mon associé Yassine Bouziane, nous avons fondé notre agence d’architecture [NDLR. Bamaa] à Lyon en 2010. Par ailleurs, personnellement, j’ai un pied dans la ruralité et dans l’urbain puisque je suis né en Saône-et-Loire et y suis toujours très attaché, et que je vis dans le centre de Lyon.

Alors que vous succédez à Christine Leconte qui a su donner à l’architecture une plus large place dans le débat public, quels sont vos propres objectifs ?

Ce travail mené par Christine Leconte et son équipe ne disparaîtra pas. Le Conseil national renouvelé continuera de diffuser le projet sociétal que j’évoquais plus haut dans la sphère publique. Ce plaidoyer est d’ailleurs le ciment entre tous les membres du Conseil, d’autant que certains d’entre eux ont contribué à son élaboration quand ils étaient élus régionaux.

Je porte aussi la volonté que ce mandat soit le moment d’une réconciliation entre l’Ordre et tous les acteurs de l’aménagement du territoire : syndicats, les organisations d’aménageurs, les promoteurs et surtout les architectes. Nous devons constituer un groupe homogène pour porter des valeurs d’intérêt général. D’autant que, si au niveau des institutions, on ne dialogue pas toujours, les professionnels se parlent déjà sur le terrain.

En tête des enjeux majeurs de votre mandat, vous placez l’écologie. Faut-il encore inciter les architectes à construire moins ?

Les architectes ont déjà l’intime conviction qu’il y a urgence à agir. De plus, ils sont formés, compétents et donc légitimes pour faire avec le déjà-là. Les chiffres montrent qu’une grande majorité d’entre eux mènent des projets de réhabilitation.

Aujourd’hui, ce sont les pouvoirs publics qu’il faut convaincre de construire moins.

—  Christophe Millet

Aujourd’hui, ce sont les pouvoirs publics qu’il faut convaincre de construire moins. Il faut les amener à considérer, à leur tour, le déjà-là, à cesser de privilégier les opérations de démolition-reconstruction. Pour reprendre les termes de Christine Leconte, les décideurs doivent arrêter de faire de la ville facile. La réhabilitation est le matériau de demain.

Vous entendez aussi agir sur la «fragilité de la profession». De quelle fragilité parlez-vous ?

On observe aujourd’hui une crise de confiance globale envers les professions libérales et en ce qui concerne les architectes, cela passe par une limitation de leur champ d’intervention. Il en va ainsi des modèles de passation de marchés publics, et notamment du recours à la conception-réalisation.

Ces procédures se traduisent pour nos confrères par une capacité limitée à œuvrer pour l’aménagement du territoire et une perte de leur indépendance dans leur pratique quotidienne. En découlent une précarisation de la profession mais aussi un certain découragement. A nous de rappeler à tous que l’architecture est protégée par la loi de 1977 et, par là, d’aider ses acteurs à reprendre confiance.

Dans le communiqué annonçant votre élection, l’enjeu de la «crise politique» est mentionné. Faites-vous directement référence aux conséquences du résultat des élections européennes et de la dissolution de l’Assemblée nationale ?

Les questions soulevées par les crises politique mais aussi géopolitique actuelles ne peuvent nous échapper. La situation internationale et notamment la guerre en Ukraine ont suscité une crise des matériaux et de l’énergie qui ont fait que les nouvelles réglementations en matière de transition écologique n’ont pas eu les effets escomptés. Ainsi, je me souviens que quand la RE2020 a été discutée, il y avait eu un élan, une envie d’aller encore plus loin et plus vite. Mais nous sommes finalement restés au niveau des seuils planchers de la réglementation.

Tout le travail que nous avions mené sur les textes législatifs en cours de discussion va peut-être devoir repartir de zéro.

—  Christophe Millet

Quant à la situation de politique intérieure actuelle, je tiens à rappeler que l’Ordre à une mission de veille législative. Il est dans ses prérogatives d’observer le travail parlementaire, d’analyser les projets de loi et de faire les propositions qui nous semblent aller dans le sens de l’intérêt général. Nous devons faire en sorte que l’esprit de la loi sur l’Architecture de 1977 soit préservé.

Or aujourd’hui, tous les travaux parlementaires sont suspendus et ce au moins, jusqu’au 8 juillet. Tout le travail que nous avions mené sur les textes en cours de discussion [NDLR. Par exemple, le projet de loi de simplification de la vie économique] va peut-être devoir repartir de zéro et il faudra reprendre les discussions avec des élus que nous ne connaissons pas. Il nous revient d’être vigilants.

Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires