l’Europe provoque Bruxelles

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
PHOTO - schema.eps

Cinq visions de l’Europe défendues par cinq équipes invitées à développer une stratégie de restructuration de la rue de la Loi à Bruxelles, zone levier du schéma directeur du quartier européen dont la densité doit progressivement passer de 490 000 m2 à 880 000 m2. Une double écriture – à la fois à l’échelle de l’Europe et d’un morceau de ville – qui devait s’inscrire dans un contexte foncier extrêmement complexe et morcelé (176 propriétaires pour 10 îlots et 72 bâtiments), retenu très majoritairement par des maîtrises d’ouvrage privées. De l’acuité de l’analyse foncière et du mode d’intervention dans l’existant abordé par les architectes dans toute son épaisseur tant architecturale, notariale, patrimoniale, qu’économique, devait alors s’imposer un projet d’espace public résistant, plan de pression face aux logiques de marché et support d’une possibilité citoyenne. L’axe historique et structurel le long duquel se déploie cette rue mono fonctionnelle évitée par les piétons revêt aujourd’hui un enjeu politique affiché.

L’Atelier Christian de Portzamparc, lauréat de cette compétition devant OMA (Rem Koolhaas) et NFA (Nicolas Firket), Xaveer de Geyter, JDS (Julien De Smet) et le Studio Associato Secchi-Vigano et enfin, Fletcher Priest (Jonathan Kendall). Tous ont livré des propositions d’une clarté rare, peut-être en réactions aux contradictions du cahier des charges parfois relevées par les architectes. La plus étonnante concerne la faisabilité de la demande des pouvoirs publics, à savoir produire le master plan d’un territoire occupé très majoritairement par des promoteurs privés et dont il est aujourd’hui très délicat d’en mesurer le dynamisme ou l’inertie. Se demander en creux quel projet urbain pourra-t-il quand même se produire si le marché immobilier ne joue pas le jeu, pouvait donc être une manière lucide de problématiser cette compétition. Celle-ci, dont le succès repose sur la malléabilité de la ville existante, du foncier et de son modèle économique, relève d’une initiative conjointe de la Région de Bruxelles-Capitale, la ville de Bruxelles et la Commission Européenne. La Commission, propriétaire du seul îlot B délimité par la Chaussée d’Etterbeek, la rue de Spa et la rue de la Loi est actuellement dispersée dans l’est de la ville, sur cet îlot B – lequel fera ultérieurement l’objet d’un concours d’architecture – et dans le quartier européen. Elle occupe 45 bâtiments dont le Berlaymont et le Charlemagne mais aussi de petites unités tertiaires disséminées. L’implantation de ces institutions s’est effectuée sans réflexion, de manière purement quantitative. Elle marque aujourd’hui la volonté de stopper cette dispersion et de se recentrer sur la rue de la Loi, axe structurel, facilement accessible en transport en commun, parcouru en sous sol par la plus importante ligne de métro et devant se doter d’un RER d’ici 2 017 qui liera directement le quartier européen à l’aéroport et aux axes ferroviaires. Le nouveau tunnel Schuman-Josaphat, actuellement en chantier, en sera l’un des principaux maillons. La vision d’ensemble du quartier européen sera donc rétroactive.

