Quel bilan tirez-vous de la réforme des marchés publics ?
Jean Maïa : La première étape, et sans doute la plus importante, était celle de la ratification de l’ordonnance marchés publics du 23 juillet 2015. Le Parlement a été l’enceinte dans laquelle on a le plus débattu de cette réforme depuis son entrée en vigueur, dans le cadre de la loi Sapin 2 portant cette ratification, mais aussi d’autres textes comme la loi LCAP (1). Des ajustement ont, certes, été effectués. Par exemple, la suppression des offres variables ou encore celle de l'obligation pour les candidats de fournir un extrait de leur casier judiciaire. Mais au total, les grands équilibres de la réforme ont été préservés, notamment concernant la place respective des PME et des contrats globaux. Le droit de la commande publique bénéficie enfin d'un socle législatif, c'était l'un des objectifs poursuivis. Ce qui répond à des préoccupations d'ordre juridique, mais aussi démocratique.
Comment cette réforme est-elle perçue par les praticiens ?
J.M. : Comme toute évolution, elle engendre des questions, du dérangement ! Mais les enjeux le justifiaient. Nous sommes dans la phase d'accompagnement, avec un important travail de refonte de notre doctrine accessible sur le site Internet de la DAJ. Nous publierons cette année un vademecum de la commande publique. Puis ce sera au juge d'interpréter les nouveaux textes. Mais il est encore tôt pour avoir des retours concrets. Ainsi la France avait été le premier pays, en octobre 2014, à introduire dans son droit la procédure du partenariat d'innovation... et les premières initiatives émergent seulement. Je veux surtout dire aux acheteurs et aux acteurs du BTP : allons-y ! L'investissement public dépend certes des moyens budgétaires, mais un cadre juridique consolidé et simplifié ne peut qu'aider à lancer des projets.
Où en êtes-vous de l'adoption du décret modificatif du décret marchés publics ?
J.M. :Il devrait paraître à la toute fin mars, après son examen par le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) et le Conseil d'Etat. Il s'agit essentiellement d'un toilettage du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, pour tirer les conséquences des lois Sapin 2 et LCAP.
Les règles relatives à l'attribution des marchés évolueront-elles sensiblement à la faveur de ce décret « balai » ?
J.M. : Non, pas d'inquiétudes à avoir. Ainsi, lorsque la loi Sapin 2 énonce que l'acheteur pourra choisir de recourir à un critère unique d'attribution pour un marché, elle ne fait que remonter ce principe au niveau législatif, sans en élargir le champ d'application ; le décret modificatif ne dira rien de plus sur ce point. En marchés de travaux, le critère unique ne restera autorisé que s'il porte sur le coût global d'une opération. De même, l'affirmation par la loi Sapin 2 de l'obligation pour l'acheteur public de détecter les offres anormalement basses n'appellera pas de complément réglementaire. Elle ne crée en réalité aucune obligation nouvelle. L’acheteur reste libre d'adopter ou non une méthode formelle de détection, de la faire connaître ou pas... Les règles relatives à la composition des commissions d'appel d'offres dans le secteur du logement social évolueront en revanche dans le décret, à la demande des acteurs. Enfin, les dispositions sur le concours seront retouchées pour l’application de la loi LCAP, avec l’inscription dans le décret de l’obligation de principe, pour les marchés de maîtrise d’œuvre supérieurs aux seuils de procédure formalisée, de recourir au concours pour tous les acheteurs soumis à la loi MOP.
Les PPP sont un peu absents du paysage ces derniers temps, comment l'expliquez-vous ?
J.M. : Les débats sur ces contrats ont été riches dans le cadre de la réforme. La logique initiale de celle-ci a été maintenue : un encadrement, mais aussi une consolidation de la formule, sous la forme des marchés de partenariat. Ces derniers ont regroupé différentes formes de contrats – contrats de partenariat, mais aussi baux emphytéotiques administratifs, etc. - en les qualifiant clairement de marchés publics. L'intensité des discussions a pu inciter certains à l'attentisme, mais la réforme ayant maintenant été ratifiée par le Parlement, cela pourrait redémarrer.
Quand les arrêtés relatifs à la dématérialisation vont-ils paraître ?
