Devant le juge administratif, les moyens allégués par le requérant pendant le délai de recours contentieux cristallisent le débat pour la suite (CE 20 février 1953, « Société Intercopie », n° 9772). Après l’expiration du délai de recours, il ne peut donc pas invoquer des moyens relevant d’une cause juridique nouvelle. Le Conseil d’Etat rappelle ces règles dans deux arrêts du mois de décembre 2015, et en profite pour les ajuster au bénéfice des parties.
Cause juridique : l’exécution du même contrat
Publié au recueil Lebon1, le premier arrêt portait sur un litige relatif à l’exécution d’un marché public de travaux (CE, 16 décembre 2015, n° 373509). Le Conseil d’Etat y a réaffirmé sa jurisprudence (CE, 29 septembre 2000, « Société Dezellus Métal Industrie », n° 186916) tout en la complétant. Si la partie défenderesse en première instance fait appel du jugement du tribunal administratif, elle doit énoncer la ou les causes juridiques sur lesquelles elle compte fonder son appel et ce, dans le délai pour faire appel2. A l’expiration de ce dernier, elle ne pourra invoquer que des moyens reposant sur la ou les mêmes causes juridiques initiales. La haute juridiction tempère ces règles procédurales – telle est la nouveauté – pour le défendeur en première instance qui n’a pas formé l’appel (l’intimé) ou a introduit un appel incident. Celui-ci peut alors invoquer tout moyen pour la première fois à condition que ses conclusions ne portent pas sur un litige distinct de l’appel principal. Ainsi, le moyen allégué en appel relatif à l’indemnisation du préjudice lié au retard de démarrage du chantier et à la révision du prix du marché se rattache à la même cause juridique que le moyen de première instance lié au caractère forfaitaire du prix du contrat. Le Conseil d’Etat estime qu’ils concernent tous deux l’exécution du même marché public de travaux.
Cause juridique : la responsabilité contractuelle de l’assureur
Mentionné aux tables du recueil Lebon3, le second arrêt du Conseil d’Etat portait sur un litige entre un maître d’ouvrage public et son assureur (CE, 23 décembre 2015, n° 376527). En l’espèce, des dispositions du Code des assurances imposaient de faire figurer dans le contrat d’assurance dommages-ouvrage une clause prévoyant la communication du rapport de l’expert avant que l’assureur ne se prononce sur la couverture du dommage. Concernant l’indemnisation du préjudice résultant du défaut de communication préalable du rapport, le Conseil d’Etat a admis que la commune maître d’ouvrage invoque un fondement juridique différent en première instance (méconnaissance d’une disposition législative par l’assureur), puis en appel (violation d’une clause contractuelle), car les deux moyens relevaient de la même cause juridique, à savoir la responsabilité contractuelle de l’assureur.
A travers ces deux affaires, le Conseil d’Etat assouplit les moyens invocables par les parties au litige et tempère la cristallisation du débat contentieux.
CE, 16 décembre 2015, n° 373509et CE, 23 décembre 2015, n° 376527