L’obésité commerciale continue à ronger la France

Les friches commerciales poursuivent leur croissance, tandis que les supermarchés de moins de 1000 m2 prolifèrent toujours aux portes des villes. Le Sénat a pris la mesure de cette réalité têtue et documentée par les experts invités à sa table ronde, le 3 février au démarrage de sa mission de contrôle sur la revitalisation des centres villes et centres-bourgs.

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La zone commerciale de Pierres à Maintenon (Eure-et-Loire).

L’appareil commercial français souffre d’une obésité croissante : « Le chiffre d’affaires moyen s’élevait à 11 000 euros par m2 en 2000, contre 7 000 en 2020. Pendant ce temps, les loyers n’ont pas cessé d’augmenter. Les commerçants dépensent de plus en plus pour vendre de moins en moins », diagnostique Pascal Madry, président de l’Institut de la ville et du commerce (IVC), qui rassemble des collectivités et des entreprises du secteur.

Record français

Invité le 3 février à la table ronde de lancement de la mission sénatoriale de contrôle sur la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, l’expert ajoute au tableau le choc de l’e-commerce : « Une plate-forme Amazon de 100 000 m2 génère 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires, soit autant que 500 moyennes surfaces ou 100 000 boutiques de centre-ville ».

Conséquence imparable de la conjonction entre la suroffre et la mutation technologique : « La vacance va continuer à augmenter », pronostique Pascal Madry. Alors que les politiques qui s’attaquent au phénomène se focalisent sur les cœurs des villes petites et moyennes, aucun territoire n’y échappe : « A 11 %, la vacance commerciale de Paris rejoint celle de Vierzon », constate le président de l’IVC. Ce score avoisine la moyenne nationale calculée par le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) dans ses rapports de 2016 et 2017 : 10 % en 2015, contre 6 % en 2001. Cerise sur le gâteau amer : « Nos voisins s’en tirent mieux que nous », remarque Pierre Garring, co-auteur de ces rapports.

Coup de frein trompeur

Le prix du foncier rural aggrave le gaspillage des emprises, comme le démontre Alban Galland, sous-directeur du commerce, de l’artisanat et de la restauration, à la direction générale des entreprises au ministère de l'Économie et des Finances : « Jusqu’ici, construire neuf en plein champ revient toujours moins cher que d’agrandir un magasin sur un site déjà aménagé ».

Certes, le coup de frein sur les méga-centres commerciaux donne l’impression que la vague d’implantations périphériques s’est tarie. Mais ces grands arbres morts cachent une vigoureuse forêt de jeunes pousses de moins de 1000 m2, seuil sous lequel les investisseurs peuvent se dispenser du passage par les commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC). Même au-dessus, le stock de projets continue à s’écouler à bas bruit : « 90 % des passages en CDAC aboutissent à des acceptations », note Pierre Narring.

Obstacle européen

Que faire ? Les élus se sentent d’autant plus démunis que « la cour européenne de justice a jugé contraires au droit communautaire les études sur l’impact économique des nouvelles implantations sur le tissu existant », rappelle Rémy Pointerau (Les Républicains   Cher), président de la mission sénatoriale de contrôle sur la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs lancée le 3 février. Une fenêtre reste toutefois entrouverte, à en croire Pierre Narring, qui propose « d’ajuster la loi Elan pour la rendre compatible avec des analyses d’impact conformes au droit européen ».

Mais à l’heure de son démarrage, la mission co-pilotée par les délégations sénatoriales aux collectivités territoriales et aux entreprises privilégie une autre piste, facilitée par l’objectif national de lutte contre l’artificialisation des sols : celle de la rigueur dans la rédaction des documents d’urbanisme réglementaire. « Pour réguler la densité, un maire n’a pas le droit de dire : « Je ne veux pas un troisième magasin de bricolage ». Mais son plan local d’urbanisme peut aboutir au même résultat », abonde Alban Galland.

Nouveaux objets

Présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités locales, Françoise Gatel esquisse les orientations : « Nous sommes sortis de la problématique de l’endiguement pour entrer dans celle de la rétention du reflux. Il nous faudra accompagner le recyclage pour éviter les déserts commerciaux dans les territoires ruraux comme dans les cœurs de villes moyennes ».

En même temps que la décrue des vieux concepts, les collectivités se préparent à gérer les nouveaux objets commerciaux : « Quelle place donner aux interfaces qui remplacent les magasins physiques, aux drives ou aux casiers de consignes qui génèrent une mobilité additionnelle, tant pour les commerçants que pour les consommateurs » ? Aucun doute : la question posée par Pascal Madry donnera du grain à moudre aux générations montantes d’architectes, d’urbanistes et de paysagistes.

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