Comment votre ministère accompagne-t-il la marche des collectivités vers la sobriété foncière ?
Comme beaucoup d'autres, ce sujet fait l'objet d'un diagnostic partagé par le gouvernement, les collectivités et de nombreux acteurs de l'aménagement, sous l'effet à la fois du progrès de la sensibilité environnementale, du réchauffement climatique et du respect inspiré par l'agriculture. Au ministère de la Cohésion des territoires, nous avons veillé à une application réaliste de l'objectif, pour tenir compte de la diversité des situations.
Avec quels outils ?
Le fonds Friches permet de reconquérir de l'espace pour construire des commerces et des logements. Dans les territoires bénéficiaires des programmes Action cœur de ville et Petites villes de demain, nous avons veillé à exclure la création de mètres carrés commerciaux en périphérie, afin de rester cohérents avec la politique de diminution de l'artificialisation des sols. Annoncé par le président de la République le 7 septembre à la Cité de l'architecture à Paris, le prolongement et le renforcement d'Action cœur de ville se traduira par la pérennisation du fonds Friches et des défiscalisations Denormandie, qui facilitent la restauration des logements anciens situés dans les centres-villes.
Les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) signés avec l'Etat encourageront-ils également la sobriété foncière ?
Ces contrats accompagnent une stratégie d'ensemble du territoire dont la transition écologique est l'un des fils rouges. L'objectif de sobriété foncière est évidemment pris en compte et se traduit concrètement dans le soutien de nombreuses actions. Tout comme les programmes Action cœur de ville et Petites villes de demain, les CRTE expriment bien la volonté d'intégrer les objectifs de l'Etat dans les projets des collectivités, le plus souvent à l'échelle d'une intercommunalité, et parfois de deux à trois groupements de communes rassemblées dans un « pays » ou un pôle d'équilibre territorial et rural.
Le 17 septembre à Biscarrosse (Landes), devant les paysagistes-conseils de l'Etat, vous avez rendu hommage à la transversalité qui caractérise la démarche paysagère. Y voyez-vous un levier pour la sobriété foncière ?
Je suis très favorable à cette approche, souvent mobilisée dans les programmes Action cœur de ville et Petites villes de demain pour améliorer le cadre de vie, même si c'est encore insuffisant. C'est pourquoi j'ai dit aux paysagistes-conseils de l'Etat : « Faites-vous mieux connaître ! Mobilisez les réseaux des collectivités ! » A Biscarrosse, nous avons pu mesurer leur déficit de notoriété, quand une maire a reconnu qu'elle découvrait l'association. J'invite aussi les élus à se former, en particulier sur le thème de l'artificialisation : nombre d'entre eux ont cru qu'ils n'avaient désormais plus le droit de construire le moindre mètre carré, alors qu'il s'agit juste de ralentir la consommation foncière.
La future loi 3DS fournira-t-elle de nouveaux moyens aux élus pour progresser dans ce sens ?
Une disposition importante concerne les biens sans maîtres : il s'agit souvent de vieux bâtiments au cœur des bourgs, auxquels les maires ne peuvent pas toucher pendant trente ans en raison de l'absence de propriétaires (inconnus, disparus ou décédés). La loi 3DS ramènera ce délai à dix ans. C'est un outil très incitatif.
Ce même projet de loi prévoit de placer le Cerema (1) sous la tutelle conjointe de l'Etat et des collectivités, ce qui suppose une adhésion de ces dernières. Ne s'agit-il pas d'un pari risqué ?
Je n'aurais pas choisi le mot de pari. Nous avions déjà imaginé ce changement dans la loi Engagement et proximité du 27 décembre 2019, pour remédier à un déséquilibre : aujourd'hui, le Cerema travaille à 80 % pour l'Etat. Ses champs d'expertise couvrent l'aménagement du territoire, la mobilité et la transition écologique. Autant de thèmes qui sont largement décentralisés et qui engendrent une demande croissante des collectivités. Cet organisme peut d'autant mieux y répondre que ses 25 agences maillent l'ensemble du territoire. Sa pérennité suppose de nouveaux clients.
En le positionnant comme une quasi-régie, la loi facilitera l'accès des élus à ses services, sans passer par des appels d'offres publics. C'est du « gagnant-gagnant ».
« Les Français demandent que l'Etat et les collectivités travaillent ensemble, au service de l'intérêt général. »
Lors des Journées des finances locales de France urbaine, le 23 septembre à Paris, vous avez invité les grandes villes et métropoles à concilier « autonomie et responsabilité ». Ces deux mots résument-ils la relation idéale entre l'Etat et les collectivités ?
Je parlerais d'abord de confiance. Profondément convaincue de l'attachement des Français aux institutions de proximité, à commencer par la commune et les départements, je remarque qu'ils adorent tout autant leur préfet et leur sous-préfet. Ils demandent que l'Etat et les collectivités travaillent ensemble, au service de l'intérêt général.
Les maires s'inquiètent aussi de la rupture du lien fiscal avec leurs territoires, au détriment des projets d'aménagement.
Je reconnais l'importance de ce lien, qui n'est pas rompu : les maires lèveront la totalité de la taxe foncière, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Le levier fiscal demeure. Ce qui change en revanche, c'est que l'on ne force plus le maire à l'utiliser pour compenser la baisse des dotations ! Les élus locaux ne lèvent pas l'impôt par plaisir, mais demandent des ressources stables et équilibrées pour gérer leur commune conformément au mandat fixé par leurs électeurs.
L'ingénierie locale fait partie des raisons d'être de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) que vous avez portée sur les fonts baptismaux le 1er janvier 2020. Cet outil survivra-t-il au quinquennat ?
L'ANCT est désormais incontournable. Tout le monde connaît ses programmes, et les personnes qui incarnent son ingénierie : les managers de centre-ville, les chefs de projet, les conseillers numériques… Grâce au marché à bons de commande passé à l'échelle nationale avec une double entrée géographique et thématique, toutes les communes de moins de 3 500 habitants peuvent bénéficier gratuitement de ses prestations depuis mai. Représentants de l'ANCT dans les territoires, les préfets veillent à la coordination entre l'ensemble des acteurs locaux de l'ingénierie qui, auparavant, ne se connaissaient pas : agences techniques départementales ; conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement ; agences d'urbanisme ; services techniques intercommunaux… J'y vois une illustration de ma mission : faire en sorte que l'Etat accompagne les projets des élus, sans oublier ses propres priorités dictées par l'évolution du monde dans lequel nous vivons. La transition écologique favorise la rencontre entre ces deux objectifs.