Innovation : une palette de technologies à explorer

Pilotage intelligent, prélèvement et stockage de calories, diversification des sources thermiques… les solutions techniques se multiplient pour favoriser le recours massif à la géoénergie.

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Des sondes géothermiques verticales sont mises en place pour étudier la précision des techniques de suivi de cimentation.

Un réservoir inépuisable de calories gratuites sous nos pieds. C'est ainsi que le Premier ministre, François Bayrou, évoquait la géothermie dans son discours de politique générale le 14 janvier. Cette EnR, qui ne représentait en 2022 que 1 % de la consommation finale en France métropolitaine, est bien au cœur des enjeux de décarbonation. De fait, la trajectoire de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE 3), dont la consultation finale du public vient de s'achever, prévoit d'accélérer le rythme de développement des projets de géothermie de surface, en passant de 3,2 TWh produits en 2022 à 15 TWh voire 18 TWh en 2035. Pour atteindre cet objectif, la PPE s'appuie notamment sur les recommandations du plan d'action national (1) paru en 2023, qui faisait lui-même suite au rapport du Haut-commissariat au plan (2), alors piloté par un certain… François Bayrou.

Cette ambition paraît atteignable, puisque le potentiel est énorme. Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) considère qu'à elle seule, la géothermie de surface, aussi appelée de minime importance (GMI), pourrait fournir jusqu'à 100 TWh de chaleur d'ici quinze à vingt ans. Dans la métropole du Grand Paris, où la consommation annuelle d'énergie thermique s'élève à 51 TWh, cette EnR suffirait à couvrir 58 % des besoins et ainsi à prendre en charge environ un quart des consommations de chauffage au gaz (3).

Un potentiel cartographié. Pour étayer ces données, le BRGM met en avant quinze ans de cartographies régionales, qui rendent visibles à la fois les installations actuelles, mais aussi les ressources géothermales. Des informations en passe d'être harmonisées à l'échelle nationale. « Nous utilisons la base des 16 000 forages existants pour décrire les propriétés des roches traversées et ainsi attribuer une valeur de conductivité thermique au sous-sol. Une fois couplée à sa température, nous arrivons à estimer l'énergie extractible par mètre de forage », décrit Anne-Gaëlle Bader, géologue et cheffe de projets géothermie et stockage d'énergies au BRGM.

L'enjeu est bien d'exploiter l'énergie calorifique des 200 premiers mètres du sous-sol, où les températures sont comprises entre 10 et 20 °C. Une fois prélevées grâce à des échangeurs qui fonctionnent en boucle fermée sur la roche ou ouverte sur des nappes phréatiques, ces calories alimentent des pompes à chaleur. Elles servent ensuite à produire de l'eau chaude sanitaire comme à chauffer ou à refroidir des logements, des ensembles tertiaires ou de grands équipements.

Si les techniques d'exploitation sont longtemps restées classiques, les avancées technologiques de ces dernières années changent la donne et facilitent le développement de la géothermie de surface. « Le pilotage intelligent est un sujet majeur. Grâce à l'apprentissage automatique, nous parvenons à optimiser le nombre de puits et les rendements en fonction de la demande en énergie du bâtiment, qui évolue d'année en année », explique Pierre Tremolières, président d'Accenta et codélégué général de France Géoénergie. « Réduire le risque et garantir une production annuelle facilitent la mise en place de plans de financement innovants sur le long terme, pour amortir les coûts d'installation. Celle-ci est évidemment plus onéreuse qu'une chaudière au gaz, mais aussi plus performante, complète Cindy Demichel, fondatrice de Celsius Energy et autre codéléguée générale de l'association. Remplacer le gaz par de la géoénergie revient à diviser par quatre la quantité d'énergie consommée et jusqu'à 10 voire 15 celle de carbone émis. »

