L’essentiel du travail de l’architecte ne résidait pas dans des gains en surface et en volume. D’ailleurs, à Tokyo, l’enceinte du micro-jardin dessinée par Masuda n’augmente pas réellement la surface habitable de la maison. Elle suffit en revanche pour dilater en quelque sorte l’espace vital de cette résidence. Dans la Cité de la Mode et du Design – Jakob Macfarlane architectes – comme dans la Maison des Ensembles – Renato Fillipini – également à Paris, la taille des extensions est bien modeste par rapport à l’ampleur de l’espace d’origine. Le même constat s’impose sur le Credon Center à Londres, dont la tour d’ascenseur s’élève sur moins de 10 m². Les volumes créés dans une église à Madrid – Linazasoro- ou dans une usine à Salins-les-Bains – Roussey Malcotti – sont plus significatifs, mais leur impact symbolique et fonctionnel est bien supérieur à leur importance quantitative. Même l’atelier et le patio avec sa verrière coulissante de la maison à Gentbrugge – Jan De Vylder – ne sauraient transformer une étroite maison de ville en hôtel particulier.
Les changements d’affectation ne sont évidemment pas négligeables. A Londres, le bâtiment d’une ancienne école primaire abrite maintenant un institut de formation pour maîtres avec résidence, à Madrid une bibliothèque est construite sur les flancs d’une église détruite pendant la guerre civile espagnole, à Salins-les-Bains une usine désaffectée est réhabilitée en musée du sel, à Paris un squat délabré devient centre culturel et un immense entrepôt renaît en Cité de la Mode et du Design. In fine cependant, au-delà des aspects fonctionnels incontournables, le rôle majeur de l’architecte dans ces projets aura sans doute été de leur conférer une nouvelle image. S’affirment ainsi de façon maintenant explicite leur identité, leur utilité et leur présence dans la ville. A l’occasion, le caractère de ces bâtiments et leur insertion urbaine changent de nature. Ancrés dans le paysage de la ville depuis toujours, au point parfois d’y être invisibles – qui faisait attention aux anciens Magasins Généraux qui occupaient presque 300 m linéaires sur le quai d’Austerlitz ? –, ces bâtiments réhabilités captent à nouveau l’attention du passant. L’effet est d’autant plus fort que certains étaient quasiment en ruine, comme l’église San Fernando à Madrid et l’usine de sel à Salins-les-Bains. Sorts guère plus enviables, le bâtiment de la Maison des Ensembles était réduit à l’état de squat et les docks parisiens étaient carrément menacés de destruction. Sauvés par une nouvelle fonction, arborant une image modernisée, dynamique, lumineuse, ils connaissent une véritable renaissance.
Projets urbains
Deux extensions marquantes dans Paris, une à Londres, une autre à Tokyo, une cinquième à Madrid : rarement autant d’exemples sélectionnés pour un dossier Détails n’auront été implantés dans des villes capitales. Certes, a priori, la nouvelle interface urbaine d’une maison d’un quartier résidentiel de Tokyo paraît dérisoire à l’échelle de la métropole japonaise. Rien n’exclut cependant qu’elle inspirera demain d’autres propriétaires et d’autres architectes. Un vaste mouvement de modernisation de ces « murets » qui ceinturent des centaines de pavillons pourrait changer la physionomie de ces kilomètres de rues qui semblent figées depuis un demi-siècle. De même, la nouvelle façade de la maison 43 à Gentbrugge ne va guère affecter l’urbanisme de la ville. En revanche, si un nombre important de jardins sont transformés avec une imagination comparable à celle déployée Jan De Vylder, la densité et la qualité de vie dans ces quartiers vont sérieusement progresser. Si le Musée du sel conçu par Catherine Roussey et Michel Malcotti n’a pas l’honneur d’être édifié dans une capitale de renommée internationale, son rôle dans l’histoire et la géographie de Salins-les-Bains n’en est pas moins considérable. En effet, l’usine dans laquelle le musée est aménagé est située en centre-ville. Ce dernier a donc longtemps été occupé par des bâtiments en ruine, vestige d’une activité industrielle qui a fait vivre la région pendant plus de dix siècles. Ce symbole omniprésent d’un passé révolu s’ouvre aujourd’hui sur l’avenir, tissant un lien positif entre le passé et le futur. Au passage, la commune peut espérer connaître un nouveau rayonnement d’ordre plus culturel et historique, que purement matériel et laborieux.
A Londres, en quelques mois, un bâtiment typiquement victorien a changé d’époque architecturale, son austère façade de brique étant illuminée par une tour de verre et un mur polychrome. Une école primaire laisse place à un « hôtel pédagogique » pour adultes. De même, à Paris, près du mythique marché d’Aligre, les bâtiments dégradés d’un squat sont rajeunis pour abriter un dynamique centre culturel, ouvert aux nouvelles pratiques artistiques. A Madrid, des ruines emblématiques d’un passé douloureux renaissent maintenant comme espace culturel, en l’occurrence une bibliothèque.
Exemple le plus spectaculaire de la manière dont l’architecture des réhabilitations-extensions accompagne les révolutions économiques, sociologiques et culturelles des villes, à Paris la structure conservée d’anciens entrepôts accueille maintenant la Cité de la Mode et du Design. L’heure n’est plus au stockage et au transit des marchandises, mais à la promenade et à la créativité.