J.M. : La transformation numérique de la commande publique a été engagée, pour tenir l'échéance du zéro papier au 1er octobre 2018. Mais il faut accélérer, sachant que le gouvernement a choisi d’ajouter aux obligations européennes de dématérialisation des marchés publics une démarche d’open data. Au premier trimestre vont paraître deux arrêtés, l’un pour préciser les fonctionnalités du profil d’acheteur et l’autre pour la publication des données essentielles de chaque marché. Ces projets ont fait l’objet d’un premier examen au CNEN le 12 janvier. A la demande des associations d'élus locaux, un seuil de 25 000 euros en deçà duquel les acheteurs ne sont pas soumis aux obligations relatives à l’open data sera introduit par le décret modificatif du décret marchés publics. Il serait en effet probablement exagéré de demander aux plus petites entités publiques d’entrer dans la démarche d’ici à fin 2018. Rien n’interdit cependant qu’elles s’y mettent spontanément, dans un souci de transparence.
Ces deux arrêtés seront suivis de quatre autres textes, sur la signature électronique, les outils d’échange et de communication, la copie de sauvegarde et le certificat de cessibilité dématérialisé.
Où en êtes-vous de l’élaboration du plan national de numérisation de la commande publique ?
J.M. : Ce plan est très avancé. Les parties prenantes nous aident à peaufiner la version du texte soumise à consultation publique à l’été 2015. Il ne pourra être parachevé que lorsque les arrêtés "démat'" auront été publiés, l’enjeu étant qu’il paraisse assez tôt en 2017. Le plan vise à donner plus de visibilité aux collectivités publiques, aux entreprises, aux éditeurs de logiciels et aux autres intervenants. Il contiendra des bonnes pratiques pour faire converger les actions des nombreux pouvoirs adjudicateurs français vers l’objectif commun d’octobre 2018. Car au-delà des textes, il y a beaucoup d’organisation à mettre en place.
Quels sont les bénéfices à tirer de l’ouverture des données essentielles des contrats ?
J.M. : L’open data va améliorer la connaissance de la commande publique pour tous et permettre le développement de nouveaux services pour les opérateurs économiques comme pour les acheteurs publics. C’est une mine d’information pour les entreprises qui aimeraient probablement avoir aisément une vision de la pratique d’achat des collectivités de leur région. Il appartiendra aux opérateurs de s’emparer des données librement accessibles et réutilisables. L’open data va aussi enrichir le débat public. On aura pour la première fois une agrégation des données de la commande publique.
Qu’en est-il du document unique de marché européen (Dume) électronique ?
J.M. : La simplification de la phase de candidature ne va produire ses effets que lorsque tous les bénéfices des outils numériques auront été tirés à travers le Dume (document unique de marché européen) électronique. Le Dume n’est pas encore totalement électronique et n’a pas encore produit tout ce que l’on peut en attendre. La Commission européenne en a élaboré un prototype et a communiqué son code source aux États membres. Ils leur appartient de le rendre opérationnel au niveau national. Nous y travaillons avec le Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP). La France a un temps d’avance avec le service « Marché public simplifié » (MPS). La question est de savoir comment on intègre le Dume électronique en prenant en compte l’expérience du MPS. La philosophie des deux est assez proche, mais avec des nuances. Le Dume électronique n’est pas une duplication du Dume papier. Il est plus ambitieux. Comme le MPS, il s’appuiera sur une architecture technique qui fera apparaître semi automatiquement ou automatiquement des éléments une fois que l’entreprise commencera à remplir le formulaire. L’idée du principe « Dites-le-nous une fois » est bien d’éviter les doubles saisies. La question n’est pas tant de savoir si l’on « MPSise le Dume ou Duméise le MPS », mais d’utiliser les outils numériques pour que des procédures simples libèrent du temps pour l’examen des offres.
L'étape ultime de la réforme sera l'élaboration d'un Code de la commande publique, les travaux ont-ils commencé ?