Batterie thermique. Autre changement, le sol n'est plus simplement considéré comme une source de calories, mais aussi comme une batterie thermique. « Avec l'évolution des besoins, un bâtiment conçu dans les années 2000 pourra voir sa demande en chauffage augmenter vingt-cinq ans plus tard. Dans cette hypothèse, en prélevant davantage de calories, l'installation refroidirait le milieu tout en réduisant le rendement thermodynamique », reprend Pierre Tremolières. Et de relativiser : « Ce phénomène est bien connu des bureaux d'études qui en tiennent compte en surdimensionnant le champ de sondes, afin de garantir l'équilibre thermique du sous-sol sur une longue période. » Mais cette précaution est coûteuse, « d'autant plus qu'avec le réchauffement climatique, ce sont les demandes de froid qui augmentent en été. Lors du processus de rafraîchissement, la chaleur présente dans le bâti est réinjectée dans le sol qui la conservera jusqu'à l'hiver suivant », poursuit celui qui a développé, au sein d'Accenta, le stockage intersaisonnier piloté grâce à l'intelligence artificielle. Une solution devenue indispensable pour rester dans l'optimum thermodynamique sans épuiser la ressource.

Equilibre du sous-sol. Pour tenir compte de l'évolution de la demande, la géothermie de surface produit désormais du chaud comme du froid, et en simultané. Associer des boucles d'eau tempérées à des pompes à chaleur réversibles ou à des thermofrigopompes permet, grâce à la mutualisation des besoins entre différentes typologies de bâtiments, de maintenir l'équilibre thermique du sous-sol. A Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), sous le village des athlètes et le quartier Pleyel, Engie Solutions a ainsi mis en service à l'été 2023 une centrale de production géothermale connectée à quatre thermofrigopompes. Elles alimentent simultanément un réseau de chaud (60 °C) et un réseau de froid (7° C) sur une boucle de 10 km. Objectif : assurer l'équilibre thermique de l'installation y compris en apportant un rafraîchissement à doses homéopathiques aux logements, dans le contexte climatique de 2050. « Ce changement d'état d'esprit implique aussi des innovations contractuelles, puisque chacun doit s'engager sur plusieurs années pour maintenir l'équilibre du système, et pouvoir s'adapter en cas de changement », pointe Cindy Demichel.

Autre exemple du même énergéticien, l'écoquartier d'Issy Cœur de ville à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) propose depuis 2022 de coupler l'alimentation en chaleur et la production de froid grâce à une solution qui combine, dans la centrale de production là aussi, quatre thermofrigopompes et, plus original, un stockage de glace.

Pompe à chaleur sur eau de mer. Les calories peuvent donc aussi être prélevées ailleurs que dans le sol. Dans un environnement contraint où l'accès au sous-sol par des forages classiques est difficile ou trop cher, Quentin Barral, élu au bureau de l'Association française des professionnels de la géothermie (AFPG) et expert géosciences chez Accenta, prône la diversification des sources thermiques. Pionnière en la matière, la commune de la Seyne-sur-Mer (Var) a mis en service en 2008 le premier système de « thalassothermie » français en Méditerranée. Constitué d'une boucle d'eau tempérée alimentée en froid ou en chaud grâce à une pompe à chaleur sur eau de mer, il fournit depuis quinze ans chauffage et rafraîchissement à ses clients. Le réseau a été étendu par Dalkia en 2022 pour fournir 75 % d'énergie renouvelable à 370 équivalents logement. Plus récemment, Idex inaugurait au printemps 2023 le plus grand réseau de chaleur et de froid alimenté par un lac dans l'Hexagone, à Annecy (Haute-Savoie). Il doit pourvoir à terme 570 logements et une piscine municipale.

« La construction de nouveaux quartiers ou la réalisation de travaux d'assainissement d'ampleur peut aussi favoriser la récupération de chaleur sur les réseaux d'eaux usées, ces mines d'or thermiques rejetées aux égouts », précise Quentin Barral.

En rénovation, le manque de foncier disponible impose à la GMI de creuser son sillon autrement. Pour répondre à cette contrainte, Celsius Energy a développé une solution de forage incliné, jusqu'à 20 °, suivant une disposition en étoile. Une solution qui réduit considérablement l'emprise au sol nécessaire. Cette innovation va de pair avec l'évolution des engins. « Ils sont automatisés, dotés de systèmes de contrôles digitaux, capables de creuser en oblique, et plus profondément. Avec la réhausse des seuils réglementaires actuels qui limitent les forages à 200 m pour une puissance installée de 500 kW, ces améliorations s'avéreront de plus en plus utiles », projette Cindy Demichel. De son côté, la start-up Enerdrape propose carrément d'installer des panneaux dotés d'échangeurs thermiques dans les sous-sols des bâtiments (parkings, caves, etc.), sur les parois en contact direct avec le terrain. Geoeg propose, quant à elle, d'installer les sondes au cœur des fondations des bâtiments neufs.

Mix énergétique. Enfin, cette EnR pourra être couplée à d'autres. « L'optimisation du dispositif par un mix de solutions énergétiques sera le meilleur moyen de rentabiliser rapidement l'investissement comme les frais de fonctionnement pour des bâtiments de plus de 2 000 m² », estime Quentin Barral. Ainsi, une pompe à chaleur géothermique pourra être couplée à une pompe à chaleur aérothermique, à une chaufferie biomasse, à une chaudière gaz, à du solaire thermique ou du photovoltaïque pour couvrir les besoins en électricité de l'installation, à condition de tenir compte des spécificités de chaque site.

Ces technologies sont testées par le BRGM sur la plateforme ad hoc, qui permet d'éprouver aussi bien les sondes que les machines (lire ci-dessous). « Cependant, leur mise en œuvre passe toujours par l'acculturation des porteurs de projets, comme le note le rapport du Haut-commissariat au plan », rappelle Cindy Demichel. Le secteur mène sa révolution pour tirer la filière vers le haut, avec des installations de plus en plus importantes financées sur le long terme. A l'image du réseau dit « d'anergie » en cours de mise en œuvre pour la desserte de la ZAC Ferney-Genève Innovation à Ferney-Voltaire (Ain). Sur ce territoire de 65 ha, une boucle d'eau tempérée alimentée par 174 sondes géothermiques qui descendent à 230 m sous terre mutualisera les besoins des différents bâtiments. Surtout, le dispositif récupérera la chaleur fatale produite par l'accélérateur de particules du Cern et sera piloté grâce à son double numérique. Ce qui place le projet parmi les plus importants au niveau européen.

(1) « Géothermie : un plan d'action pour accélérer son développement », ministère de la Transition énergétique, publié en février 2023 et actualisé en décembre de la même année.

(2) « Responsabilité climatique, la géothermie de surface : une arme puissante », Haut-commissariat au plan, paru en octobre 2022.

(3) « Cartographie du potentiel de la géothermie de surface sur le territoire de la Métropole du Grand Paris », 6 janvier 2022.

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A Orléans, une plateforme de test en conditions réelles

Pour expérimenter différentes améliorations technologiques, le BRGM met à disposition sa plateforme géothermie à Orléans (Loiret). Ce site, unique en France, vise à éprouver en conditions réelles différents types d'échangeurs géothermiques, connectés à une machine thermodynamique. « Cette plateforme a aussi la particularité de se trouver dans un contexte karstique, où certaines couches géologiques sont très érodées, et peuvent aller jusqu'à former des trous, voir des cavités », explique Charles Maragna, ingénieur de recherche et chef de projet en énergie au BRGM. Une situation idéale pour tester le dispositif du fabricant de textile pour les fondations Chab et du foreur Drillheat, qui se sont associés pour développer une solution de contention de la cimentation lors de la mise en place des sondes géothermiques verticales, afin que le ciment ne s'échappe pas dans les failles. Deux campagnes de forage se déroulent depuis janvier 2024.

L'instrumentation en place permettra également au BRGM de mener une étude sur la précision des techniques de suivi de cimentation (mécanique, thermique, magnétique, etc.) et de détermination des caractéristiques thermiques du sous-sol. Objectif : optimiser encore les performances des installations dans le respect de la ressource. La prochaine étude sur le site portera sur la mixité des énergies.

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