L’IA générative, nouvel horizon de la protection contre les chutes de blocs

Le directeur général de Géolithe imagine les apports de l’IA dans la gestion des risques rocheux. Une évolution spectaculaire mais qui interroge la profession.

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L'intelligence artificielle pourra aider les ingénieurs à mieux gérer les risques rocheux. A condition d'apprendre rapidement à travailler avec celle-ci, sans pour autant lui abandonner le savoir et les compétences techniques. ici, la chute de blocs sur la RN 90, en Savoie, en février 2025.

« L’intelligence artificielle est en train de bouleverser nos méthodes de travail, et notre profession doit monter dans ce train en marche sous peine de prendre du retard », pose Jean-Philippe Jarrin, directeur général responsable de la région Rhône-Alpes chez Géolithe. Le géotechnicien intervenait lors d’une journée consacrée à l’IA dans le cadre du projet national C2ROP2 (chutes de blocs, risques rocheux et ouvrages de protection, deuxième édition) pour laquelle il s’est essayé à un peu de prospective. Imaginez…

Modèle multi-agents coopératif

En 2028, dans une vallée pyrénéenne, un versant instable menace une route transfrontalière. Deux solutions sont envisageables : une galerie pare-blocs, efficace mais avec un fort impact carbone ; ou un merlon construit avec des matériaux locaux, couplé à des écrans de filets et des déflecteurs. La zone étant située dans un parc naturel, l’impact paysager et environnemental doit être minimisé. « Le bureau d’études va utiliser une plateforme IA basée sur un modèle multi-agents coopératif, c’est-à-dire qu’un ensemble d’agents virtuels spécialisés vont collaborer pour optimiser la conception », explique Jean-Philippe Jarrin.

Agent génératif, environnement, risque, coût-délai…

Ainsi, « un agent génératif propose des configurations qui varient suivant l'emplacement, la hauteur, le type d’ouvrage et le matériel tout en respectant les contraintes du terrain. Un agent environnement évalue le bilan carbone et l’impact écologique de chaque configuration, grâce aux données de l’Office français de la biodiversité et des associations locales. Un autre agent, risque cette fois, simule l’efficacité des deux solutions. Enfin, un agent coût-délai estime les besoins en ressources et la durée du chantier », liste le directeur général de Géolithe.

Des plans, métrés et indicateurs d’impact

Ces agents échangent ensuite leurs résultats jusqu’à converger vers trois solutions équilibrées en termes de sécurité, de coûts et d’écologie. Un autre dédié au paysage réalise ensuite une simulation des trois solutions et le résultat est présenté aux ingénieurs sous forme de plans, de métrés, d’indicateurs d’impact, pour permettre une décision finale. Ainsi, l’ouvrage proposé assurera la protection requise, sans compromis sur l’environnement, avec une empreinte écologique fortement réduite, moins de matériaux, une intégration améliorée, tout en prenant en compte la complexité écosystémique du site.

Réalité augmentée et assistant IA

Un autre bond dans le futur ? « En 2029, un géologue se rend sur le site d’un éboulement équipé de lunettes de réalité augmentée et interroge un assistant IA », commence Jean-Philippe Jarrin. Celui-ci reconnaît les discontinuités visibles sur la roche et accède aux événements passés à proximité dans un contexte similaire. Il détecte une zone ouverte d’une quinzaine de mètres en amont, calcule une probabilité de mouvements élevée etaffiche dans le périmètre de vision de l’ingénieur un halo rouge pulsé, conseillant à celui-ci de ne pas monter pour inspecter la zone en raison du niveau de risque. Des annotations apparaissent : taille des fissures, évolution, profondeur… L’IA génère ensuite des suggestions d’actions : installer un capteur de déplacement ou prévoir un confortement pour lequel elle proposera une implantation et calculera les ancrages nécessaires.

Solutions non intuitives

Tout cela vous semble relever du dernier opus de Mission : impossible ? Et pourtant. « Les évolutions technologiques sont très rapides », souligne le responsable de Géolithe, pour qui « l’IA générative présente bien le potentiel d’accélérer et d’améliorer chaque étape de la gestion des risques naturels, de la prévention à la réaction post-crise, d’aller plus loin dans la conception avec des solutions non intuitives, de traiter des problèmes plus complexes en manipulant des quantités de données considérables. » Reste à savoir comment intégrer cette utilisation des algorithmes dans la filière.

La question de la responsabilité

Les obstacles sont nombreux : d’abord la gestion des données, qu’il faudra trouver en quantité, qualifier, homogénéiser et partager. Puis la fiabilité des modèles. « Il est crucial que les génératifs deviennent un atout collectif, et non une simple collection de gadgets isolés », avertit Jean-Philippe Jarrin. Se posent également des questions d’éthique et de responsabilité : qui est responsable si l’IA donne une recommandation entraînant un accident ? Il faudra donc établir des règles spécifiques à la profession. Responsabilité encore, l’impact environnemental lié à l’utilisation de l’IA qui demandera de sélectionner les cas pour lesquels son utilisation est pertinente et ceux pour lesquels une approche classique suffira.

Place de l’humain

Et l’humain dans tout ça ? « L’ingénieur de demain devra alimenter et nettoyer les données du modèle, se faire interprète et décideur, validant ou rejetant les propositions, jusqu’à signer la décision », estime le directeur général de Géolithe. Cette évolution préoccupe cependant l’auditoire. « ChatGPT donne déjà aux étudiants le sentiment que la connaissance est dans la machine et qu’il n’est donc pas nécessaire de l’avoir dans la tête, s’inquiète un enseignant. Comment continuer à leur transmettre du savoir ? »

Evolution intellectuelle

Un autre participant s’alarme : « ce qui est stimulant dans nos métiers, c’est de chercher la bonne idée, de trouver la solution, mais dans tous ces exemples, la solution est donnée par l’IA ». « L’humain jouera toujours un rôle crucial, notamment dans l’amélioration et l’enrichissement des propositions, rassure Jean-Philippe Jarrin qui insiste sur la nécessité d’apprendre à travailler avec l’IA en formulant au mieux les questions qui lui sont adressées et en allant au-delà des réponses qu’elle fournit. Un nouveau cheminement intellectuel indispensable à la révolution qui a commencé.

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