"Je ne veux pas que Dominique Perrault retire sa signature du Théâtre Mariinsky"

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Image : Kommersant

La construction de la seconde scène du Théâtre Mariinsky, l’un des projets d’architecture pilotes avec la participation d’une star étrangère, a bien failli tomber à l’eau. Bien que l’information selon laquelle Dominique Perrault, l’architecte français connu, qui a remporté le concours international, pourrait démissionner, ait été réfutée, on attend l’examen de l’Expertise d’Etat qui est prévu pour le 30 septembre. Rompant le silence, Mikhail Chvydkoï, Chef de l’Agence Fédérale de la culture et du cinéma, a accordé une interview exclusive au journal russe "Kommersant" dont nous vous proposons la traduction intégrale.

Est-ce vrai que lors de la réunion entre Guerman Gref, vous et Valéry Guerguiev, il a été proposé de trouver un autre architecte pour la construction de la seconde scène du Mariinsky et de se séparer de Dominique Perrault ?

Je vous dis tout de suite que ce n’est pas vrai. Comme vous le savez, le concours international s’est déroulé en 2003. C’était le premier vrai concours international en 70 ans de notre histoire. Et notre attitude envers le gagnant est sérieuse. Nous ne pouvons dire «merci, au revoir» à M. Perrault parce que, premièrement, il a gagné le concours, il a reçu beaucoup d’argent, deuxièmement, la partie intérieure du théâtre qu’il a déjà réalisée convient parfaitement à Guerguiev. Naturellement, les négociations sur la toiture, la coupole n’ont pas cessé. L’expérience tragique de « Transvaal parc » et autres bâtiments recouverts de coupoles dont les projets avaient été aussi réalisés par des architectes connus ne nous permet pas d’écarter la possibilité de mêmes destructions.

L’image du projet est une chose, et le concours se basait essentiellement sur la conception. Mais une construction architecturale compliquée en est une autre. Ce sont des aspects qui sont discutés en permanence entre le client et l’architecte . Même si nous avons eu, évidemment, des désaccords. Pour passer notre expertise avec succès il faut être au courant de notre « cuisine » interne, ce que d’habitude, les architectes étrangers ne connaissent pas. En plus, il ne faut pas dépasser les limites des prix qui ont été annoncés pendant le concours. En fin de compte, les prix ont changé, mais nous sommes arrivés au montant suivant : 175 M d’euros seront consacrés aux besoins de la construction et encore 45 M d’euros à l’équipement de la scène.

Est-ce que le projet existant s’inscrit dans ce prix ?

Selon notre avis non. Le cours de l’euro n’a pas chuté, mais tous les travaux à l’intérieur du pays sont devenus plus chers. Et quand nous recalculons le projet qui avait été élaboré en 2004 et 2005, suivant les taux de 2006, et il faudrait même le faire pour 2007 ou même 2009, il s’avère que le projet devient plus cher. Nous ne pouvons pas agir comme Napoléon : « s’engager et voir comment la situation se déroule» ; on commence la construction, en se basant sur le taux de 3 roubles et après il monte jusqu’à 30 ? Nous devons réaliser quel sera le coût minimum réel de la construction. Quand la municipalité de la ville, avec des investisseurs étrangers, invite un architecte c’est une psychologie particulière, et moi, je dois exécuter le rôle de l’avare de Molière qui économise chaque sou. Et c’est juste.

Quelle est la variante qui s’inscrit dans ce coût ? Sans coupole ?

Non, c’est impossible de construire sans coupole. Qu’est-ce que représente ce projet ? En gros, vu d’en haut, à l’intérieur du bâtiment il y a une sorte « d’étagère » : des locaux secondaires, une scène, une salle. C’est une étagère, sans murs, intérieurs et extérieurs. La coupole recouvre cette étagère et crée une ambiance de température.

Mais les remarques de l’Expertise d’Etat portent justement sur la coupole...

Non. Les remarques essentielles de l’Expertise d’Etat sont liées à l’absence même du projet. Il sera prêt vers le 30 septembre. En fait, nous pensions que puisque les délais de la construction sont fixés, nous allions réaliser le projet par tranche : pour le cycle zéro l’expertise nous présentait ses conclusions, et ainsi de suite. Mais l’expertise a dit non pour le cycle zéro, parce qu’il fallait fournir tous les calculs pour la coupole, les supports et seulement après elle pourrait donner des précisions. L’expertise cherche à signer pour l’intégralité projet. Et nous désirons démarrer les travaux du cycle zéro. Mais actuellement le problème essentiel est ailleurs. Le 14 août nous avons parlé avec M. Perrault et signé un protocole. Son premier paragraphe porte sur l’optimisation des prix, Dominique Perrault avec ses collègues essayent de diminuer au maximum le coût du projet. Le deuxième paragraphe porte sur les possibilités d’adaptation et de correction de la coupole, compte tenu du milieu urbain existant et des conditions climatiques, même en en simplifiant le dessin.

Quelle est l’attitude de Dominique Perrault envers " cette simplification du dessin"?

C’est compliqué. Mais vous devez comprendre que nous devons prévoir le fonctionnement de la coupole lors des fluctuations de température, lors des changements climatiques dans 15 ans, dans 20 ans. Le projet est trop cher pour prévoir dès maintenant des réparations dans 15 ans. Dominique Perrault a renforcé la coupole et la légèreté de la construction qui nous attirait tant à quelque peu changé. Mais c’est un processus normal – de la conception au projet technologique. Somme toute, je n’ai aucune critique envers Perrault. Je cherche à faire comprendre à tout le monde que nous menons un dialogue soutenu. Nous avons tout réglé pour les espaces intérieurs, pour cette « étagère » qui doit être recouverte par la coupole, ce qui représente une grande part de travail. Evidemment, la conception de Perrault doit rester intacte, mais nous aussi, nous devons construire un bâtiment fonctionnel résistant aux catastrophes éventuelles.