Evidemment, un bâtiment neuf aux formes exubérantes bénéficiera d’une audience médiatique incomparable lors de son inauguration, mais adapter le bâti ancien de nos villes au XXIe siècle représente sans doute un programme autrement ambitieux. Cela est vrai d’un strict point de vue quantitatif, puisque des milliers de bâtiments sont potentiellement concernés. Cela vaut également en raison de l’importance des enjeux énergétiques et environnementaux liés au parc existant. Il est évident qu’un projet de réhabilitation-extension donne à l’architecte une opportunité à ne pas négliger d’améliorer simultanément le confort et l’efficacité écologique d’un site ancien.
Ruptures formelles
Les architectes sont parfois intimidés par des bâtiments qui ont traversé des décennies, voire des siècles. Il arrive également que leur liberté soit bridée par la protection officielle accordée aux monuments historiques. Rien de tel dans les projets qui nous intéressent ici. Et pourtant, si son impact visuel était considéré comme un critère majeur pour classer un édifice, il est probable que les entrepôts des Magasins Généraux sur le quai d’Austerlitz à Paris auraient retenu l’attention des instances supérieures. Dans les faits, cette structure a bien failli être démolie pour aménager un jardin, programme consensuel s’il en est.
D’ailleurs, les extensions inspirent peut-être moins d’inquiétude dans la mesure où par définition elles se développent à côté, contre ou sur un bâtiment, sans entraîner a priori de dégradation de l’existant. De manière plus optimiste, on peut également espérer une évolution des mentalités. L’heure n’est plus au pastiche, fut-il inspiré comme ceux de Violet-le-Duc.
Après tout, les architectes des projets de ce dossier montrent qu’une rupture franche, justifiée sur les plans fonctionnel et technique et d’une conception esthétique en résonance avec l’existant, valorise et parfois même révèle des qualités du lieu un peu oubliées. Cela se vérifie même quand Jose Luis Linazasora utilise une brique apparemment identique à celle de l’église San Fernando à Madrid, mettant en œuvre le matériau dans une composition moderne, sans jamais plagier une architecture patrimoniale.
On le sait depuis longtemps, mais il est rassurant de le constater dans ces exemples : le respect du passé s’exprime mieux dans une continuité de la création, en mobilisant des moyens contemporains, que dans la reproduction artificielle de codes formels historiques. Autre leçon plutôt positive, alors que les démarches dites durables intègrent à juste titre dans les cahiers des charges des dispositions favorables à la transformation ou au recyclage d’un bâtiment nouveau, des maçonneries anciennes se prêtent finalement sans grande difficulté à des reconversions parfois radicales. De ce point de vue, les plus simples ou les plus minimales s’avèrent porteuses des plus inattendues métamorphoses potentielles, à l’instar de la méga structure en béton des anciens docks de Paris quai d’Austerlitz, dont les ingénieurs n’avaient certainement jamais imaginé qu’elle servirait de socle à une Cité de la Mode et du design.
Dans le Musée du sel, l’extension prend la forme d’une boîte opaque couvrant l’entrée. Cette option répond à la destination de ce volume : un abri pour des vitrines à l’hygrométrie, la lumière et l’aération contrôlées nécessaires à une préservation optimale des pièces exposées. Le parcours de la visite empruntant principalement des espaces à ciel ouvert ou des galeries souterraines, la question de la lumière naturelle ne se posait guère. De même, dans la salle de lecture de la bibliothèque à Madrid, l’éclairage est assuré par des ouvertures soigneusement cadrées et surtout par des appareils électriques individuels.
A l’exception de ces deux exemples, les extensions se présentent comme des volumes transparents, des bow-windows ou une verrière. Ainsi, les circulations de la Cité de la Mode et du Design sont enveloppées de verre sérigraphié. La cage de l’ascenseur du Credon Center à Londres est une tour de verre et les coursives desservant les trois étages du bâtiment sur la rue d’Aligre de la Maison des Ensembles sont également aménagées entre l’ancien mur en pierre et une nouvelle façade translucide. Trois bow-windows vitrés en porte-à-faux les enrichissent d’alcôves lumineuses. L’élément clé de l’extension de la maison 43 à Gentbrugge est cette verrière coulissante qui permet à volonté de transformer un patio couvert en jardin ouvert, et inversement. A Tokyo, Masuda a substitué à des murets en béton une étrange palissade translucide de métal déployé, percée de portes et de fenêtres comme une seconde façade.
Presque partout donc, les extensions se matérialisent principalement dans des parois de verre et/ou de métal, comme si ces matières s’imposaient spontanément comme complémentaires d’une ancienne maçonnerie. Evidemment, nous aurions également pu aussi sélectionner des extensions en bois. Cependant, le recours privilégié au verre et au métal n’est certainement pas fortuit. Le premier est le matériau par excellence de la transparence et de la lumière. Le second est celui des structures les plus élancées et les plus discrètes.
De ce point de vue, le Musée du sel brouille nos repères. En effet, ses façades sont composées d’une ossature bois – avec isolation en laine de bois –, mais elle est portée par des planchers à structure acier et, surtout, la boite est habillée sur toutes ses faces de plaques en acier autopatinable.
Une fois de plus, l’exception confirmerait la règle. Plus sérieusement, on interprétera le recours si apprécié au verre et au métal comme signe d’un passage historique entre des siècles de constructions massives et une ère nouvelle qui voudrait afficher des valeurs de légèreté et de transparence, sans oublier un besoin de lumière naturelle.