L'entreprise qui triche sur, par exemple, le montant de son chiffre d'affaires pour justifier de sa capacité à exercer un marché, s'expose à voir la procédure d'attribution annulée sur demande d'un concurrent lésé. Par une décision du 3 octobre 2012, les juges du Palais-Royal ont ainsi tranché un litigé né de la passation d'un marché public de déménagement. Une entreprise qui avait participé, sans succès, à l'appel d'offres, a saisi le juge du référé précontractuel pour lui demander d'annuler la procédure de passation. Motif : le futur attributaire avait fourni des informations de candidature erronées.
En effet, le juge des référés a pu établir que celui-ci déclarait dans son dossier un chiffre d'affaires pour 2010 de plus de 3 millions d'euros, « très supérieur à celui de 770 637 euros figurant dans son bilan et son compte de résultats obtenus par [la requérante] et produits au cours de l'instance ». Les déclarations relatives à l'effectif salarié et au nombre de véhicules étaient également manifestement loin de la réalité. Pour le juge des référés, pas de doute : le choix par le pouvoir adjudicateur de cette offre, fondée sur de fausses déclarations relatives aux capacités professionnelles, techniques ou financières du candidat, a « porté atteinte au principe d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ».
Le concurrent évincé est lésé par ce manquement, quel que soit son rang de classement
Le Conseil d'Etat confirme cette solution, en soulignant qu'un tel choix est « susceptible de fausser l'appréciation portée sur les mérites de cette candidature au détriment des autres candidatures. » Mais encore fallait-il, en application de la jurisprudence « Smirgeomes », que la requérante soit lésée ou susceptible de l'être par ce manquement. Tel est le cas, énonce la Haute juridiction, quel que soit le rang de classement de la requérante à l'issue du jugement des offres, du moment que sa propre candidature était recevable et son offre appropriée, régulière et acceptable.
Un appel à la vigilance des acheteurs publics
Cette décision est sans nul doute protectrice des intérêts du pouvoir adjudicateur, en lui évitant de se trouver engagé pour la durée du marché avec une entreprise qui n'a pas en réalité les capacités suffisantes exigées pour l'exécuter.
Mais elle suscite certaines interrogations : met-elle à la charge des acheteurs publics une nouvelle obligation de vérification des données du dossier de candidature ? En théorie, a rappelé le rapporteur public Bertrand Dacosta lors des premières Rencontres de l'achat public le 25 octobre dernier à Paris, « les acheteurs publics ne sont pas tenus de vérifier l'exactitude des informations du dossier. Mais s'ils apprennent que les données fournies par une entreprise sont erronées, alors ils doivent s'abstenir de lui attribuer le marché. » L'acheteur public qui pratique le sourcing, connaît bien ses fournisseurs et leur dimensionnement, part sans doute avec une longueur d'avance à cet égard.
Autre question soulevée, comment un candidat évincé peut-il invoquer les fausses déclarations insérées dans le dossier de candidature de son concurrent à un stade où, le marché n'étant pas encore signé, les éléments ne sont pas communicables ? Cela n'apparait pas en l'espèce. Tout au plus peut-on supposer que le candidat, qui connaît le chiffre d'affaires réel de son concurrent, était en mesure d’apprécier son incompatibilité avec le niveau de capacité exigé dans l'appel d'offres.
Pour lire l'arrêt CE, 3 octobre 2012, n°360952, cliquez ici