Mais votre dialogue constructif aboutira à un compromis. Est-ce que l’architecte est prêt à ça ?

Lors de notre dernière rencontre nous lui avons demandé comment trouver une solution technologique de manière artistique. M. Perrault doit nous remettre le projet, nous allons le présenter à l’Expertise d’Etat le 30 septembre. Il n’a pas beaucoup de temps pour changer quoi que ce soit, mais nous avons demandé à Perrault de prévoir dans le projet des supports tels qu’ils nous permettront ensuite de corriger la coupole.

Qu’est-ce qui se passe au cas où l’expertise n’accepterait pas le projet ?

D’habitude, l’expertise n’accepte pas les projets, elle donne son avis où elle formule les remarques. Comment peut-elle ne pas accepter ? L’auteur du projet est un architecte connu, en plus, nous avons fait appel à beaucoup de gens de bureaux d’études pour travailler avec Perrault. Si l’expertise a des remarques, le projet peut être reporté d’un ou deux mois, ce n’est pas grave. Nous avons besoin d’un projet de qualité, et nous pouvons démarrer au mois de décembre au lieu du mois d’octobre.

Valéry Guerguiev n’est pas aussi calme dès qu’il s’agit de tels retards ?

Je comprends Valéry, il a besoin de construire son théâtre. En tant que directeur artistique, il veut que tout se passe parfaitement bien, et comme chaque artiste il veut se réveiller un matin et diriger l’orchestre. Mais les miracles sont rares, le processus de construction est difficile et pénible.

Quels sont les délais approximatifs, d’après vous ?

Il est clair que nous ne pouvons pas réaliser la demande du Président et mettre en exploitation le bâtiment vers le printemps 2008. Je pense que le délai réaliste sera le printemps 2009, mais pour y arriver il faut fournir de grands efforts. A la fin du printemps 2009. Il vaut mieux retarder la construction d’un an mais tout faire correctement.

Vous répétez toujours que c’est une situation normale. Mais pourquoi la situation autour du projet Mariinsky-2 ressemble à de l’hystérie?

Parce que tout le monde cherche à démarrer le chantier : le théâtre le souhaite, la ville aussi, enfin, les artistes commencent à s’énerver. Si au moment où la troupe doit quitter l’ancien bâtiment, le chantier ne s’est toujours pas commencé, ce sera psychologiquement très difficile pour les artistes. Il est évident, et je porte toute la responsabilité de ma parole, que l’on pourrait attendre la mi-juillet pour déménager. Parce que pour moi, le théâtre Mariinsky ce n’est pas seulement le bâtiment du théâtre, mais aussi une troupe éminente. Et moi, je dois me préoccuper de leur état moral. Voilà pourquoi la situation est si tendue. Deuxièmement, le travail avec Perrault n’est pas facile. Troisièmement, nous avons perdu une année quand a eu lieu la réforme administrative au sein du Ministère de la culture. Nous ne comprenions pas qui allait construire le théâtre, l’Agence ou bien le Ministère. Nous ne pouvions même pas signer le contrat. C’est seulement en 2005 que nous avons commencé à travailler avec Perrault. Nous devons achever ce que nous avons commencé, c’est très important et pour Guerguiev et pour Perrault. Mais en premier lieu c’est très important pour le Théâtre Mariinsky. Et tous ces bruits sur la démission de l’architecte, que le client en a le droit...

Donc, l’idée de changer l’architecte existait ?

Les gens ont des idées. Ce n’est pas simple de travailler avec un partenaire étranger. La Russie a ses propres conditions. Par exemple, le bâtiment de la Direction Statistique à Moscou, sur la rue Miasnitskaya, dont le projet a été fait par Le Corbusier dans les années 30. Le passage ouvert prévu par le projet a été recouvert, parce qu’il fait froid chez nous. L’architecte a dit à l’époque : « Recouvrez, mais retirez ma signature du projet ». Et moi, je ne veux pas que Perrault retire sa signature du projet, je cherche à trouver un compromis. Et le changement d’architecte reportera la construction pour un délai indéterminé.

Cela reportera non seulement le projet de Mariinsky mais aussi l’arrivée des architectes étrangers connus en Russie.

Je ne le pense pas. La Russie n’a pas de grands problèmes avec la législation ou avec les normes. Si le travail des architectes étrangers est organisé correctement, tous les problèmes peuvent être facilement réglés. C’est un processus dynamique, et si la situation autour du projet est agitée, c’est plutôt normal. Mais cela énerve et Perrault, et Guerguiev et moi-même, parce que nous menons un travail complexe et tout mot mal placé peut porter préjudice. Et je m’adresse et à Guerguiev, et à Perrault. Mon intervention ne doit pas les inquiéter, le but de cette interview est uniquement de leur donner la possibilité d’achever tranquillement le projet. Je ne fais aucune infraction à nos accords concernant la communication avec les médias ni avec Perrault, ni avec Guerguiev. L’opinion publique doit tout savoir. Elle sera au courant de tout, mais il ne faut pas jouer sur les nerfs.

Propos recueillis pas Maya Stravinskaya (traduction : Nina Pachtchencko)

Cet article est paru le 25 août 2006 dans "Kommersant".

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