J.M. : Oui, et ce avant même la publication de la loi Sapin 2 qui a habilité le gouvernement à procéder à cette codification. L'échéance est à deux ans. Cela se fera à droit constant, il ne s'agit pas de modifier à nouveau les règles. Mais il est toujours possible d'en améliorer la lisibilité et l'accessibilité ! Nous avons commencé à travailler avec la Commission supérieure de codification (CSC). La réforme d'avril 2016 nous donne une bonne base. Elle a permis une pré-codification, en rassemblant dans l'ordonnance et le décret marchés publics des dispositions auparavant éparses. La question à trancher dans l'immédiat est celle du périmètre du futur Code. Au-delà des textes relatifs aux marchés publics et aux concessions, faut-il y inclure des textes comme la loi MOP, ceux relatifs aux délais de paiement, à la facturation électronique, à la sous-traitance... ? Il faut se demander ce qui répond le mieux aux besoins des praticiens. La CSC déterminera ensuite un plan, rédigera les parties, puis le Conseil d’Etat sera saisi du tout. Le Code ne pourra pas paraître avant l’automne 2018 en réalité car la codification présente un travail considérable.
L'élaboration de ce Code pourrait-elle être remise en cause à la suite des échéances électorales de 2017 ?
J.M. : Ce type de démarche enjambe généralement les alternances politiques. Et l'article d'habilitation a été voté à la quasi-unanimité au Parlement. On peut donc raisonnablement espérer que ce chantier sera mené à son terme d'ici à fin 2018, d'autant plus qu'il est réclamé par tous depuis de nombreuses années...
La réforme de 2016 propose avant tout une boîte à outils à disposition des acheteurs. Certains ne vont-ils pas rester au fond de la caisse ?
J.M. : L'expérience oblige à la prudence ! Mais le sens profond de la réforme était de cesser de brider les acteurs. A chacun donc de s'emparer des outils qui lui sont utiles. En conjuguant la mutation numérique, la mise en avant de la dimension économique de l'achat public, et enfin la modernisation et la professionnalisation de l'organisation achats, on peut faire évoluer substantiellement la commande publique.
Les CCAG datent de 2009, vont-ils être mis à jour en conséquence ?
J.M. : Leur réforme n'est pas à l'ordre du jour, l'urgence est l'élaboration du Code de la commande publique. Mais nous resterons attentifs aux demandes d'évolution qui pourront être exprimées.
Quid de la révision envisagée de la directive de 2007 sur les recours en marchés publics ?
J.M. : La Commission européenne, après une consultation publique sur le sujet en 2015, a finalement décidé qu'une révision n'était pas nécessaire. Nous garderons donc pour l'heure l'architecture actuelle de nos référés précontractuels, contractuels, etc.
L'entrée en vigueur de la facturation électronique obligatoire s'est-elle faite en douceur ?
J.M. : L'arrivée de la facture électronique dans les marchés publics produit déjà des effets depuis plusieurs années. Le passage obligatoire par Chorus Pro depuis janvier se passe bien. En marchés de travaux, certes, il y a des étapes intermédiaires de validation des factures qui rendent le processus plus compliqué. Mais on est dans la matière contractuelle, aux parties donc d'organiser ces étapes.
La réduction des délais maximum de paiement de l'Etat à 20 jours avait été annoncée pour 2017. Où en est-on ?
J.M. : L'Etat fait déjà mieux que 20 jours, en réalité. Donc il n'est pas prévu de modifier les textes – qui fixent un délai maximum de 30 jours. Le déploiement de la facturation électronique est d'ailleurs la garantie de délais raccourcis.
Des initiatives fleurissent pour favoriser l'achat public local. Que pensez-vous par exemple de la clause Molière, qui impose l'usage du français sur certains chantiers ?
J.M. : Il faut en revenir aux principes intangibles du droit des marchés publics : un critère doit avoir un lien avec l'objet du marché. Sous ce prisme, l'utilisation d'une telle clause paraît pour le moins délicate.
Quid des chartes locales pro-PME ?
J.M. : Tout dépend de ce qu'on y met ! Il y a plein de bonnes pratiques à adopter pour faciliter l'accès des PME, comme le recours au sourcing. En revanche, on sait tous quelles sont les limites sur le plan du droit : les principes constitutionnels et européens interdisent fermement la réservation de marchés à des PME ou à des entreprises locales. Le Small Business Act américain n'est pas reproductible en Europe, mais la France a agi sur d'autres leviers, en bataillant par exemple au niveau européen pour faire prévaloir la règle de l'allotissement. Et sans parler de localisme, l'on peut, en maniant par exemple la notion de cycle de vie des produits ou ouvrages, œuvrer au développement durable et ce faisant souvent aboutir à des circuits plus courts que par le passé.