Urbanisme du vide

Le programme de restructuration de la rue de la Loi – laquelle s’étend sur 700 m entre le parc de Bruxelles et le parc du Cinquantenaire avec des bâtiments élevés à R 6 en moyenne – porte sur le doublement progressif de sa densité, étalé sur environ 20 ans. La Commission veut passer de 170 000 m2 à 400 000 m2 de bureaux avec un centre de conférence de 30 000 m2. 110 000 m2 de logements sont à créer ainsi que 40 000 m2 de commerces et équipements. Si le nombre de mètres carrés de bureaux doit augmenter sur la rue de la Loi, il doit inversement diminuer dans le reste du quartier. La commission doit en effet quitter 230 000 m2 qui devraient être transformés en logements. Le désir de mixité fonctionnelle mais aussi sociale est évoqué et les pouvoirs publics espèrent qu’un travail de couture va s’organiser dans ce quartier historiquement de haute bourgeoisie. Mais faudra-t-il attirer la population sur cet axe aujourd’hui très peu fréquenté par les piétons. Une piste soulevée par le dernier schéma directeur, a consisté à réfléchir à la tunnellisation d’une partie de la rue de la Loi qui profite de 3 niveaux de parking peu rentabilisés, pour y enfouir la circulation et convivialiser la surface. Une étude technique préalable a été soumise – sans grande conviction toutefois – à chacune des équipes leur laissant le choix d’apprécier la validité d’une telle décision. Cette solution a été retenue par les équipes OMA/NFA et Xaveer de Geyter. A partir d’une analyse foncière très pragmatique, la première a travaillé sur un urbanisme du vide, sélectionnant scrupuleusement les rares parcelles exploitables, s’appuyant sur les possibilités de négociations avec les propriétaires. La tunnellisation de la rue de la Loi au même titre que la production construite – sous forme de portiques – ont été envisagées comme des outils de création d’espaces publics. La proposition de Xaveer de Geyter affiche elle aussi une grande limpidité encouragée par une approche foncière très réaliste, également. Mais outre le constat de la faible intervention possible sur les îlots, cette équipe s’appuie sur les qualités urbaines de ce quartier, son « identité européenne » dues à sa morphologie, ses juxtapositions brutales, son rapport échelle de la rue et densité. Elle propose de concentrer son action sur un seul bloc à haute densité (d’environ 200 x 200 m). L’équipe JDS-Secchi-Vigano défend pour sa part l’idée qu’au vu du découpage du foncier et de l’incertitude du marché, nul ne peut arrêter une décision sur la mutation du quartier, laquelle se situerait entre la stratification et la table rase. Il en reviendrait donc aux pouvoirs publics – suivant des critères émis par les architectes – de déplacer ce curseur dans le temps. Le cabinet Fletcher Priest développe un projet de densification du quartier Saint-Josse, au nord de la rue de la Loi. La proposition de l’équipe lauréate, celle de Christian de Portzamparc, est peut-être la plus optimiste dans sa manière d’envisager la gestion des îlots et des multipropriétés. Forte de son expérience à Manhattan et dans le quartier Masséna à Paris, l’équipe propose un travail phasé pour passer de la rue-corridor à l’îlot ouvert, édictant des règles simples sur des gabarits gigognes. Cette nouvelle perméabilité, liée à une forte collaboration des promoteurs, repose sur l’intégration d’espaces publics, de nouvelles possibilités constructives et le raccord aux quartiers résidentiels au nord et sud de la rue de la Loi à laquelle elle lui rend sa réversibilité. L’atelier augure une «manhattanisation» de la rue et une augmentation de la pression foncière dès lors que la Commission Européenne s’imposera. Mais comment scénariser un tel découpage du foncier quand 18 propriétaires en moyenne occupent chaque îlot, qu’aucun budget d’expropriation ne sera débloqué sur ce secteur et qu’à en croire les coupures de presse, les promoteurs semblent bien sceptiques – tel est certes aussi leur jeu – sur la projection d’un tel engouement sur la rue de la Loi. La densité rêvée par les trois initiateurs de cette compétition couplée au rêve que la ville et l’Europe se produisent sur un sol commun, est pour l’instant difficile à concevoir. Demeure une énigme : qu’un territoire amené à être télévisé fasse symbole public et transcende la réalité d’un site divisé qui semble pour l’instant gelé par le pouvoir de ses logiques internes.

Image d'illustration de l'article
PHOTO - schema.eps PHOTO - schema.eps

Image d'illustration de l'article
PHOTO - Gouguel RueDeLaLoi.eps PHOTO - Gouguel RueDeLaLoi.eps

Image d'illustration de l'article
PHOTO - schema.eps PHOTO - schema.eps

Image d'illustration de l'article
PHOTO - schema.eps PHOTO - schema.eps

Image d'illustration de l'article
PHOTO - schema.eps PHOTO - schema.eps

Image d'illustration de l'article
PHOTO - schema.eps PHOTO - schema.eps
Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !