INTRODUCTION

Villes, centres-ville, lignes de tramway, espaces publics, sites patrimoniaux, monuments historiques ou bâtiments contemporains, plus rien n’échappe désormais à la sacro-sainte mise en lumière, en couleurs de préférence, nouveau sésame d’un projet réussi. Qu’ils mettent en œuvre des dispositifs simples ou qu’ils recourent aux technologies les plus sophistiquées, les différents projets réunis dans ce dossier tentent de dépasser la fascination et l’efficacité faciles de mises en lumière colorées souvent photogéniques, parfois tape-à-l’œil. Que le recours à ce dispositif ait une vocation signalétique (Netzwerkarchitekten) ou énergétique (Cloud 9), ou qu’il soit en adéquation avec la nature du programme qu’il abrite (Neutelings Riedijk), ces projets ont également en commun le recours à un spécialiste de la lumière, qu’il soit éclairagiste, artiste luministe, ingénieur ou concepteur lumière. C’est pourquoi, en guise d’introduction, nous avons interrogé Rogier van der Heide, « Architectural lighting designer» selon ses propres termes, concepteur lumière dans le domaine de l’architecture et directeur de Arup Lighting. Il nous parle ici de son approche du métier à travers les propos qu’il a tenus pour nous à l’occasion d’un entretien, illustrés ci-dessous par quatre de ses projets réalisés ou en cours.

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Entretien avec Rogier van der Heide

Fils de parents musicien et artiste, issu pour votre part du monde du théâtre, vous travaillez aujourd’hui quasi exclusivement comme concepteur lumière pour l’architecture. Comment êtes-vous passé d’un univers à l’autre ?

Après une enfance passée entre les scènes de spectacles, les salles de concert et les fosses d’orchestre, j’ai effectué mes études à l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles, non pas dans le domaine spécifique de la conception lumière mais dans celui de la mise en scène cinématographique dont l’éclairage n’est qu’une composante, composante à laquelle je me suis rapidement montré extrêmement sensible. J’ai donc commencé à explorer cette voie dans le théâtre. De petits ballets en opéras plus importants, des projets d’éclairage d’envergure et de complexité croissantes se sont succédé, jusqu’à travailler avec l’Opéra national de Bruxelles. A l’occasion d’un de ces spectacles, un architecte m’a proposé de concevoir pour lui l’éclairage d’un petit musée hollandais dédié au folklore régional sur lequel il travaillait. Avant cette rencontre, je n’avais alors jamais imaginé qu’il était possible d’exercer mon métier dans d’autres domaines, surtout pas celui de l’architecture.

Le théâtre repose par essence sur les notions d’éphémère et de spectacle tandis que l’architecture s’inscrit dans un registre plus pérenne et questionne l’usage. Considérez-vous aujourd’hui que vous faites le même métier qu’à vos débuts ?

Ce sont effectivement deux métiers tout à fait différents, d’abord par la nature même de l’éclairage que l’on propose. Entre théâtre et architecture, les procédés et les matériels utilisés sont à peu près opposés en tout point, notamment d’un point de vue de l’intensité. Si une scène nécessite souvent des projecteurs puissants, un musée requiert une lumière plus douce et subtile alors que l’objectif recherché est pourtant commun : la lisibilité et la visibilité de l’œuvre. Mais la différence fondamentale entre les deux univers, différence décisive pour moi, est qu’il s’établit un véritable dialogue avec l’architecte. Ce n’est vraiment pas le cas au théâtre où, technicien parmi d’autres, je me sentais un esseulé, comme un étranger au sein d’une équipe quelque peu hermétique. Je ne suis pas fasciné par l’architecture en elle-même mais bien par la relation qui se développe avec l’architecte, bien plus enrichissante que dans le théâtre.

A la suite de cette première collaboration avec un architecte, vous créez en 1994 votre propre studio d’éclairage, Hollands Licht, devenu en 2003 Arup Lighting, département d’une trentaine de personnes dont vous êtes aujourd’hui le directeur…

Ce premier projet de musée s’est avéré une expérience si intéressante pour moi que j’ai effectivement décidé de me lancer dans cette voie, celle de l’architecture, en créant ma propre agence, Hollands Licht, baptisée en hommage à cette lumière hollandaise si emblématique de la peinture du XVIIe siècle de Vermeer ou de Rembrandt. La plupart des projets concernait l’éclairage de musées mais également d’espaces publics, un champ d’action particulièrement intéressant pour sa propension à toucher un public très large et à contribuer à améliorer la qualité de l’environnement urbain de tous. Puis Arup m’a proposé en 2003 de racheter Hollands Licht, rebaptisé pour l’occasion Arup Lighting et dont je suis aujourd’hui le directeur. J’ai longtemps hésité mais rejoindre une entreprise comme Arup, c’était faire un pas de plus dans cette volonté qui m’est chère – et qui m’avait tant manqué dans le théâtre – de partager des idées dans le cadre global d’un processus de conception et de mener un projet dans une approche pluridisciplinaire depuis le concept jusqu’à la réalisation.

Dans le domaine de la lumière, différentes approches coexistent opposant souvent l’art à la technique. Comment vous positionnez-vous?

Il y a en effet deux grandes écoles. Celles des ingénieurs éclairagistes qui revendiquent une approche plus technicienne et rationnelle et celles des concepteurs lumière dont le métier revêt une dimension plus artistique. Ce sont deux métiers différents. Dans le domaine spécifique de l’architecture, il me semble très important d’avoir la double casquette, créative mais également technique avec notamment une bonne connaissance des matériels et de leurs possibilités d’applications. Hollands Licht était 100 % artistique, l’équipe ne comprenant que des créatifs venant de l’Académie royale des beaux-arts, des danseurs, des artistes… Aujourd’hui mon métier chez Arup Lighting aborde les deux dimensions et c’est ce qui est passionnant.

Parlons du projet pour le magasin Galleria à Séoul (voir P. 172) sur lequel vous avez travaillé avec UNStudio. Plus qu’un simple projet d’éclairage, le bâtiment a subi un véritable lifting par la lumière…

Ce projet s’appelle plus exactement Galleria West car il existe un Galleria East, ce sont deux entités physiquement distinctes. Si le bâtiment assez beau de Galleria East a été rénové de façon classique il y a quelques années, celui de Galleria West était en revanche une boîte de béton sans intérêt, aveugle et dépourvue de tout détail technique intéressant. En transformant le bâtiment, la direction souhaitait utiliser l’architecture et le design pour modifier son image. Avec Ben van Berkel (UNStudio), nous avons donc réfléchi à cette transformation. Nous avons imaginé une robe pour le bâtiment, une peau formée de 4 330 disques de verre qui se fait support de la lumière. Ce qui est très intéressant dans ce cas précis, c’est que la lumière et le verre sont, au même titre, les deux matériaux qui constituent la nouvelle façade.

Comme James Turrell et ses « environnements perceptuels », vous envisagez donc la lumière comme un matériau du projet d’architecture ?

Concernant le projet de Galleria, la grande qualité de cette architecture est qu’elle est transformable. Couleurs et mouvements forment des scénarios qui diffèrent continuellement et modifient perpétuellement la façade. A mon sens, l’architecture est une affaire de communication entre un bâtiment et celui qui l’éprouve, usagers ou simples passants. La lumière constitue le point d’interaction entre l’architecture et ceux qui la pratiquent car elle apporte à l’architecture une dimension essentielle, celle du mouvement qui la rend transformable en générant nombre d’ambiances différentes. Et puis, l’éclairage sous-tend la notion de perception. Il permet réellement de modifier la perception d’un espace ou d’une façade par l’usage que l’on fait du noir et de la lumière, des couleurs, de l’intensité. La perception de l’espace ne se limite pas seulement à l’architecture physique, au contraire. Elle est bien plus liée à l’ambiance, au ressenti et donc à la lumière.

Quand vous travaillez sur la conception lumière d’un bâtiment, à quel stade du projet intervenez-vous ?

Pour moi, comme pour l’architecte, il est évidemment beaucoup plus intéressant de travailler dès le début de la conception du projet. Après, c’est trop tard. La lumière ne doit pas être surajoutée et simplement décorative mais bel et bien envisagée comme un matériau du projet. Pour valider les choix bien en amont avec tous les acteurs du projet, nous avons un studio de maquettes avec éclairage intégré qui permet une très grande réactivité avec un mode de représentation très simple. L’interaction entre tous les acteurs concernés est à mon sens le plus important dans le processus de conception, car il s’agit de faire converger les intérêts de chacun. Par exemple pour Galleria, le département marketing est venu au studio. L’éclairage est aussi très important par la dimension commerciale qu’il revêt et son impact auprès du client, voilà pourquoi le marketing avait également un rôle à jouer.

A l’heure du développement durable, n’y a-t-il pas aujourd’hui une surenchère de lumière dans l’espace urbain ?

La consommation d’énergie est la grande responsabilité de notre métier et sa maîtrise fait partie intégrante des concepts que nous mettons en œuvre. Pour moi un projet de lumière réussi, c’est celui qui parvient à avoir une identité très forte. Et pour ce faire, il n’est pas nécessaire de tomber dans l’excès de lumière façon Las Vegas. Par exemple, je travaille actuellement avec Renzo Piano pour un projet à la California Academy of Sciences de San Francisco. La lumière y sera entièrement naturelle. L’éclairage n’est pas une nécessité absolue. Le monde a besoin d’obscurité, fondamentale pour la magie nocturne des villes. Et pour la visibilité des étoiles.

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